2012
juin
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Les nouveaux médias : sphère publique, sphère privée

Une question éminemment politique

Medias, nouveaux medias sont à l’origine de la construction de la pensée elle-même, ils déterminent notre relation au monde et aux autres. Il y a là une dimension citoyenne et politique à laquelle s’attache Olivier Dhilly en évoquant la problématique de la sphère privée et de la sphère publique. Quelle conscience en ont les jeunes dans leurs pratiques et quelles conceptions de l’homme et de la cité en découlent ?

Article paru dans le Médiadoc N°2, Avril 2009. Par Olivier Dhilly, CLEMI

Si les médias occupent une place essentielle dans la vie publique de l’espace politique, ils nous confrontent également sans cesse à la question de la séparation entre la sphère publique et la sphère privée. Le développement des nouveaux médias semble rendre encore plus quotidienne cette question. Les blogs, les réseaux sociaux, la place de l’individu producteur de contenus, la traçabilité des comportements, etc., suscitent un engouement mais aussi sans cesse des mises en garde. C’est ainsi que l’éducation aux médias prend toute sa place, non pas uniquement en ce qu’elle interroge la valeur de l’information, notre rapport à l’image ou le pouvoir des médias, mais aussi en ce qu’elle nous impose de facto de nous interroger sur les distinctions qui sont au fondement du politique et qui engagent notre citoyenneté. Qu’est-ce qui définit notre vie privée ? Qu’est-ce qui constitue l’espace public ? Comment penser leurs rapports ?... Autant de questions inévitables pour qui veut apprendre à s’orienter dans le monde contemporain et qui participent de la réflexion critique nécessaire à toute éducation citoyenne.

Une question partout présente

Avec le développement des médias, semble revenir de manière constante une interrogation sur les rapports entre la sphère publique et la sphère privée. Cette question n’est pas nouvelle, elle parcourt toute l’histoire de la pensée politique, de la pensée grecque à nos jours, en passant par Kant ou Rousseau, pour ne citer que ces deux philosophes. Le fait est qu’avec les nouveaux médias, la question semble parfois brûlante : elle ne renvoie pas uniquement aux lecteurs de la presse people ou, parfois, d’une presse plus sérieuse, elle ne renvoie pas non plus seulement à des stratégies de communication plus ou moins maîtrisée de la part des politiques, elle renvoie également aux pratiques quotidiennes que tout un chacun peut avoir en tant que nous sommes devenus des producteurs de messages médiatiques. Les mutations de ces dernières années semblent donc nous confronter quotidiennement à cette question qui interroge à la fois chacun en tant que citoyen mais aussi les usages et les comportements de tous. C’est une évidence de dire que les outils à notre disposition ont considérablement évolué ces dix dernières années. Il suffit pour cela de passer deux minutes à regarder un téléphone portable pour constater que la téléphonie est une fonction parmi d’autres à un point tel qu’une société essaye de relancer sur le marché des téléphones qui ne feraient que téléphone, visant ainsi les générations qui se trouvent dépassées par la rapidité des évolutions techniques.

