2014
juin
27

La FADBEN devant le CSP

Compte-rendu d’audition

Le mercredi 18 juin, la Fédération des enseignants documentalistes de l’éducation nationale (FADBEN) a été auditionnée dans le cadre des travaux du Conseil supérieur des programmes (CSP). La FADBEN était représentée à cette occasion par Héloïse Lécaudé, membre du bureau national, et Gildas Dimier, vice-président. Alexandre Serres est venu compléter la délégation, invité par la FADBEN à participer à cette audience pour sa connaissance des enjeux de la culture informationnelle et pour les propositions formulées sur le curriculum info-documentaire par le Groupe de recherche sur la culture et la didactique de l’information (GRCDI) qu’il anime.

(Note : Un document de communication synthétique, au format quatre-pages, a été remis à nos interlocuteurs à l’occasion de cette audition. Nous le plaçons en pièce jointe à ce compte-rendu au format PDF.)

Nous avons été reçus par M. Roger-François GAUTHIER, membre du CSP, Mme Véronique FOUQUAT, secrétaire générale du CSP, M. Pierre LAPORTE, secrétaire général adjoint du CSP et Mme Sophie FERHADJIAN, chargée de mission au secrétariat général du CSP, avec qui nous avons pu échanger pendant une heure.

Les membres du CSP nous demandent en premier lieu si nous pouvons leur donner notre avis sur la proposition de Socle commun publiée le 14 juin [1]. Nous avions prévu d’évoquer, de manière synthétique, les enjeux de la formation des élèves à la culture informationnelle, puis de présenter notre réflexion sur le curriculum info-documentaire. Le CSP précise en préambule la philosophie de sa mission : mettre en cohérence des champs jusque là éclatés. Le Socle commun sera le garant de cette cohérence, pour le CSP, dans l’idée de mettre en place un curriculum français de la scolarité obligatoire.

Propos sur le curriculum info-documentaire

En ouverture des échanges, Gildas Dimier réalise une présentation sur la nature et les contenus du curriculum info-documentaire selon quatre axes, en précisant que nous appelons de nos vœux un élargissement des acteurs associés à cette réflexion, avec des demandes formulées en ce sens auprès du Ministère pour que soit constitué un groupe de travail.

Nous commençons par aborder la question des savoirs info-documentaires dont nous envisageons l’importance en écho à la Charte relative à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi des programmes d’enseignement ainsi qu’aux modalités d’évaluation des élèves dans l’enseignement scolaire [2], dans laquelle il est précisé en préambule que "les savoirs enseignés à l’école doivent aider les élèves à se repérer dans la complexité du monde". C’est bien là la vocation du travail épistémologique qui est mené sur les notions organisatrices et essentielles répertoriées notamment dans le Wikinotions InfoDoc [3].

Dans une approche qui privilégie la recherche de cohérence dans l’articulation de ces savoirs avec une pédagogie qui fasse sens pour les élèves, nous opérons une transition pour aborder les démarches pédagogiques qui nous semblent adaptées au modèle du curriculum info-documentaire. A ce sujet, nous rappelons que les professeurs documentalistes sont recrutés par Capes, concours dont une partie des épreuves trouve un ancrage scientifique dans les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC).

Enseigner-apprendre l’information-documentation est un axe essentiel pour la FADBEN, en s’appuyant notamment sur une démarche qui privilégie l’entrée par les situations. Celles-ci sont fondées sur une construction qui repose sur un ancrage dans le réel qui fait sens chez les élèves, qui se réfère a leurs pratiques informelles, et qui privilégie la complexité, ce qui suppose que les élèves convoquent des concepts, des capacités et des attitudes dans la résolution d’un problème transférable.

Nous cherchons par ailleurs à dépasser les clivages actuels. Nous posons pour cela le principe d’une articulation entre des compétences dites "intégratives" et des savoirs “opératoires”. Au-delà de leur dimension pragmatique et objectivée, les compétences “intégratives” sont alimentées par des connaissances déclaratives, procédurales, métacognitives et stratégiques ainsi que par des attitudes. Les savoirs "opératoires" ont quant à eux une vocation structurante en ce qu’ils favorisent l’analyse et la distance critique permettant aux élèves de les remobiliser dans des contextes différents.

Pour terminer sur ce point, nous précisons notre conception d’un modèle souple qui rende possible le principe de modes d’intervention pluriels, en responsabilité seul, en interdisciplinarité ou en transdisciplinarité.

Nous introduisons par ailleurs la notion de progressivité dans les apprentissages, en insistant sur la nécessité d’une progression “spiralaire” qui permette de réinvestir les acquis tout au long de la scolarité des élèves. Sur ce point, nous cherchons à montrer à nos interlocuteurs les limites auxquelles les professeurs documentalistes sont actuellement confrontés, en particulier l’absence de temps dédiés pour l’enseignement. L’objectif structurel de la mise en place du curriculum serait de permettre de dépasser les problèmes de contingences locales, qui contraignent toujours les professeurs documentalistes à négocier les séances face à des élèves, avec des degrés de réussite variables en fonction des réalités d’établissement. L’égalité pour tous les élèves est une préoccupation majeure du CSP, ainsi qu’explicité dans la Charte des programmes [4].

