Rapport moral 2019
Année difficile pour la profession... et pour l’A.P.D.E.N.
La publication de ce traditionnel rapport moral est cette année excessivement tardif. Le contexte exceptionnel de cette année scolaire place en effet l’A.P.D.E.N. dans une situation totalement inédite. Le mouvement social de janvier et, en particulier, ses incidences sur les transports publics, ont en effet contraint l’association, dans un premier temps, à reporter son comité directeur à la mi-mars. La crise sanitaire liée au COVID-19 , qui lui a succédé, a par la suite rendu son annulation inéluctable.
C’est la première fois dans l’histoire de la Fédération qu’une telle déstabilisation du fonctionnement associatif advient, ou le bureau sortant doit assumer une prolongation de plusieurs mois de son mandat électif, alors qu’un nouveau bureau n’a encore pu être élu. La concertation entre les différents bureaux académiques a mené, dans l’urgence, à élaborer un dispositif alternatif permettant la tenue du comité directeur selon des modalités distancielles, qui demandent naturellement bien plus de temps qu’un présentiel dédié sur deux journées. Il est actuellement toujours en cours, le bureau 2019 organisant le vote des textes et décisions nécessaires à l’installation d’un bureau 2020 exceptionnel, en garantissant le temps du débat et la transparence des scrutins.
Introduction
En janvier 2019, l’A.P.D.E.N. exprimait ses inquiétudes pour l’année à venir, autour de la mise en place de la réforme du lycée et des modifications importantes visant la fonction publique. Ces inquiétudes n’ont malheureusement pas été démenties au cours de l’année écoulée : les professeur.e.s documentalistes n’échappent pas à un contexte d’austérité du ministère de l’Éducation nationale et de sape du service public de la part d’un gouvernement qui met tout en œuvre pour précariser la fonction enseignante. Ainsi, le nombre de postes au CAPES continue de baisser, après une session 2018 déjà peu glorieuse.
Or, les professeur.e.s documentalistes doivent non seulement se faire entendre sur leurs spécificités, et tout particulièrement sur la reconnaissance de leur mission enseignante, mais aussi faire face à une attaque contre le statut des enseignant.e.s dans sa globalité. Le contexte n’est pas favorable à la défense de notre profession et il est difficile de ne pas le lier à un contexte politique qui nous dépasse. L’A.P.D.E.N. semble être un acteur toujours pertinent, bien qu’affaibli par le faible engagement collectif de la profession, pour porter la voix spécifique de notre profession, aux côtés des autres organisations - syndicales et associatives - qui s’élèvent contre les démarches austéritaires constantes du ministère et contre le démantèlement des services publics et de la fonction publique. Elle reste un maillon indispensable entre le terrain dont elle est issue et l’institution avec laquelle elle doit continuer à échanger.
Affirmer l’identité professionnelle du.de la professeur.e documentaliste
Sur la question globale du statut, le bureau national a régulièrement sollicité ses partenaires syndicaux, qui ont peu répondu, le contexte chargé des réformes ne suffisant sans doute pas à justifier cette distance. L’enquête réalisée par l’A.P.D.E.N. fin 2018 auprès de la profession prouve la volonté constante de la profession, dont 95% assurent effectivement des séances pédagogiques, d’affirmer sa mission enseignante. Mais dans le même temps, l’inquiétude professionnelle, la lassitude et le découragement sont prégnants pour des collègues trop dépendant.e.s des contextes locaux pour accomplir pleinement et sereinement leur mission.
**La réforme du lycée
Cet état des faits, dénoncé depuis longtemps par l’A.P.D.E.N., ne s’arrange pas avec la Réforme du lycée, dont nous dénoncions déjà les écueils l’année dernière ; nos inquiétudes, exprimées maintes fois devant l’institution, portaient sur le peu de références faites, à l’information-documentation, à l’EMI, aux professeur.e.s documentalistes et au CDI ; quand elles sont présentes, elles souffrent d’incohérences importantes, que l’absence de mention de notre expertise spécifique vient encore aggraver.
