Compte rendu d’audience - DGESCO
19 mars 2014
Florian Reynaud, Camille Brouzes et Nathalie Helluin, président et membres du Bureau national de la FADBEN, ont eu l’honneur d’être reçus par M. Jean-Paul Delahaye, directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) et M. Xavier Turion, adjoint au directeur général, le 19 mars 2014 pendant une heure.
Cette audience constituait une première rencontre entre l’association professionnelle et M. Delahaye. Nous lui avons adressé nos remerciements pour cette occasion donnée de présenter les réflexions et les travaux de la FADBEN auprès d’une instance institutionnelle majeure, dans le contexte d’une refondation de l’école qui concerne les professeurs documentalistes à plus d’un titre.
Nos interlocuteurs nous ayant précisé qu’ils n’apporteraient pas de réponses immédiates aux différents points abordés, l’audience a pris la forme d’un échange riche, au cours duquel nous avons réellement pu apprécier l’écoute offerte par M. Delahaye.
La construction d’un curriculum info-documentaire
Nous avons d’abord déclaré que la FADBEN voyait la Loi pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013 [1] comme une évolution positive pour la profession. Nous avons toutefois exprimé nos regrets sur le fait que la DGESCO n’ait pas répondu favorablement à la demande de constitution d’un groupe de travail, en 2012 et en 2013, pour la construction d’un curriculum info-documentaire ; ce dernier semble aujourd’hui très pertinent pour favoriser le développement d’une culture informationnelle des élèves, avec une spécificité des professeurs documentalistes, en articulation avec l’Education aux médias et à l’information inscrite dans le Code de l’éducation [2].
Il paraît donc dommage que l’on opère aujourd’hui dans une forme d’urgence, alors que la FADBEN peut et souhaite apporter son expertise dans ce domaine d’enseignement depuis de nombreuses années. A ce titre, l’association professionnelle propose des outils didactiques et pédagogiques qui permettent de favoriser les liens entre pratiques des collègues et recherches en Sciences de l’information et de la communication (SIC), ainsi avec la publication semestrielle du Médiadoc [3] et la mise en ligne de l’outil collaboratif Wikinotions Info-Doc [4]. Nous avons remis à M. Delahaye le Mediadoc n°11 de décembre 2013, intitulé "EMI et enseignement info-documentaire (vol. 1 : Etat des lieux)".
Nous avons poursuivi en formulant notre espoir que le Conseil supérieur des programmes (CSP) puisse prendre en considération notre positionnement, avec le souhait, également, d’avoir des interlocuteurs en Documentation auprès de la DGESCO, afin de faire évoluer la profession et l’enseignement qui lui est dévolu. Nous avons rappelé que, depuis la création du CAPES en 1989, nous étions toujours en attente de textes réglementaires qui améliorent le statut des professeurs documentalistes.
Une base de travail importante : le référentiel de compétences professionnelles
M. Delahaye nous a répondu qu’une première étape était perceptible, clairement, avec le Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation, publié en juillet 2013 [5]. Ce référentiel précise bien que les professeurs documentalistes sont des enseignants, avec un domaine d’enseignement, et qu’ils sont, ensuite seulement, concernés par des compétences spécifiques qu’il ne faut pas oublier. Ce texte est une référence essentielle, un texte règlementaire qui sera certainement une base pour la réactualisation de la circulaire de missions du 13 mars 1986.
A la question d’un calendrier concernant cette réactualisation, M. Delahaye a indiqué qu’elle n’était pas encore à l’ordre du jour, mais qu’elle viendrait.
Au sujet de ce référentiel de compétences, nous avons toutefois souligné quelques interprétations problématiques, déjà relevées en pratique dans le cadre de contextes locaux. En effet, certains IA-IPR EVS ne semblent retenir que les compétences spécifiques, sans considération pour le fait que les professeurs documentalistes sont d’abord enseignants parmi tous les enseignants. A ce sujet, les interprétations sont variées. M. Delahaye nous a répondu qu’il y avait en effet nécessité à communiquer encore autour de ce dossier, pour éviter des lectures différenciées.