Nous évoquons aussi la nécessité de prendre en compte le développement psychologique et cognitif des élèves, alors que le niveau Sixième est actuellement souvent "surinvesti" par les professeurs documentalistes en terme de temps d’enseignement-apprentissage, quitte à devoir y aborder parfois des notions trop complexes qui gagneraient à être développées plus tard dans la scolarité des élèves.

En conclusion, nous évoquons la question de l’évaluation selon deux idées. Pour sa dimension spécifique dans la pratique enseignante en ce qu’elle donne une valeur, que l’évaluation soit diagnostique, formative, sommative ou certificative, et permet une rétro-action des actions formatrices. L’évaluation est par ailleurs essentielle pour mettre en valeur les connaissances et compétences des élèves, ainsi que la progressivité de leur acquisition, reprenant ainsi les termes de la circulaire de rentrée de 2014 [5].

Réactions et temps d’échange

A ce stade de la réflexion du CSP, il ne sera pas question de promulguer un cadrage national, mais de donner des pistes qui seront à mettre en œuvre localement, dans chaque établissement.

Le CSP pose plusieurs pistes de réflexion dans le domaine info-documentaire, à lire toujours dans la perspective du Socle commun :

  • comment penser un CDI du socle ?
  • existe-t-il une continuité de formation dans la scolarité obligatoire, entre le primaire et le secondaire ?

Nous n’avons, en tant qu´enseignants du secondaire, que peu de visibilité sur les pratiques pédagogiques info-documentaires en primaire, même si nous savons que dans les programmes actuels apparaissent ponctuellement quelques notions ou compétences. Alexandre Serres signale qu’en revanche, des observations sont menées dans le supérieur, qui montrent le manque et l’hétérogénéité des compétences informationnelles des étudiants, imputables à l’absence de cohérence et de généralisation des formations assurées dans le secondaire.

Propos sur les enjeux

Alexandre Serres revient sur les différents enjeux de l’éducation à l’information, et notamment l’enjeu politique et citoyen d’une part, et l’enjeu social d’autre part.

En ce qui concerne l’enjeu politique et citoyen, si l’on devait chercher dans l’actualité récente une raison de développer massivement la formation des élèves aux médias et à l’information, on pourrait la trouver dans cet article du Monde du 22 avril dernier, intitulé “Le bac, option complot”, qui devrait alerter tous les responsables éducatifs. Cet article faisait le constat très inquiétant de la vogue des théories du complot dans les lycées. Sans pouvoir développer ici la question complexe de la montée des croyances les plus folles et du rôle d’internet dans leur propagation, il est clair que l’école a et aura une responsabilité majeure pour apprendre aux élèves, dès le plus jeune âge, à filtrer, à évaluer, à critiquer l’information. Actuellement, elle ne le fait pas vraiment, ou insuffisamment, et il est donc urgent de prendre conscience des enjeux cruciaux de cette question de l’évaluation autonome de l’information par les élèves.

Bien sûr, l’une des réponses aux complotismes et aux infopollutions de tous genres, qui prolifèrent sur internet, reste une bonne culture générale, que l’école est censée fournir, ainsi que des connaissances disciplinaires. Mais la complexité, la spécificité et l‘ampleur des enjeux de l’évaluation de l’information sur le web appellent des réponses éducatives spécifiques, et à la hauteur de ces enjeux. Il faut souligner ici un point important : l’apprentissage de cet art du filtrage, c’est-à-dire la capacité à identifier les sources, à faire preuve d’esprit critique, à évaluer la crédibilité d’un auteur, la pertinence d’une information, etc., toutes ces compétences et savoirs ne relèvent pas strictement d’une formation au numérique, et encore moins d’un enseignement de l’informatique, mais bel et bien d’une formation à la culture de l’information.

Le deuxième enjeu est social et justifie la nécessité d’un enseignement obligatoire de tous les élèves aux médias et à l’information. Il faut rompre une fois pour toutes avec le discours émerveillé et anesthésiant sur les digital natives, et leur supposée maîtrise des outils numériques. Toutes les études et enquêtes scientifiques sur les pratiques numériques des jeunes montrent deux constats majeurs :

  • d’une part, les compétences proprement numériques, techniques, des jeunes sont souvent surestimées, et restent par ailleurs très inégalement réparties ;
  • d’autre part, ces compétences numériques, réelles, ne disent rien des compétences informationnelles, médiatiques, notamment de la capacité à chercher, filtrer, évaluer l’information.

Et l’on sait bien que les vraies fractures numériques, qui clivent la jeunesse comme d’autres catégories de la population, sont avant tout des fractures socio-culturelles, séparant les jeunes disposant du capital culturel nécessaire de ceux qui en sont dépourvus. Si l’école ne dispense pas ici, et en priorité auprès des élèves les plus défavorisés, une formation systématique et progressive aux notions, aux savoirs, aux méthodologies informationnelles, elle ne remplira pas l’une de ses missions fondamentales dans ce domaine : chercher à donner l’égalité des chances.

