L’évaluation des compétences numériques PIX : progrès ou gadget ?
A partir de cette année 2020/2021, l’évaluation des élèves de 3ème et de Terminale en matière de « compétences numériques » devient une obligation avec l’outil en ligne PIX. S’il existe depuis 2017, PIX est loin d’être connu de toutes et tous. Il mérite toutefois une certaine attention, d’abord parce qu’il concerne tous les élèves de la Cinquième à la Terminale, mais aussi les adultes. Pour les professeurs documentalistes, les éléments évalués recouvrent en grande partie des connaissances en information-documentation et en éducation aux médias et à l’information (EMI).
PIX s’inscrit dans un cadre européen, avec un référentiel de formation particulier. Une immersion dans l’outil nous permettra de donner une première analyse critique sur PIX, en attendant des retours plus larges à l’issue de cette année scolaire. Quel est l’intérêt et le positionnement du professeur documentaliste dans cet outil d’évaluation, vis-à-vis de ses missions et de ses pratiques pédagogiques ?
Du B2i à PIX, ou l’émergence du Cadre de référence des compétences numériques
Déjà issu d’une politique européenne, le Brevet informatique et Internet, ou B2i, n’a jamais véritablement fonctionné. Rendu obligatoire en 2008, il a progressivement disparu après 2014, relevant surtout d’une prise en compte plus ou moins formelle dans l’évaluation des compétences du Socle commun des connaissances et compétences.
En janvier 2017 apparaît en France le CRCN, Cadre de référence des compétences numériques, avec l’objectif alors ambitieux d’une attestation pour l’année suivante, alors qu’il faudra attendre au moins quatre ans. Ce référentiel, inspiré d’un rapport rédigé au sein de la commission européenne [1], comprend cinq domaines : information & données, communication & collaboration, contenus, protection & sécurité, environnement numérique, avec huit niveaux, les niveaux 2 et 3 correspondant aux fins de cycle 3 et 4 [2].
Le cadre de référence détaille 16 compétences réparties dans les 5 domaines, selon le schéma suivant :
On retrouve ainsi mêlées la recherche d’information et la veille d’information avec la gestion et le traitement des données, dans le domaine « information et données ». Communication et collaboration supposent de savoir « interagir », « partager et publier », « collaborer », mais aussi « s’insérer dans le monde numérique ». La création de contenus, domaine particulièrement cohérent, va de simples documents textuels à la programmation, en passant par le multimédia et la capacité d’adapter les documents à leur finalité. Le domaine de l’environnement numérique comprend les problèmes techniques et la maîtrise d’un poste de travail. Enfin le domaine de protection et sécurité mélange étrangement la sécurisation technique, notamment personnelle, et la protection de la santé, du bien-être et de l’environnement, là encore avec des mélanges peu compréhensibles qui laisseront, finalement, dans l’outil d’évaluation, une place ridicule, pour ne pas dire nulle, à la protection de l’environnement et aux problématiques qui y sont associées avec le numérique [3].
PIX arrive en avril 2017. C’est au départ un groupement d’intérêt public, initialement hébergé au Ministère de l’Éducation nationale [4], qui prendra à son compte ensuite l’expression de start up d’État, avec le fonctionnement d’une entreprise privée du numérique sous la tutelle de l’État. PIX reprend les cinq domaines et les huit niveaux et PIX ne s’adresse pas qu’aux élèves, il s’adresse aussi aux adultes, avec la possibilité de certifications qui pourraient servir dans le monde de l’emploi.
Au bout de trois ans de développement et de tests, avec notamment des académies pilotes, il est décidé de généraliser l’obligation de l’évaluation PIX en 2020/2021. C’est ainsi que « le chef d’établissement organise les sessions de certification au sein de son établissement selon le calendrier : du 4 janvier au 5 mars 2021 pour les lycées (élèves de Terminale en LGT et LP, de CAP, et étudiants en 2e année de BTS et CPGE) et du 8 mars au 12 mai 2021 pour les collèges (élèves de 3e). » [5]
Le travail pour les établissements scolaires passe par PIX Orga, sur orga.pix.fr, qui permet de lancer des « campagnes », des évaluations, puis de collecter et d’analyser les résultats. Pour son lancement, PIX Orga s’appuie sur un travail de communication, pour ne pas dire de marketing, qui repose sur des ambassadeurs académiques, enseignants ou autres personnels [6], qui se basent essentiellement sur les documents fournis par PIX, avec une forme qui pose question vis-à-vis de l’objectivité et de la responsabilité qu’on peut attendre d’un service lié au Ministère de l’Éducation nationale.
