2017
nov.
5

Professeur.e.s documentalistes

Une rentrée sous pression

L’année scolaire 2017-2018 a ouvert le temps de la mise en application du nouveau cadre réglementaire d’exercice des professeur.e.s documentalistes, à présent complet depuis la parution de la nouvelle circulaire de missions en mars dernier ; et cette phase, déjà délicate, s’engage de surcroît dans le contexte d’un changement de Ministre et de gouvernance. La rentrée 2017 s’annonçait donc pour le moins incertaine pour les professeur.e.s documentalistes ; dans cette perspective anticipée, l’A.P.D.E.N. avait mis à disposition de la profession, dès le mois de juin dernier, un vademecum destiné à soutenir les collègues dans le cadre des potentielles situations de conflit et de remise en cause de leur statut au sein des établissements.

Quelques semaines à peine après la rentrée scolaire, il est possible de dresser un premier état des lieux de la situation, dont les contours consolident et amplifient une dégradation importante, en rapide progression depuis 2013, sur laquelle l’association avait déjà alerté ses différents interlocuteurs institutionnels et syndicaux à de multiples reprises. Semaine après semaine, les témoignages de collègues en difficulté se multiplient et les craintes de la profession concernant le caractère effectif de son mandat pédagogique se confirment, élargissant toujours davantage la fracture entre les acquis des nouvelles dispositions réglementaires des textes officiels et la réalité de leur prise en compte par les différentes instances hiérarchiques, sur le terrain. La mise en œuvre de la réforme du collège, en 2015, avait déjà lourdement fragilisé la position professionnelle des professeur.e.s documentalistes, notamment à cause d’une interprétation restrictive des 26 heures d’enseignement hebdomadaires par élève, qui a significativement limité les possibilités de dispenser des séances pédagogiques aux élèves en responsabilité. Depuis, c’est l’application du décret sur les Obligations Réglementaires de Service [1] qui cristallise le plus de problèmes. Un nombre croissant de collègues font ainsi part, via les réseaux locaux et les outils de communication associatifs de l’A.P.D.E.N., ou plus largement via les listes de diffusion nationales et académiques, de leurs difficultés à faire reconnaître le décompte de leurs heures d’enseignement.

La tendance à la baisse du nombre moyen de séances d’enseignement assurées par les professeur.e.s documentalistes, déjà observée dès 2015 dans le cadre de notre enquête de terrain, semble se confirmer, hypothèse que nous ne manquerons pas d’interroger, lors d’une prochaine enquête envisagée pour le premier semestre 2018. Si aucun.e autre enseignant.e n’est inquiété.e dans la mise en application du décret des ORS, les professeur.e.s documentalistes doivent, eux.elles, encore se justifier et se battre, dans le cadre de situations professionnelles conflictuelles, pour faire appliquer des textes qui ont visiblement du mal à être reconnus par leur hiérarchie, dont la mission inclut pourtant la responsabilité de l’application stricte des dispositions réglementaires. La lecture des multiples témoignages de nos collègues est à ce titre édifiante : beaucoup expriment l’impossible choix auquel les confronte cette résistance hiérarchique, dont les options exclusives leur imposent, soit de poursuivre l’exercice de mission enseignante, mais à la seule condition de renoncer à faire valoir leurs droits au décompte des heures, soit de cesser tout bonnement d’exercer cette mission, pourtant première selon les termes de la circulaire, et donc d’abandonner l’ambition de former les élèves conformément aux mandats que nous a pourtant confiés l’Institution.

Les interventions sur les listes de diffusion témoignent aussi d’une disparité très importante, et inadmissible, des conditions d’application du décret : pour les professeur.e.s documentalistes, pas d’égalité devant les textes. Il existe ainsi presque autant de situations différentes que d’établissements d’exercice... Là où certain.e.s appliquent à la lettre le décompte des heures d’enseignement, d’autres le modulent en fonction du type d’intervention ou de l’inscription des séances concernées à l’emploi du temps. D’autres, enfin, nombreux.ses, se voient tout simplement refuser l’application du décret, selon des interprétations et motifs fallacieux qu’aucune disposition officielle ne vient étayer. L’arbitrage revient in fine au.à la chef.fe d’établissement, pour qui la priorité est, trop souvent, l’ouverture du CDI à la permanence, dans une logique de vie scolaire, au détriment de la formation des élèves. La pression ainsi placée sur les épaules des collègues s’est encore vue aggravée par la disparition de nombreux contrats aidés, parmi lesquels subsistaient encore, dans certains établissements, des personnels affectés au CDI : au delà de l’insuffisance déjà patente de postes de titulaires en documentation dans les établissements du second degré français, ces personnels complémentaires autorisaient encore, en particulier dans les établissements où il n’existe qu’un unique poste de professeur.e documentaliste, une organisation favorable, à la fois, à la tenue de séances pédagogiques, et à une amplitude d’ouverture satisfaisante du lieu.