Peu de place est en effet laissée au.à la professeur.e documentaliste et aux contenus d’enseignements dont la circulaire de mission de mars 2017 lui attribue la responsabilité. L’association estime que les nouveaux programmes organisent un transfert des contenus spécifiques de l’information-documentation vers les disciplines instituées, et n’admettent parallèlement qu’un rôle facultatif et auxiliaire du.de la professeur.e documentaliste dans les champs couverts par l’Éducation aux Médias et à I’Information (EMI), sans jamais asseoir pleinement sa mission d’enseignement.
Ils sont, d’autre part, également loin de donner au.à la professeur.e documentaliste toute sa place dans le champ du développement de la culture et de l’éducation artistique et culturelle, et omettent bien trop souvent de positionner le CDI comme « lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information », principal espace d’accès aux ressources pour les élèves dans les situations et apprentissages envisagés.
Si l’information-documentation n’est toujours pas pleinement reconnue par l’institution comme une discipline scolaire, malgré son inscription dans la circulaire de mission de 2017, il n’en demeure pas moins que l’enseignement de la culture de l’information et des médias est un enjeu majeur pour les élèves, le lycée leur permettant de construire les connaissances et compétences nécessaires pour mener ces futurs étudiants à l’autonomie informationnelle, indispensable pour la réussite des études supérieures. L’enjeu citoyen est lui aussi essentiel.
Le programme de la nouvelle discipline Sciences numériques et technologie, en particulier, est l’illustration d’un transfert de l’expertise du.de la professeur.e documentaliste, jamais cité.e, vers les professeur.e.s des autres disciplines, a priori de mathématiques, technologie ou sciences de l’ingénieur. En effet :
- cet enseignement, en ce qu’il se fixe pour objectif, entre autres, d’amener les élèves à se questionner sur les « impacts majeurs sur les pratiques humaines », les « enjeux scientifiques et sociétaux de la science informatique et de ses applications », « à adopter un usage réfléchi et raisonné des technologies numériques dans la vie quotidienne » relève en partie de la culture de l’information et des médias, en mettant en perspective les dimensions éthique, civique, économique, sociale des objets numériques, d’une part, et leur dimension technique, d’autre part ;
- les notions et savoirs suivants relèvent d’une pratique pédagogique et didactique déjà largement développée par les professeur.e.s documentalistes : les thématiques du web, des réseaux sociaux, des données structurées et leur traitement…
Il semble donc indispensable que la profession puisse s’emparer de cet enseignement et y prendre pleinement sa part, de manière pérenne, en complémentarité avec les collègues des autres disciplines concernées, dans une logique de répartition des objets d’enseignement respectant les compétences propres de chacun.
**Une institution qui cherche à nous détourner de l’enseignement
A défaut d’être pris.es en considération sur le champ de leur mission d’enseignement, les professeur.es documentalistes ont encore principalement dû se contenter cette année, en guise de formation, de réflexions institutionnelles sur le lieu marquées par les résurgences récurrentes des concepts apparentés aux 3C, accompagnées de nombreux plans de formations académiques axés sur la collaboration vie scolaire/professeur.e documentaliste. Le cynisme a même été, dans le rapport Charvet, jusqu’à proposer la création de Biblio-labs visant le rapprochement des compétences des professeur.e.s documentalistes et des Psy-EN, dans un contexte particulièrement tendu de démantèlement du réseau ONISEP.
Cette tendance à vouloir occuper les professeur.e.s documentalistes à des tâches ne relevant pas de leur mission s’est également traduite cette année par des sollicitations de plus en plus fréquentes pour assurer les fonctions de référent GAR ou RGPD. L’A.P.D.E.N. a ainsi été invitée à une audience portant sur le numérique éducatif qui, tout en soulevant des questions intéressantes, n’a pas permis d’aborder les questions en rapport avec notre cœur de métier : l’enseignement.