Pour un adulte, il faut compter environ six heures pour un utilisateur de bon niveau afin de parcourir l’ensemble des évaluations des 16 compétences. On peut raisonnablement estimer qu’il faut une heure par compétence, pour de bonnes conditions. Pour les élèves, l’approche est différente, elle consiste en parcours développés par PIX, avec des durées indicatives pour chaque parcours, et sans possibilité, pour l’heure, de personnaliser des parcours selon le travail pédagogique mené [7]. Précisons enfin que certaines questions ne peuvent être traitées sans certains logiciels précis, ou sans certains droits dans les sessions en établissement scolaire. Pour autant l’outil PIX ne donne pas de cahier des charges clair sur ces besoins.
L’outil technique PIX, du rêve à la réalité
Une fois les élèves intégrés dans l’outil PIX, travail affilié en théorie au chef d’établissement, il est possible pour les enseignants, qui sont invités sur l’outil par l’administrateur, de lancer des campagnes prédéfinies d’évaluation.
Les élèves accèdent à une campagne en se connectant à la plateforme, en suivant la procédure mise en place dans son établissement (ENT, création de compte…). PIX peut être intégré à un ENT, telle une ressource GAR, mais avec des doutes importants, à l’heure actuelle, sur la possibilité de transférer les comptes, et donc les parcours effectués, d’un compte à un autre, d’un ENT à un autre...
Toutes les cinq questions terminées, un bilan est proposé avec les bonnes et mauvaises réponses, jusqu’à la fin de l’évaluation, où le niveau atteint dans chacune des 16 compétences, est présenté sous la forme d’un cercle donnant la progression dans chaque niveau (actuellement jusqu’au niveau 5).
Ce sont des questions à choix multiples, à choix unique, avec numéros à reporter, des textes à trous, des réponses à inscrire dans un formulaire, des mots à trouver après manipulation correcte d’un fichier, pour l’essentiel. Notons que l’outil fait la part belle aux compétences procédurales, avec des compétences déclaratives rares, ou de l’ordre de l’implicite et sans évaluation directe. La programmation relève de l’affichage, de l’encodage, avec de très rares questions relatives à la manipulation de données informationnelles. Au-delà de ces premières observations, une analyse plus fine nous permettra par la suite de mieux cerner le contenu des questions. Notons toutefois dès à présent que beaucoup de questions ne sont pas en adéquation avec ce qu’on peut attendre d’enfants, avec ce qu’on peut exiger d’un public scolaire, avec des questions pour adultes, parfois notamment sur des démarches purement administratives, ainsi de recherche d’emploi, de gestion des impositions.
Tout au long de l’évaluation, à chaque bilan de cinq questions, l’outil PIX annonce des tutoriels, ou « tutos », qui n’en sont pas dans la majorité des cas. Ainsi le terme de « tutos » regroupe des contenus très différents, de sources très disparates, et sans aucun accompagnement par PIX, au-delà d’un simple titre informatif [8]. En outre, l’observation des évaluations montre que les élèves n’accèdent pas aux tutoriels ; ils continuent l’évaluation sans s’en soucier.
Lorsqu’une campagne est terminée, l’enseignant peut observer les résultats individuels, sous forme de pourcentage acquis dans chaque compétence. Il peut aussi observer les résultats collectifs, sous la même forme dans une « analyse » qui n’en est pas une. Ce sont en réalité des pistes de travail qui sont proposées, sans grande variation d’un élève à l’autre. Difficile de cerner l’intérêt de l’outil à ce niveau, si ce n’est pour cerner le niveau des élèves, en matière d’évaluation essentiellement. En tant que professeur documentaliste, toutefois, cette « analyse » peut montrer des sujets à travailler auprès des élèves, et donc disposer d’une liste concrète pour argumenter auprès des chefs d’établissement afin d’avoir des conditions correctes pour les apprentissages en information-documentation.