Mais si nous souhaitons nous attarder plus précisément sur les jeunes générations qui sont immédiatement concernées par l’école et la question de l’éducation, limitons-nous d’abord, dans le cadre de cet article, à des outils peut-être encore plus révolutionnaires et que le développement d’Internet rend possibles. Je me permets d’utiliser à dessein le terme de révolution ici et j’essayerai, dans la suite de mes propos de le justifier rapidement. Ces cinq dernières années ont vu se développer de manière exponentielle les blogs, et ces derniers temps les réseaux sociaux. Nous le savons, si les journaux intimes se présentaient avant tout, comme leur nom l’indique, comme n’ayant pour lecteur que l’auteur, les blogs sont rédigés pour être lus par d’autres. De même, le développement des réseaux sociaux conduit à des situations parfois délicates : des photographies de soirées visibles par un grand nombre, des informations personnelles qui circulent… à un point tel que des recruteurs consulteraient le net pour se renseigner sur les postulants avant même les entretiens d’embauche. Il y a peu de temps, un journaliste du Tigre [1] s’est ainsi appliqué à reconstruire la vie privée d’un individu avec de nombreux détails simplement à partir des données qu’il trouvait sur le net. Des sites fonctionnant comme des meta-moteurs [2] permettent de trouver, en entrant le nom d’une personne, tous les éléments (textes, photos, vidéos…) la concernant et qui auraient pu être publiés sur des sites divers. Il y a peu de temps, le réseau Facebook s’était octroyé un droit définitif d’exploitation de toutes les données que chaque inscrit entrait sur son espace. Face à une fronde des usagers, une marche arrière a été très vite envisagée. Ces situations sont connues de tous et renvoient à la question traditionnelle des rapports entre la vie publique et la vie privée. Elles peuvent être une occasion, dans une démarche éducative d’initier une interrogation avec les élèves sur cette question éminemment politique. Je souhaiterais ainsi montrer, en proposant quelques points d’analyse, en quoi une éducation aux médias contribue, sur ce point précis, à une éducation à la citoyenneté et préciser en quel sens on peut entendre ici cette dernière expression. Pour cela, je vais rapidement m’attacher à montrer en quoi cette question, qui apparaît avant tout à travers la nécessité d’une protection de la vie privée, engage en réalité une réflexion beaucoup plus générale sur les rapports entre public et privé. Il s’agira alors de saisir en quoi la question des rapports entre ces deux notions est au cœur d’enjeux politiques précis. En d’autres termes, à côté d’une réponse juridique nécessaire, l’école, à travers une éducation aux médias, peut remplir ici sa mission d’éducation à la citoyenneté si elle permet une approche critique face à des concepts dont la complexité ne peut se satisfaire d’une réponse « clef en main ».

Vie privée, vie publique

Nous le voyons à travers les exemples très rapidement évoqués, la question est ample et touche de nombreux domaines et de nombreuses pratiques. Mais il peut paraître plus simple de partir des pratiques des élèves qui peuvent, ici, devenir un moyen de rencontrer la question sur d’autres plans.

La protection de la vie privée est devenue une revendication centrale de nos sociétés modernes et contemporaines. L’atteinte à la vie privée est considérée comme une atteinte à la liberté et au bonheur des individus. Notre droit, plus particulièrement en France, fournit sur ces questions un arsenal juridique permettant de remettre en cause toute exposition d’une personne indépendamment de sa volonté. Il s’inscrit dans le prolongement d’une tradition qui sépare ce qui relève du public, du monde commun, lieu du débat citoyen, de ce qui relève de la sphère propre et individuelle. C’est en ce sens qu’il paraît immédiatement essentiel, face à tout débordement, de rappeler le droit et de montrer la transgression qu’il y a à dévoiler la vie privée d’un autre. La question devient un peu plus délicate lorsqu’il s’agit de discuter face au dévoilement volontaire de sa propre vie privée. En dehors de tout attentat à la pudeur, là encore condamné par la loi, le discours généralement tenu consiste à faire part du danger qu’il y aurait à trop se montrer alors que l’on perd la maîtrise de l’usage qui sera fait des éléments exposés. Avec un tel argument, la réponse renvoie alors à l’intérêt particulier de l’individu, certes essentiel, mais qui ne conduit pas nécessairement et de manière immédiate à un enjeu politique et citoyen. L’occasion est alors sans doute offerte de donner, dans une perspective d’éducation, une dimension toute autre à ce problème. En d’autres termes, pourquoi faut-il protéger la vie privée et surtout, ce qui est plus fondamental ici, qu’est-ce qui définit cette séparation entre la vie privée et la vie publique ?

La question semble d’abord tranchée aisément. La vie privée est ce qui est propre, intime, ce qui « ne regarde pas les autres », alors que la vie publique est ce qui doit « tomber sous le regard » des autres. La naissance, la mort, la sexualité, d’une manière générale, ce qui se passe généralement dans le foyer est privé, lieu d’ailleurs que l’on oppose à la place publique, lieu du débat politique. A ce niveau de réflexion, deux premières remarques peuvent être faites. Tout d’abord, en ce sens, c’est avant tout l’espace public qui est synonyme de liberté. Il ne faut pas oublier que le terme « privé » signifie également « absence », « manque » : « être privé de quelque chose » c’est ne pas pouvoir en bénéficier. Ainsi, celui qui n’aurait qu’une vie privée est celui à qui manquerait la vie publique. Comment, dans ces conditions, si l’espace public est le lieu de la liberté, peut-on considérer que la protection privée sauvegarde la liberté ? Définir immédiatement le privé comme ce qui ne regarde pas les autres et qui est propre, semble immédiatement problématique. Comment fixer précisément la limite ? En effet, le développement des technologies, aussi bien des biotechnologies que des technologies de l’information et de la communication, semble bouger les lignes, ou tout au moins faire apparaître dans la sphère publique des questions qui jusqu’alors ne relevaient que de la sphère privée. Pour ne prendre que deux exemples, le débat sur l’euthanasie pose la question de la place que peut occuper la puissance publique dans la question de la mort, de même, les débats sur le contrôle des naissances et l’avortement ont conduit à se demander si la question du fœtus relevait d’une affaire publique ou d’une affaire privée [3]