L’innovation pédagogique - leitmotiv institutionnel déjà critiquable dans sa revendication systématique et sans nuance - ne peut advenir ni par le seul lieu, ni par le numérique en tant que tel, et ces velléités de rapprochement (fusion ?) entre vie scolaire, orientation et professeur.e documentaliste n’ont rien de naturel : ils ne sont permis que par le caractère pluri-catégoriel, à la cohérence discutable, d’une inspection commune. En l’absence d’une inspection spécifique à la documentation, qui seule pourrait assurer la prise en charge des chantiers spécifiques ouverts par la circulaire de mission de 2017, l’A.P.D.E.N. considère ces réflexions non pertinentes comme un moyen de ne pas traiter les réels problèmes de la profession.
**Une invisibilisation institutionnelle qui ne se limite plus à la mission d’enseignement
Autre point saillant cette année, l’invisibilisation institutionnelle de la profession ne se limite malheureusement plus à la mission d’enseignement. Cette année a été marquée par le constat, dans la quasi totalité des académies, de l’absence des professeur.e.s documentalistes parmi les destinataires des messages adressés par le ministre à tou.te.s les enseignant.e.s, qu’il s’agisse de sujets touchant à la fonction en général, ou à des opérations ministérielles relatives à la lecture, dont nous sommes pourtant des acteurs centraux dans les établissements scolaires. Le bureau national a interpellé directement le ministre à ce sujet, par le biais d’un courrier listant les différentes inégalités de traitement qui pénalisent les professeur.e.s documentalistes.
Car si cette question de la communication institutionnelle est symbolique, elle en dit long sur le manque de reconnaissance que nous subissons, et sur notre invisibilité au sein de l’institution ; surtout, elle est la partie visible et récurrente de nombre de dispositions et dispositifs dont les professeur.e.s documentalistes sont seul.e.s exclu.e.s parmi l’ensemble des professeur.e.s certifié.e.s. Si l’envoi de ce courrier a été largement salué par de nombreux collègues, comme c’est souvent le cas concernant les actions de l’association relatives au statut, nous regrettons que cet élan ne se traduise que trop rarement par un engagement associatif concret, ne serait-ce que par le simple acte d’adhérer. Les débats suscités sur les listes de diffusion permettront peut-être une prise de conscience de certains collègues, préalable à un réel engagement personnel et collectif.
Approfondir le travail de définition et d’appropriation des contenus d’un enseignement en information-documentation
Malgré ce contexte professionnel pesant, l’A.P.D.E.N. a mené cette année encore un travail important sur les contenus de l’information-documentation.
Le comité éditorial coordonné par Gildas Dimier a évidemment poursuivi son remarquable travail pour la revue Mediadoc, intégrant les apports scientifiques de la recherche afin de les rendre accessibles aux collègues et aux étudiant.e.s. Le Wikinotions Infodoc a quant à lui fait l’objet d’une charge de mission confiée à l’A.P.D.E.N. Nantes, afin de recréer autour de cet outil essentiel, très investi par les étudiant.e.s en formation initiale autant que par les collègues en poste, une dynamique collective qui a pu lui manquer ces dernières années. L’objectif est de relancer l’actualisation des contenus publiés, de les amender au besoin, et de compléter les fiches existantes en fonction des éventuels manques identifiés.
Dans le domaine des contenus didactiques, l’’année associative a également été fortement marquée par la tenue du 11e congrès de l’A.P.D.E.N. les 22, 23 et 24 mars 2019 à Grenoble, temps de formation professionnelle majeur, riche d’échanges et de découvertes sur le thème de la publication en ligne. Les interventions ont été de grande qualité et les participants globalement très satisfaits, faisant de cette 11e édition un succès sur le plan intellectuel et organisationnel.