Pour ce qui concerne le curriculum, dans sa constitution concrète, M. Delahaye nous a précisé qu’il s’agissait là d’une prérogative du CSP, dans le contexte actuel de la Refondation. La DGESCO accompagnera les décisions prises par le CSP, notamment dans l’élaboration des documents d’accompagnement des programmes. Nous avons posé la question du calendrier prévu, à laquelle on nous a répondu que l’année 2014-2015 serait une année importante de concertation avec la profession, pour une application des premières réformes concernant les contenus d’enseignement à la rentrée 2016.
M. Delahaye a orienté ensuite l’échange sur la question de la pédagogie mise en œuvre : proposons-nous une pédagogie hors-sol détachée de tout contexte disciplinaire, ou une pédagogique contextualisée dans l’interdisciplinarité ? Nous avons répondu que la FADBEN soutenait la mise en œuvre d’approches pédagogiques différenciées et complémentaires, parfois dans l’enseignement direct, mais aussi et surtout dans l’enseignement indirect et dans l’enseignement interactif, comprenant des mises en activité et des situations-problèmes, impliquant des collaborations interdisciplinaires. Il ne s’agit pas pour nous de revendiquer l’institution d’une discipline au sens traditionnel du terme, avec des heures systématiquement inscrites à l’emploi du temps des élèves, mais bien plutôt de développer des séances pédagogiques qui répondent aux enjeux d’une didactique réfléchie, par exemple sous la forme de modules, au moyen d’une pédagogie de projets qui se succèdent sur l’année scolaire. Nous avons donné l’exemple de séances de recherche documentaire autour des réseaux sociaux, s’appuyant sur une pratique des élèves afin de développer des connaissances sur ce sujet, qui relève de l’information-documentation, parmi d’autres champs, dans une activité accompagnée.
Nous avons ajouté que cette pratique et le souhait de son institutionnalisation ressortaient très nettement de l’enquête menée auprès des collègues en avril 2013 [6], mais aussi d’autres enquêtes, dont celle portée récemment par le syndicat SE-UNSA [7].
La création d’un service d’enseignement
Nous avons insisté sur le caractère essentiel d’une véritable reconnaissance des professeurs documentalistes comme enseignants, par la création d’un service d’enseignement, à penser dans le cadre de l’élaboration du curriculum. Il s’agit là, selon nous, de prendre concrètement en compte le travail de préparation et d’évaluation des séances, ainsi que la nécessité reconnue de ces apprentissages pour les élèves. Ainsi un service d’enseignement suppose-t-il l’obtention de moyens horaires pour mettre en œuvre cet enseignement exploitant différentes formes de pédagogie, contre l’actuelle nécessité de négociations continuelles auxquelles nos collègues sont confrontés dans les collèges et lycées (Notons ici que l’audience a eu lieu avant la publication par les syndicats, le même jour, du projet de décret consacré aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants [8]).
Nous avons par ailleurs signalé le décalage observable entre le positionnement de l’institution, et les pratiques et leurs évolutions concrètes sur le terrain. Ainsi, d’une part, dans le développement depuis 2004 de la notion, issue de la bibliothéconomie, de politique documentaire, qui n’a pas reçu l’assentiment des collègues en ce qu’elle suppose de partir des ressources pour construire la pédagogie, tandis que le travail didactique suppose de partir des savoirs info-documentaires à développer chez les élèves. Mais également, d’autre part, dans le développement de l’idée des Learning Centres ou 3C (Centres de connaissances et de culture), issue du monde universitaire anglo-saxon, qui suppose de partir de la redéfinition des lieux pour développer la pédagogie.