Ces constats prennent place dans une période où la communication autour de l’EMI et de ses enjeux n’a jamais été aussi développée : à présent que cette dernière est officiellement inscrite dans les programmes, elle fait naturellement l’objet de l’habituel déploiement de moyens que l’Institution sait affecter aux nouveautés potentiellement porteuses dans l’opinion publique ; l’EMI se présente, en effet, comme un élément de réponse à une forte préoccupation sociétale, dans un contexte encore marqué par de violentes attaques contre la liberté d’expression, et augmenté par la prise de conscience croissante de la place de la désinformation et des questions éthiques dans le paysage informationnel mondial. De fait, la communication importante dont elle est l’objet dépasse à présent largement le seul cadre de l’Éducation nationale, pour se voir investi par un ensemble hétérogène d’acteurs, publics ou privés, qui, en fonction d’attentes et d’intérêts propres, n’hésitent pas à redessiner le concept - c’est, par exemple, particulièrement visible concernant la question du numérique, qui en vient, dans certains discours, à recouvrir intégralement les autres dimensions de l’EMI.

Dans cette euphorie communicationnelle, il n’est presque jamais question des professeur.e.s documentalistes, surtout lorsqu’il s’agit de leur reconnaître une responsabilité effective dans l’enseignement de tout ou partie des contenus de l’EMI. Le fait que le référentiel EMI ait largement emprunté aux contenus de l’information documentation est passé sous silence ; plus préoccupant encore, l’inscription d’un enseignement de l’information documentation dans la nouvelle circulaire de missions ne semble pas revêtir assez d’intérêt pour faire l’objet des indispensables discussions et travaux que la profession serait pourtant en droit d’attendre. Ainsi, paradoxalement, après avoir longtemps milité pour la reconnaissance de ces contenus d’enseignement, la profession s’en voit évincée à mesure qu’ils gagnent en visibilité... La logique transversale privilégiée n’exclut pourtant en rien, théoriquement, la possibilité d’un enseignement partagé de l’EMI, au sein duquel les contenus spécifiques de l’information documentation relèvent de l’expertise reconnue du.de la professeur.e documentaliste, conformément aux dispositions du cadre réglementaire rénové dont il.elle.s dépendent !

Mais l’Institution ne semble pas souhaiter apporter à la profession le soutien légitime nécessaire à sa mise en œuvre effective. Nos courriers, envoyés en juin à la DGRH et à l’IGEN EVS pour attirer leur attention sur le nouveau cadre réglementaire de la profession, sont, pour l’heure, demeurés sans réponse [2]. Dernier signe en date de cette inertie qui entrave l’application des textes : dans le vademecum à destination des principaux.ales de collège pour l’application de la mesure « Devoirs faits », les professeur.e.s documentalistes sont, à l’encontre de toutes les dispositions statutaires les concernant, intégré.e.s dans la catégorie des « autres personnels » ; ainsi exclu.e.s de la catégorie des enseignant.e.s à laquelle il.elle.s appartiennent pourtant de plein droit, il.elle.s se voient affecter le même traitement que « les personnels administratifs, l’assistant social, le psychologue, l’infirmier [qui] peuvent aussi intervenir au bénéfice des élèves dans Devoirs faits. Ils sont alors rémunérés selon les cas précisés dans le cadre des décrets n° 2012-871 du 11 juillet 2012 ou n° 1996-80 du 30 janvier 1996. »

A la lumière de cet état des lieux préliminaire, force est de constater que, malgré l’entrée en vigueur d’un cadre réglementaire entièrement rénové, porteur de réels acquis professionnels pour l’exercice de nos missions, les professeur.e.s documentalistes se voient, paradoxalement, plus que jamais réduit.e.s à la négociation individuelle, dans le cadre d’un bricolage local préjudiciable à la fois aux droits des personnels, et au principe d’égalité des chances pour les élèves, que l’isolement professionnel de nombreux collègues rend encore plus problématique. Et la situation globale en confine à l’absurde : alors que les textes officiels en vigueur sont désormais significativement plus favorables à l’exercice de la mission d’enseignement des professeur.e.s documentalistes, le manque de moyens humains, mais aussi de soutien hiérarchique, vient peu à peu anéantir les prescriptions du législateur. Et encore et toujours, au cœur de la controverse, se tiennent l’identification et le fléchage de nos contenus spécifiques d’enseignement...

Notes

[1Décret n° 2014-940 du 20 août 2014, relatif aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants exerçant dans un établissement public d’enseignement du second degré. Disponible sur : http://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2014/8/20/MENH1407664D/jo/texte

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