Mais il ne s’agit pas seulement de lutter contre les inégalités : l’enjeu est bien d’élever les niveaux d’usage des outils numériques de toute une génération, de renforcer, non seulement la culture numérique des jeunes, mais surtout leur culture informationnelle ; la maîtrise de l’information, au sens de l’information literacy, est bien antérieure au web actuel, comme le rappelle cette citation de l’American Libraries Association, qui soulignait dès 1989 « l’importance de la maîtrise de l’information pour les individus, la vie économique et la citoyenneté ». L’enjeu social, la lutte contre les fractures numériques, implique donc la généralisation d’une éducation aux médias et à l’information à tous les élèves, l’inscription de cette formation dans les programmes scolaires.

Pour conclure, Alexandre Serres réaffirme la spécificité de l’éducation à l’information et aux médias, par rapport à la formation, plus large, à la culture numérique ou à l’informatique, ces deux dernières ayant tendance actuellement à monopoliser le débat public et l’attention des décideurs. Certes, l’école doit former les élèves “au numérique”, voire leur donner des bases en informatique ; oui, une nouvelle “culture technique”, fondée sur la compréhension des nouveaux outils et de leur logique, est indispensable. Mais la formation aux médias et à l’information ne saurait être dissoute dans ce fourre-tout du numérique, au risque de générer davantage de confusions dans les têtes. Former des citoyens doués de jugement critique face à l’information et aux médias requiert des savoirs, des compétences, qui précèdent et débordent ceux du numérique.

Réactions et temps d’échange

Roger-François Gauthier reconnaît l’importance d’un “équipement obligatoire” pour chaque élève, au plan intellectuel, pour filtrer l’information. Mais il pose la question : comment créer de l’obligatoire ?

Une possibilité, pour lui, est de mettre des épreuves communes à tous les élèves, à évaluer. Il faudrait également avoir différents niveaux de maîtrise de l’information. Le CSP admet par ailleurs la nécessité de mieux connaître les compétences documentaires.

Le CSP nous précise que la question des horaires et des mises en oeuvre pratiques des programmes n’est pas de son ressort. Le conseil a pour mission de poser les contenus indispensables à transmettre aux élèves au terme de leur scolarité obligatoire, en envisageant, par exemple, la possibilité de moduler les objectifs pédagogiques en plusieurs niveaux de maîtrise et selon différents moments de leur scolarité. Il ne s’agit donc pas de préconiser un module, mais plutôt des compétences à acquérir, jugées indispensables, et des objectifs pédagogiques. Compte tenu de la grande disparité des pédagogies, il serait nécessaire de rendre plus explicites les objectifs pédagogiques.

Le Socle commun apparaît à nos interlocuteurs comme la meilleure arme pour faire connaître notre apport pédagogique, en permettant, par la formation initiale notamment, à chacun de connaître mieux les méthodes et champs disciplinaires de tous. Le travail en équipe, sur des dispositifs transdisciplinaires (ex. : Histoire des Arts en collège ou TPE en lycée général), serait la voie pour transmettre aux élèves les notions et compétences info-documentaires déterminées comme indispensables. La FADBEN note que des temps dédiés pour les savoirs spécifiques, qui seraient clairement identifiés comme tels par nos élèves, nous semblent nécessaires à la construction de la culture informationnelle. Le Conseil Supérieur des Programmes redit sa volonté de ne pas proposer de “recettes” ni d’injonctions globales au niveau national, mais de laisser au contraire latitude aux EPLE pour expliciter en local les moyens mis en œuvre pour développer, à partir du curriculum info-documentaire, la culture informationnelle de tous les élèves.

A la question posée par Alexandre Serres au sujet de l’articulation entre les formations au numérique et à l’information, envisagée par lui sous l’angle de la complémentarité, les représentants du CSP précisent que le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture préconise une approche de la programmation lors de la scolarité obligatoire. Il n’est cependant pas question de former des informaticiens, mais de se positionner sur une “ligne de crête” en apportant aux élèves les éléments essentiels qu’ils se doivent de maîtriser. Ces points seront à préciser dans les programmes.

Conclusion

Au terme de cette audition, nos interlocuteurs nous ont sollicités afin que nous procédions à une lecture critique et propositionnelle de la "Proposition de socle commun de connaissances, de compétences et de culture" [6]. A cette fin, nous convenons d’un nouveau temps de rencontre à compter du mois de septembre, au cours duquel il est notamment prévu que nous échangions sur ce sujet afin de préciser ce qui, pour nous, est à conserver, fait défaut, ou encore devrait être complété.

Il apparaît donc que pour le CSP, le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture est conçu comme la pierre angulaire autour de laquelle viendra s’articuler la construction des programmes. En conséquence, il nous faut faire preuve de circonspection au regard de quelques questions restées en suspens et qui ne sont pas toutes nécessairement de la compétence du CSP : quelle intégration du curriculum info-documentaire dans la réflexion sur le Socle ? Quelle articulation entre curriculum et Socle ? Quels contenus introduire en réponse aux axes généraux développés dans celui-ci ? Quels dispositifs pour les mettre en œuvre et pour les évaluer ?

Documents

Format quatre-pages remis au CSP
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