L’espace public, lieu de la liberté

La complexité de la question tient au fait que les enjeux sont fondamentaux quant à la place du politique. Dans des analyses qui ont fait date, la philosophe Hannah Arendt [4] s’est attachée à rendre compte de ces transformations que nous venons d’évoquer dans notre première remarque. La distinction public/privé trouve son origine dans la détermination du champ politique comme lieu commun à l’intérieur duquel l’homme se développe en tant qu’homme dans un échange avec les autres sur des valeurs qui norment les comportements au sein de la cité. C’est ainsi à partir de la définition de l’homme comme animal politique, définition que l’on trouve chez Aristote, que le champ du public est défini. L’espace public, par exemple, l’agora de la cité, est ce lieu dans lequel l’homme accomplit ses fonctions les plus hautes alors que l’espace privé, le foyer, est celui dans lequel il satisfait essentiellement ses besoins. Si l’espace privé est celui de l’éphémère, l’espace public est celui dans lequel l’homme s’inscrit dans une durée qui le dépasse, participant à la construction de la cité et à ses développements par delà son existence finie. L’espace public est ainsi la grandeur du politique et son existence fait que l’homme n’est ni un simple animal ni un barbare [5] . Arendt montre alors comment, de cette distinction clairement énoncée et présente dans la tradition grecque, nous en sommes venus à une confusion des genres, à une perte de l’espace public.

Big brother is watching you

Le spectre qui hante Arendt et d’ailleurs aussi notre culture contemporaine, est celui du totalitarisme. Remarquons simplement que face au développement d’entreprises comme Google ou encore à la décision de Facebook évoquée plus haut de conserver les données privées des internautes inscrits, de nombreux discours faisant référence au Big brother de 1984 émergent sans cesse. La transparence de la vie privée de chacun à travers la maîtrise globalisée des données personnelles et le traçage des comportements sur le Net font immédiatement penser à cette dépossession que tout individu subirait, dépossession qui mettrait en danger l’humanité elle-même. Si Arendt poursuit une telle analyse sur la perte du monde commun, de l’espace public et donc du politique, c’est parce qu’elle cherche à rendre compte de cet événement nouveau apparu au XXe siècle à travers les régimes totalitaires. Or, ce qui caractérise, entre autre, ces régimes est la disparition de la distinction entre l’espace public et l’espace privé et donc la perte du monde commun. Il suffit, par exemple, pour le saisir, de constater cet effort poursuivi par les régimes totalitaires pour embrigader les enfants dès le plus jeune âge, les privant ainsi de la sphère familiale (sphère privée) et supprimant de facto toute sphère publique qui n’existe que par opposition à la première.

Des enjeux citoyens

Il ne s’agit pas de revenir dans le cadre de cet article sur les éléments précis qui nourrissent l’analyse d’Arendt [6] permettant de comprendre cette disparition du public, mais de souligner cette actualité de sa pensée dans les réactions que nous pouvons avoir face aux comportements que nous voyons se développer avec les nouveaux médias. Ces mises en garde que nous entendons s’inscrivent bien, à de nombreux niveaux, au cœur des analyses cherchant à comprendre la spécificité de cet événement qui a traumatisé notre conscience contemporaine. C’est ici, pour retrouver notre question initiale, que nous pouvons voir les premiers éléments qui peuvent nourrir un travail éducatif et réflexif à partir des nouveaux médias. Si certaines pratiques peuvent paraître anodines à de nombreux jeunes usagers, il peut paraître essentiel de rappeler les enjeux qui les sous-tendent. C’est ici qu’il peut alors devenir possible, toujours à partir de ces pratiques, d’interroger aussi plus globalement les médias d’information et la manière dont ils abordent cette question des rapports entre la vie publique et la vie privée. L’actualité et son analyse, devient alors un terrain riche d’exemples. Mieux encore, nous pouvons saisir en quoi son étude retrouve, au regard de ce que nous avons rapidement présenté, des enjeux citoyens et politiques.