M. Delahaye a précisé, au sujet des 3C, qu’il n’en était pas question dans le Référentiel de compétences professionnels, avec une inscription des CDI dans ce texte règlementaire. Au sujet des ressources, il a souligné qu’elles sont une part essentielle de notre métier et qu’on ne peut les laisser de côté. Nous avons répondu que nous partagions pleinement cette position, le professeur documentaliste étant garant d’un projet documentaire et responsable d’un espace de ressources didactisé qu’est le CDI. Nous souhaitons simplement que les ressources ou le lieu ne soient pas l’entrée "pédagogique" retenue pour notre profession. A ce titre, M. Delahaye a bien répété que nous étions enseignants avant d’être enseignants documentalistes, selon la structure du référentiel de compétences.
La création d’une agrégation et d’un corps spécifique d’inspection ancré dans les SIC
Les échanges précédents nous ont ensuite conduits à évoquer la question d’une inspection spécifique. Nous dépendons en effet actuellement de l’Inspection générale Établissement Vie scolaire (IGEN-EVS). Les inspecteurs d’académie de cette spécialité ne sont initialement pas spécialistes de notre profession ; quand bien même ils peuvent ensuite développer sur le terrain des connaissances quant à nos axes de mission, il n’en reste pas moins qu’ils n’ont jamais exercé notre métier, dont ils déploient des conceptions variées à travers le prisme de leur formation et de leur expérience antérieure. Nous avons souligné qu’il était peu compréhensible que nous soyons toujours rattachés à cette inspection, qui relève là encore de décisions antérieures à la création du CAPES.
M. Delahaye a remarqué que cela rejoignait notre demande de création d’une agrégation, et a précisé que la création d’une inspection spécifique ne dépendait pas de la DGESCO mais de la DGRH ; il a ajouté qu’il conviendrait aussi de se reporter aux travaux à venir du CSP, car certaines des décisions prises par cette instance auraient potentiellement des incidences sur ces sujets.
Le recrutement aux concours
Nous avons alors abordé la nécessité d’un recrutement de professeurs titulaires certifiés de Documentation, là où l’on constate actuellement un taux très important de contractuels dans la discipline, à plus de 15 % en 2012 selon les chiffres de la DEPP. Par ailleurs, nous avons rappelé que la Documentation était sur-utilisée comme voie de reconversion par les rectorats, au niveau académique. Si certaines de ces reconversions sont volontaires et accompagnées de formations adéquates et suffisantes, d’autres sont menées par défaut, sans volontariat ni projet professionnel, dans le but fictif d’éloigner les collègues concernés des élèves tout en maintenant leur statut ; ces pratiques, anciennes et persistantes, impactent fortement l’image des professeurs documentalistes auprès de la communauté scolaire.
Nous avons insisté par ailleurs, en cohérence avec la proposition de construction d’un enseignement info-documentaire au niveau national, sur la nécessité d’un recrutement suffisant de professeurs documentalistes, selon le nombre d’élèves, afin de dispenser ces apprentissages à tous les élèves de manière satisfaisante.
M. Delahaye a répondu en mettant l’accent sur la vigilance exercée par la DGESCO et l’IGEN-EVS pour éviter les dérives de reconversion, considérant que le métier de professeur documentaliste est un véritable métier qui suppose plusieurs axes de mission qui doivent être respectés, avec de véritables compétences professionnelles, rappelées et réaffirmées dans le référentiel publié en juillet 2013.
La formation initiale et continue des professeurs documentalistes
Nous avons enfin mis en avant la nécessité de formations continues qui prennent en considération l’axe pédagogique et les évolutions techniques, info-documentaires, de la profession. Nous avons signalé l’attachement de la profession aux réunions de bassin, qui ont été bien souvent drastiquement réduites, voire qui n’existent plus. Nous avons insisté sur la capacité de l’association professionnelle à présenter des formations, en exposant l’exemple de l’organisation des journées académiques par les ADBEN, sans reconnaissance institutionnelle de ces formations. De fait, contrairement aux organisations syndicales représentatives, une association professionnelle ne dispose pas du cadre institutionnel adapté permettant une reconnaissance indépendante de ces formations.