Globalement, l’outil ne permet pas le développement de compétences, de par son fonctionnement. En effet, partant d’un processus d’évaluation, avec une forme de sélection aléatoire des questions, ou tout du moins sans liens étroits entre chaque question, il n’existe pas de parcours d’apprentissage. Le parcours par élève peut être différent, avec adaptation des questions suivantes aux questions précédentes, selon la documentation PIX, mais sans que ce soit évident en pratique, avec le biais observé d’un nivellement des élèves par cette pratique.
Le sujet de l’ordre aléatoire pose un problème de logique, d’une part, avec par ailleurs des questions qui peuvent être complexes, voire très complexes, avant des questions plus simples, avec un possible phénomène pédagogique de découragement lors de l’évaluation.
Pour les professeurs documentalistes : l’appui pédagogique ou la nouvelle galère
Il existe trois rôles associés à l’outil PIX, celui d’administrateur, celui de référent, celui de pédagogue. Le premier rôle est assigné au chef d’établissement, qui se repose en réalité souvent sur le référent aux usages pédagogiques du numérique (RUPN). Ce dernier sera ainsi amené à intégrer la base des élèves en début d’année, voire plusieurs fois dans l’année dès qu’il y a des changements avant évaluation par PIX. De même, ce référent peut être amené à gérer une tache ardue, celle de redonner des mots de passe aux élèves qui les ont perdu… L’outil PIX devient en soi une nouvelle mission, elle suppose donc a minima que l’indemnité pour mission particulière (IMP) soit réévaluée en conséquence. A noter qu’en rien cette mission de gestion ne doit revenir au professeur documentaliste s’il n’a pas d’indemnisation spécifique.
Bien sûr, quelques questions sont en suspens. A savoir qui s’occupe des évaluations prévues pour la rentrée, sans doute faut-il garder la souplesse de volontaires qui souhaitent observer l’évaluation, que ce soit en SNT, en information-documentation ou en technologie. Il en va autrement de l’évaluation finale, qui suppose un encadrement plus strict, avec le référent numérique notamment, d’autant plus si cette mission spécifique lui est reconnue.
Le rôle de pédagogue, en association avec l’outil PIX, peut être partagé, le but étant de faire le lien entre les apprentissages et l’outil d’évaluation. On retrouve ainsi de manière logique, parmi les disciplines associées aux compétences évaluées dans PIX, l’information-documentation, l’éducation aux médias et à l’information, la technologie en collège, les SNT en lycée, puis les mathématiques, le français, entre autres. Le référentiel EMI permet ainsi de cerner globalement les liens entre CRCN et apprentissages. Ainsi « Tous les professeurs, dont les professeurs documentalistes, veillent collectivement à ce que les enseignements dispensés en cycle 4 assurent à chaque élève :
- une première connaissance critique de l’environnement informationnel et documentaire du XXIe siècle ;
- une maitrise progressive de sa démarche d’information, de documentation ;
- un accès à un usage sûr, légal et éthique des possibilités de publication et de diffusion. »
Ces thèmes relèvent du domaine de l’information-documentation, reconnu comme enseignement de spécialité des professeurs documentalistes dans leur circulaire de mission du 30 mars 2017. Toutefois les deux référentiels sont différents, EMI et CRCN, le Ministère de l’Éducation nationale n’ayant pas fait le travail d’établir des ponts lisibles entre les deux, en outre la difficulté de lier facilement EMI et information-documentation... Il y a bien là un écueil, en conséquence, ainsi de se focaliser sur les parcours proposés en EMI dans l’outil PIX, alors qu’il faut bien aller chercher des éléments liés à l’information-documentation dans un grand nombre des 16 compétences. C’est ce qu’on observe bien dans le travail d’analyse d’Elsa Chipiloff, professeure documentaliste dans l’académie de Dijon, qui permet d’avoir une vue d’ensemble, en l’état du développement de PIX au printemps 2020, des questions et de leurs liens avec les niveaux et compétences de PIX [9].