Mais quand bien même nous aurions commencé à souligner les enjeux de la question, nous n’avons pas pour autant réglé de manière définitive ce qui préside à la distinction entre ces deux sphères. C’est ici que nous rejoignons notre deuxième remarque qui engageait une interrogation sur les rapports entre le développement des techniques et des technologies et la question de la frontière entre le public et le privé. Je souhaiterais, désormais proposer des pistes rapides de réflexion qui permettront, peut-être, de montrer encore mieux les enjeux de cette séparation dans des débats d’actualité qui sont au cœur d’une éducation citoyenne et qui participent essentiellement d’une éducation aux médias.

Le public et le privé en mouvement ?

Nous remarquions donc que semblait se poser la question des rapports entre public et privé au regard du développement des technologies. Or, nous pouvons souligner que l’idée d’un espace public pur comme lieu de débat, comme sphère du politique, opposé à la sphère privée repose, entre autre, sur une certaine conception de l’espace et du lieu. La place publique de la démocratie athénienne est structurée au sein de la cité, elle-même séparant le lieu de l’humanité (l’intérieur des frontières de la cité) du no man’s land de la barbarie (l’extérieur de la cité). Ainsi, lorsqu’elle s’attache à rendre compte de la disparition du politique, Arendt s’attarde sur trois événements : la Réforme, la naissance de la physique moderne et la découverte du nouveau monde. Ces deux derniers éléments renvoient bien ainsi à une transformation de notre rapport au lieu et à l’espace et participent, selon ces analyses, à la perte d’un monde commun. Ils constituent une révolution pour revenir sur le terme rapidement évoqué au début de cet article.

Or, il serait difficile de nier que le développement des technologies transforme bien notre rapport aussi bien au temps qu’à l’espace et au lieu, et recèle alors également une dimension révolutionnaire. Si l’on ne veut pas tomber dans un discours de la nostalgie en regrettant sans cesse une certaine conception du politique qui aurait disparu et en voyant dans le progrès des techniques la perte de l’humanité, difficile alors de ne pas se demander si ces développements ne nous contraignent pas à interroger à nouveaux frais les rapports entre public et privé. Il ne s’agit pas pour autant de remettre en cause cette distinction. Nous avons essayé de le souligner rapidement, sa disparition est immédiatement liberticide. Mais nous pouvons nous interroger pour savoir si la séparation entre ces deux sphères doit être pensée de manière définitive et anhistorique [7] .

Comprendre les enjeux du débat

Or, cette question est bien au cœur de la réflexion politique contemporaine et de la question citoyenne. Parmi ces pistes rapides que nous évoquons, nous ne pouvons ignorer que cette question de la distinction entre le public et le privé conduit, par exemple, la pensée de la laïcité. Notre tradition française républicaine repose bien ainsi sur la séparation entre la chose publique et la chose privée. Elle s’inscrit dans la tradition d’une pensée pure de l’espace public qu’il s’agit radicalement de séparer de toute revendication communautariste ou identitaire. C’est en ce sens que la laïcité est bien définie comme un principe de notre République. Les débats récents que nous voyons apparaître au sein de la société sur la « laïcité positive » ou la « discrimination positive » et qui sont au cœur d’une réflexion citoyenne, engagent une réflexion sur la distinction entre le public et le privé et la conception que nous pouvons avoir de leurs rapports [8] . L’objet n’est pas ici de prendre partie ni de trancher en prétendant remettre aussi légèrement en cause des principes fondamentaux. Si les évolutions techniques, et en particulier pour ce qui nous concerne ici celles des pratiques médiatiques des jeunes usagers ou des médias, nous contraignent à penser, c’est dans le sens d’un travail réflexif qui définit ce que nous qualifions généralement comme étant une des finalités essentielles de l’école à savoir la formation de l’esprit critique.