Nous avons toutefois posé la question d’une inscription de telles formations dans le Plan national de formation (PNF) ou dans les Plans académiques de formation (PAF). M. Delahaye a répondu que nous pouvions être force de propositions auprès des instances académiques, avec les inspecteurs et les services du rectorat.
Nous sommes revenus par ailleurs sur les questions vives soulevées par la publication de la présentation du PNF 2014, exposées par la FADBEN et par l’ANDEP dans un courrier adressé le 30 janvier dernier aux partenaires institutionnels [9]. M. Xavier Turion a indiqué que le document de présentation du PNF avait été conçu en concertation avec les services de l’Inspection générale. Nous sommes revenus sur l’ambiguïté des termes de "bibliothèques scolaires" - qui renvoient à la dénomination internationale - et de "documentalistes", contre une nomenclature plus juste de CDI et professeur documentaliste. M. Delahaye a précisé simplement que nous étions bien concernés par ces formations, et qu’il n’était pas lui-même à l’origine de ces intitulés.
Conclusion : une volonté de poursuivre et de développer les échanges initiés.
Revenant sur la demande, déjà adressée en 2012 et 2013, de constitution d’un groupe de travail pour la construction d’un curriculum, nous avons déclaré souhaiter avoir la possibilité de continuer d’échanger avec des interlocuteurs identifiés auprès de la DGESCO.
Nous avons insisté sur la nécessité d’être associés, en tant qu’association professionnelle, aux travaux relatifs à l’avenir de la profession. M. Delahaye a conclu en nous précisant qu’à ce titre, les syndicats, avec qui l’association travaille régulièrement, sont un intermédiaire essentiel afin de communiquer nos réflexions et positions sur les différents dossiers.
A l’issue de cette audience, nous sommes repartis avec le sentiment d’une écoute sérieuse et d’une constance chez nos interlocuteurs à ramener l’essentiel des échanges au référentiel de compétences professionnelles, en cohérence avec les prérogatives de la DGESCO. Ce texte de juillet 2013 constitue en effet une avancée importante pour la profession en ce qu’elle confirme officiellement notre appartenance au corps des enseignants, dont les compétences listées sont bien préalables aux compétences spécifiques qui nous sont dévolues, compétences spécifiques cependant également essentielles en termes de gestion du lieu CDI et des ressources imprimées et numériques à destination des élèves.
Notes
[1] Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Disponible sur http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=?cidTexte=JORFTEXT000027677984&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id
[2] ibid (article 53)
[3] Revue professionnelle Médiadoc. Catalogue en ligne de la FADBEN disponible sur http://www.apden.org/?page=catalogue
[4] Wikinotions Infodoc. FADBEN. Disponible sur http://www.apden.org/wikinotions
[5] Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation. Arrêté du 01-07-2013. Disponible sur http://www.education.gouv.fr/cid73215/le-referentiel-de-competences-des-enseignants-au-bo-du-25-juillet-2013.html
[6] Professeurs documentalistes et apprentissages info- ??documentaires : enquête. FADBEN, ADBEN Versailles, 2013. Disponible sur http://www.apden.org/Les-professeurs-documentalistes-et.html
[7] Enseignant et documentaliste : enquête. SE-UNSA, 2014. Disponible sur http://www.se-unsa.org/spip.php?article6575
[8] Projet de décret consacré aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants. Mars 2014. Texte intégral et analyses disponibles, pour le SNES, sur http://www.snes.edu/Analyse-du-projet-de-decret.html, et pour l’UNSA, sur http://www.se-unsa.org/spip.php?article6665
[9] Le PNF 2014, nouveau déni, nouveau défi ? FADBEN, ANDEP, février 2014. Disponible sur http://www.apden.org/Le-PNF-2014-nouveau-deni-nouveau.html