Il est encore trop tôt pour modifier ses pratiques pédagogiques avec l’outil PIX. Celui-ci n’a pas acquis la légitimité suffisante pour cela. Plusieurs problèmes se font jour. Par exemple, on peut très bien travailler sur l’image d’une certaine manière, tout à fait pertinente, sans être en adéquation avec les attentes des concepteurs de PIX à ce sujet. Les élèves réussiront notre évaluation, mais échoueront à celle de PIX sans que ce soit justifié. Par ailleurs, on ne sait pas ce que vaut chaque question, ce qu’elle permet d’atteindre dans chaque niveau. On découvre ainsi qu’il est possible d’atteindre un niveau maximal avec plusieurs réponses fausses, tandis qu’on peut rester bas avec une seule erreur. L’outil, ainsi, devient rapidement une charge inopportune, et l’implication de l’enseignant dans l’outil peut vite devenir ardue, davantage qu’avec le B2i.
Conclusion : PIX ou pas PIX ?
Faut-il oui ou non se préoccuper de PIX ? Au-delà de son caractère obligatoire, la question se pose. L’outil est largement perfectible, et il serait dommage de prendre un temps conséquent à revoir des progressions pédagogiques à l’aune de l’outil PIX. Soyons prudents, en tant que professeur.e.s documentalistes, parfois même en tant que référents numériques. Cette année 2020/2021, dans un contexte si particulier, est une année de test, certes d’envergure.
La fédération des APDEN continue d’étudier cet outil, de relever ce qu’il peut renfermer de positif, sans oublier ses aspects négatifs évidents : l’évaluation en ligne déconnectée des pratiques pédagogiques locales, l’absence de cohérence et de travail de rapprochement entre référentiels, l’absence d’inscription des apprentissages associés, notamment en collège… D’autres progrès sans doute sont à développer, de la part du Ministère de l’Éducation nationale, pour les apprentissages liés au numérique, avant d’imposer une évaluation qui semble encore non aboutie dans sa conception.
Notes
[1] FERRARI Anusca. DIGCOMP : A Framework for Developing and Understanding Digital Competence in Europe. In JRC Scientific and policy reports [en ligne], 2013. Disponible sur : https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/bitstream/JRC83167/lb-na-26035-enn.pdf
[2] Sur les liens et comparaisons entre le rapport de la commission européenne et le CRCN : REYNAUD Florian. Conférence EMI 2017 : risettes et reset. In prof’doc’ [en ligne], 2017. Disponible sur : https://profdoc.iddocs.fr/spip.php?article62
[3] Cadre de référence des compétences numériques. In Eduscol [en ligne], 2020. Disponible sur : https://eduscol.education.fr/cid124797/cadre-reference-des-competences-numeriques.html
[4] Arrêté du 27 avril 2017 portant approbation de la convention constitutive du groupement d’intérêt public « PIX ». Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2017/4/27/MENF1711150A/jo En 2020, PIX est au 156 boulevard Haussmann, 8e arrondissement de Paris.
[5] PIX. Pix au coeur de l’enseignement scolaire. Disponible sur : https://pix.fr/enseignement-scolaire
[6] PIX propose une carte des ambassadeurs, disponible sur : https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/ambassadeurs-pix_358444#7/46.142/5.515
[7] Cette évolution pour des parcours personnalisés fait partie des projets de programmation pour PIX, mais a priori sans que ce soit considéré comme une priorité, notamment du fait de problème de faisabilité.
[8] Le « tuto » peut être une FAQ de Twitter (https://help.twitter.com/fr/managing-your-account/about-twitter-verified-accounts), une vidéo Lumni de niveau CE2 (https://www.lumni.fr/video/les-moteurs-de-recherche), un document pédagogique sans auteur déposé sur le cloud du syndicat mixte Numérian (https://cloud.inforoutes.fr/index.php/s/JOzYQOjkyzs5XBs#pdfviewer), une vidéo pédagogique publiée par le média 20 Minutes (https://www.20minutes.fr/high-tech/2246663-20180402-video-fact-checking-trois-conseils-identifier-image-internet), un article d’une consultante SEO (https://www.notuxedo.com/comment-trouver-source-image/), ou encore un outil de repérage de coordonnées GPS, dont l’utilisation des données semble flou (https://www.gps-longitude-latitude.net/adresse-de-la-longitude-et-de-la-latitude). Il n’existe a priori pas de tutoriels propres à PIX, ce qui limite fortement les possibilités, avec peu de liens avec visée pédagogique.
[9] CHIPILOFF Elsa. [Tableau des types de questions posées sur PIX]. Téléchageable ci-dessous en ODT et PDF :