Éducation aux médias : des enjeux politiques

Nous avons essayé, de manière sans doute beaucoup trop rapide, de proposer des pistes de réflexion à partir de situations auxquelles nous ne cessons d’être confrontés. Le cadre de cet article ne permet pas la discussion ni une construction plus élaborée des problèmes rencontrés [9] . Toutefois, il s’agissait d’indiquer que les enjeux des pratiques, aussi bien des jeunes que des médias d’information au sein de la cité, ne sont pas minces. La question n’est pas simplement celle d’une curiosité plus ou moins malsaine ou d’intérêts particuliers qu’il s’agirait de préserver en prévision d’un entretien d’embauche ! Face à tout débordement, il faut rappeler le droit. Ceci constitue une étape nécessaire [10] . Mais tout travail d’éducation suppose aussi la nécessité d’une réflexion. C’est ainsi une double orientation que nous retrouvons et qui se trouve au cœur de toute éducation aux médias : un travail sur les pratiques médiatiques des jeunes mais aussi un travail sur les médias eux-mêmes et chacun trouvera à tout moment dans l’actualité des éléments suscitant cette réflexion. L’éducation aux médias comme éducation critique est donc radicalement une éducation citoyenne que l’urgence des évolutions nous oblige à placer au cœur de l’école.

Notes

[1En janvier 2009, le magazine le Tigre a réalisé le portrait d’un inconnu sur Internet, Marc L* : http://www.le-tigre.net/Marc-L.html

[2Spock par exemple, est un moteur permettant de telles recherches ou encore http://www.cvgadget.com . On voit d’ailleurs apparaître désormais aux Etats-Unis des sociétés proposant comme service d’effacer sur le net, à la demande des individus, les traces qui pourraient rester...

[3Barbara Duden, L’invention du foetus, ed. Descartes et Cie, 1995.

[4La Condition de l’homme moderne, H. Arendt, Calmann-Lévy, Payot.

[5Aristote dans La Politique montre ainsi que tout individu qui vit en dehors de la cité est soit un barbare soit un dieu. Un barbare parce qu’il ne se développe pas en tant qu’homme, ou un dieu parce qu’il n’a pas besoin des autres hommes pour se développer et pour exister.

[6Pour donner rapidement des éléments de réponse à la question posée plus haut, précisons simplement qu’Arendt situe la disparition de la distinction à travers la naissance d’une nouvelle catégorie : le social. C’est alors contre la société que va se développer un discours de protection du privé et de l’intime qui nous conduira à voir dans la protection de la vie privée, une sauvegarde de notre liberté. Cette liberté n’est plus alors à proprement parler la liberté politique du citoyen débattant au cœur de l’espace public, mais celle de l’individu se protégeant de la contrainte et des pressions sociales. Le développement du social conduit alors à un brouillage des distinctions entre le public et le privé jusqu’à la disparition de ces deux sphères. L’Etat totalitaire n’est pas un Etat dans lequel le privé disparaît au profit du public, mais cet Etat dans lequel il n’y a plus ni privé ni public.

[7Ces points sont développés dans un article plus complet en ligne sur le site du clemi : http://www.clemi.org/fr/ressources/...l’objet du présent article n’étant pas de construire précisément une réflexion sur les rapports public/privé, mais de montrer comment cette réflexion est nécessaire et surtout comment l’éducation aux médias engage une réflexion citoyenne et politique.

[8Le modèle d’intégration républicaine repose ainsi sur le principe d’un espace public pur étranger à toute détermination ou revendication identitaire reléguée dans la sphère privée. Il s’agit alors radicalement de distinguer le citoyen de l’individu. D’aucuns soulignent les limites de ce modèle dans son rôle d’intégration. A l’opposé, le modèle communautarien insiste sur la nécessaire reconnaissance des identités constitutives de la personne. Il s’agit alors de refuser l’idée d’un espace public pur et de revendiquer la nécessaire présence, dans la sphère publique, des identités. Le risque est alors celui d’une balkanisation de la société et donc de la dissolution de l’unité. C’est donc bien, une fois encore la question des rapports entre le public et le privé qui sont en jeu.

[9Les analyses d’Habermas à la suite de Kant sur la naissance de l’espace public comme contemporain du développement de la presse ou encore les débats contemporains sur les identités ou le communautarisme seraient essentiels pour approfondir la question.

[10Il ne s’agit en rien ici d’exclure la dimension juridique même si elle n’occupe pas de place dans nos propos parce que tel n’était pas l’objet ici. Cette dimension fait évidemment partie d’un travail d’éducation aux médias.

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