Une formation ambitieuse pour la culture de l’information et des médias !
Tribune de l’A.P.D.E.N. et des chercheur·euses en SIC sur la réforme du CAPES de Documentation
La nécessité de démocratiser une culture de l’information et des médias est aujourd’hui largement reconnue, notamment par des organisations internationales telles que l’UNESCO. Pourtant le Ministère de l’Éducation Nationale, tout en laissant circuler un projet de programmes d’éducation aux médias et à l’information du cycle 4 qui « s’organise autour du professeur documentaliste », décide en avril 2025 de faire reculer les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) au sein du CAPES de Documentation, le seul concours d’enseignement s’appuyant sur ce champ d’étude. L’éducation aux médias et à l’information devenant une priorité, elle doit être ancrée sur les SIC et par le biais des professionnels de la documentation.
Depuis les années 1970, la création de la 71ème section du Conseil national des universités (SIC), et la généralisation des CDI dans les établissements scolaires, ont permis des avancées conjointes. En 1989, le CAPES de Documentation est créé pour le recrutement des professeurs documentalistes, prenant en compte les besoins de formation des citoyens à l’ère de l’information et de la communication numériques. Les CDI sont alors compris non pas seulement comme des centres de ressources mettant des documents à disposition des élèves et de la communauté éducative, mais aussi comme des espaces d’apprentissages. Ces enseignants documentalistes s’investissent dans la transmission de connaissances et l’éducation autour d’un positionnement critique sur l’accélération et la complexité accrue des flux d’informations, diffusées par une hétérogénéité d’acteurs et sur une multitude de supports (médias traditionnels, réseaux sociaux, sites web...). Aujourd’hui, tout en affirmant son attachement au développement de l’esprit critique, le Ministère de l’Éducation Nationale fait le choix d’ignorer les besoins des élèves et de saboter une profession qui œuvre grâce à une expertise fondamentale nourrie par les SIC. La recherche dans ce domaine apporte, depuis plus de 50 ans, des clés pour comprendre et savoir trouver, évaluer, exploiter, communiquer, une information utilisable, fiable et pertinente. La construction de cette capacité à agir en autonomie et en connaissant les caractéristiques de l’environnement informationnel se pose aujourd’hui avec acuité, particulièrement avec le développement de problématiques d’inégalités des pratiques d’information, de stratégies politiques et idéologiques de désinformation et d’élaboration de vérités alternatives, dans le contexte de croissance des technologies d’information. Récemment, l’utilisation généralisée de l’intelligence artificielle générative a accru les besoins de compréhension du fonctionnement des systèmes d’information dans notre quotidien et rappelle la nécessité d’apprentissages spécifiques.
Adoptées sans grande concertation avec le monde scientifique et les professionnels de terrain en avril 2025, la réforme du CAPES et les futures modalités de formation des professeurs documentalistes pourraient mettre en péril cet objectif sociétal fondamental. Cela suscite des inquiétudes dans la communauté des professionnels de l’information, et plus largement des acteurs de l’éducation, à plusieurs égards. Ainsi, l’objectif des nouvelles épreuves du concours se trouve désormais réduit à la vérification du niveau de culture générale et de connaissance du système éducatif et des droits et valeurs de la République. On s’éloigne donc de la vérification de la connaissance des savoirs scientifiques de référence chez les candidats, pourtant prévue pour les autres sections de CAPES (ainsi en mathématiques, en histoire géographie, etc.). Si ces compétences transversales sont indispensables à tout futur membre de la communauté enseignante, le recul des SIC dans les épreuves du CAPES de Documentation, à contre-courant des enjeux contemporains, nous inquiète. Les dispositions prises pour la formation des lauréats une fois le concours passé, centrées sur les pratiques de terrain situées en lien étroit avec l’affectation en stage, font également apparaître des craintes au sujet des conditions d’acquisition des qualifications nécessaires. Par ailleurs, le recrutement rétabli à un niveau Licence ne semble a priori pas pouvoir relancer l’attractivité de l’accès au concours et au métier d’enseignant documentaliste, pourtant intention première de cette réforme annoncée par le gouvernement. Au-delà, c’est toute la filière scientifique universitaire de la discipline Information-Communication qui serait affaiblie par cette réforme. En plus de l’ensemble des élèves des collèges et lycées, elle pourrait affecter l’enseignement supérieur et la recherche universitaire en SIC notamment autour des questions d’éducation, avec la recherche doctorale, les postes d’enseignants-chercheurs et de façon plus générale la formation de tous les enseignants et acteurs de l’EMI, du primaire au supérieur, dans le cadre la formation initiale comme continue.