Le bureau national a assuré la responsabilité scientifique du congrès, comprenant en particulier le choix de la problématique, la constitution et le pilotage du comité scientifique qui a sélectionné les vingt-sept intervenants retenus pour la constitution du programme. Il avait également en charge la communication publique sur l’évènement. Le bureau académique de Grenoble a pris en charge l’organisation matérielle et logistique de l’évènement, concernant le lieu, l’organisation des espaces, l’équipement, le salon des exposants et la recherche de partenaires, la gestion des inscriptions et l’accueil. Une réussite pour une équipe qui avait courageusement relevé en 2017 le défi que constituait alors ce lourd dossier, quand elle ne comptait initialement que six membres, au sein d’un bureau constitué à peine deux mois plus tôt !
Cet événement important pour la profession et indispensable à la santé financière de la Fédération n’a, malgré sa qualité indiscutable, cependant pas été suivi à la hauteur de ce que nous espérions, alors même qu’il a mobilisé de manière extrêmement importante, et sur le long terme, les équipes grenobloise et nationale, impliquant une mise en veille relative des autres dossiers associatifs. En dépit d’une communication très soutenue - qui a démarré bien en amont du congrès - aussi bien sur les réseaux sociaux que sur les listes professionnelles nationales et académiques, et en présentiel lors de réunions de bassins, le bilan des inscriptions est inférieur à celui escompté. Au regard des énergies et du budget investis, cela représente une déception importante, qui confirme une tendance amorcée sur les deux congrès précédents.
Dynamiser la vie associative dans la Fédération
La question de l’engagement des professeur.e.s documentalistes dans les collectifs professionnels, qu’il s’agisse des syndicats ou des associations, se pose avec acuité depuis de nombreuses années déjà, et a pris peu à peu une dimension inquiétante pour la pérennité de la Fédération.
Si le niveau global des adhésions reste stable, il reste insuffisant pour assurer la capacité de l’A.P.D.E.N. à peser de manière suffisante face à une institution qui bafoue les principes élémentaires du dialogue social. Au delà, cette insuffisance de l’engagement pèse très lourdement sur la capacité des différentes entités qui composent la Fédération à assurer leur fonction au service de toute la profession. Les équipes de bénévoles, au niveau académique, peinent à se renouveler de manière suffisamment conséquente et régulière, et les énergies s’épuisent, parfois jusqu’à la disparition pure et simple de la présence associative dans certaines académies.
Le Bureau national, issu des Bureaux académiques, n’est inévitablement pas épargné et souffre des mêmes difficultés, devenues particulièrement prégnantes depuis trois ans, malgré les multiples alertes formulées. De fait, cette année, les forces du Bureau national se sont érodées après le congrès. Nous n’avons pas pu répondre à toutes les sollicitations, ni porter les dossiers importants avec la force que nous aurions souhaitée. A court terme et dans ce contexte d’épuisement, comment assurer la pérennité d’actions lourdes, telles que les audiences auprès du ministère, les enquêtes de terrain, la rédaction d’analyses et de propositions sur les questions vives de la profession, la maintenance et la mise à jour des outils professionnels ?
Le réseau associatif de l’A.P.D.E.N. ne baisse cependant pas les bras : des expériences portant sur des formes de gestion différentes, comme à Nantes ou à Rennes, ou la mutualisation de force et de compétences, comme en Ile de France, donnent de réelles perspectives. Toutefois, elles ne seront pas suffisantes pour assurer l’existence à long terme de l’association sans une réelle prise de conscience du terrain. Aussi, nous achèverons ce rapport moral par un appel : professeur.e.s documentalistes, l’A.P.D.E.N. ... c’est vous ! Adhérez pour la soutenir et lui permettre d’exister, rejoignez les équipes académiques pour contribuer, à votre niveau et selon vos possibilités, à l’indispensable travail collectif que nous menons au service de la profession. Nous comptons sur vous !