La construction d’une solide culture informationnelle et médiatique pour tous les jeunes, du primaire à l’université, est fondamentale. Elle appelle à un recrutement massif, au-delà du seul remplacement des postes actuels, et exige des professionnel·les enseignant·es dûment formé·es en SIC et en pédagogie. Il en va de l’avenir de tout un secteur professionnel lié à l’information et à la communication, qu’il serait scandaleux de délaisser tant les enjeux qu’il recouvre sont essentiels. Sachons être à la hauteur de cette exigence, et donnons aux professionnel·les, chercheur·euses et professeur·es documentalistes, les moyens d’atteindre cet objectif qu’ils et elles appellent de leurs vœux, d’asseoir les bases de leurs pratiques professionnelles sur des connaissances scientifiques et pédagogiques pointues, indispensables à l’enseignement, à travers une formation initiale rigoureuse, portée par un champ disciplinaire dynamique et ancré dans les évolutions en information-communication. En concertation, prenons le temps de revoir la copie, il n’est pas trop tard.
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Signataires :
- Le bureau national de l’A.P.D.E.N.
- La Société française des Sciences de l’Information et de la communication (SFSIC)
- L’Association des professeurs documentalistes de l’enseignement privé (A.P.D.E.P.)
- Carine Aillerie, maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de Poitiers
- Sonia Bernardet, formatrice Inspé de Nantes, Responsable pédagogique du parcours MEEF Documentation
- Valérie Bonnet, directrice du LERASS
- Nicole Boubée, maîtresse de conférences en Sciences de l’information de la communication, Université de Toulouse
- Françoise Chapron, maîtresse de conférences honoraire en Sciences de l’information et en sciences de l’éducation, Université de Rouen, Présidente honoraire de la FADBEN
- Ghislain Chasme, docteur en Sciences de l’Information et de la Communication, responsable du parcours MEEF Documentation à l’Inspe de Rouen
- Stéphane Chaudiron, professeur en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lille
- Anne Cordier, professeure en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine
- Christian Cote, maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Jean Moulin Lyon-3
- Caroline Courbières, professeure en Sciences de l’information et de la communication, Université de Toulouse
- Carine Czajkowski, professeure-documentaliste, doctorante en science de l’information à l’Université Lyon 3
- Eric Debonne, maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Jean Moulin Lyon 3
- Eric Delamotte, professeur des Universités émérite en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Rouen Normandie
- Mabrouka El Hachani, professeure des universités en Sciences de l’information et de la communication, Université Jean Moulin Lyon-3
- Olivier Ertzscheid, maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, IUT de La Roche-sur-Yon
- Isabelle Fabre, professeure en Sciences de l’information et de la communication, Ensfea, Université Toulouse 2
- Valentine Favel-Kapoian, maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Lyon-1
- Divina Frau-Meigs, professeur émérite en Sciences de l’information-communication
- Pergia Gkouskou, maîtresse de conférence en sciences de l’information et de la communication, Université Clermont Auvergne
- Cécile Heckel, professeure documentaliste, chercheure associée en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Montpellier
- Bernard Jacquemin, maître de conférence en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lille
- Sophie Jehel, professeure en Sciences de l’information et de la communication, Université Paris-8
- Yves-François Le Coadic, professeur honoraire de science de l’information
- Hervé Le Crosnier, éditeur et enseignant chercheur en culture numérique
- Olivier Le Deuff, professeur des universités, Université Bordeaux Montaigne.
- Anne Lehmans, professeure des universités en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Bordeaux, IMS, responsable du parcours MEEF documentation à l’INSPE de Bordeaux
- Laurence Leveneur-Martel, maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Toulouse Capitole
- Vincent Liquète, professeur en Sciences de l’information et de la communication, Université de Bordeaux
- Kaltoum Mahmoudi, chercheure en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lille
- Sylvie Marciset-Sognos, docteure en Sciences de l’information et de la communication, ENSFEA
- Yolande Maury, chercheure en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lille
- Fanny Mazzone, maîtresse de conférence en Sciences de l’information et de la communication, Université Toulouse-2 Jean-Jaurès
- Françoise Paquien-Séguy, professeur des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, Sciences Po Lyon, signataire au titre de l’équipe lyonnaise de recherche en Sciences de l’Information et de la Communication (ELICO).
- Cécile Raynal, doctorante en Sciences de l’information et de la communication, Université de Montpellier
- Gilles Sahut, maître de conférences en Sciences de l’information de la communication, Université de Toulouse Jean Jaurès
- Caroline Scandale, formatrice Master MEEF documentation
- Elisabeth Schneider, maîtresse de Conférences en Sciences de l’information et de la communication, responsable du master MEEF professeur documentaliste, Université de Caen
- Adeline Ségui-Entraygues, maîtresse de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Paul Valéry Montpellier
- Alexandre Serres, maître de conférences honoraire en Sciences de l’Information et de la communication, ancien co-responsable de l’URFIST de Rennes, Université Rennes 2
- Brigitte Simonnot, professeure émérite en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine
- Angèle Stalder, maîtresse de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Jean Moulin Lyon 3
- Florence Thiault, maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Rennes 2
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