2023
sept.
22

L’éducation au numérique et le rôle des professeurs documentalistes

Audience à l’Assemblée Nationale le 19 juillet 2023

Le 19 Juillet 2023, l’A.P.D.EN. était invitée à l’Assemblée Nationale par les députés en charge de la mission d’information portant sur l’éducation au numérique. Ce fut l’occasion d’échanger à bâtons rompus pendant plus d’une heure avec Charlotte Goestchy-Bolognese et Hervé Saulignac, respectivement députée Renaissance et député PS, ainsi qu’avec Mme Elena Crétois-Validizic, déléguée aux droits des enfants. Cet entretien s’est articulé autour d’une série de questions qui nous avait été envoyée au préalable et qui a, en partie, guidé nos échanges.

Nous avons commencé cet entretien par présenter le métier de professeur documentaliste, et notamment leur relation déjà expérimentée au numérique, leur pratique professionnelle quotidienne des outils informatiques et leur expertise pédagogique basée sur les Sciences de l’information et de la communication (SIC). Nous avons pointé la distinction sur ce sujet avec d’autres disciplines, notamment du fait que notre CAPES intègre entièrement les enjeux du numérique dans le champ de savoirs qui leur est dédié.

Nos interlocuteurs rapportent qu’ils ont découvert l’existence de professionnels formés sur ces questions en interrogeant Anne Cordier, anciennement professeure documentaliste et actuellement professeure des universités en SIC spécialisée dans les pratiques informationnelles des jeunes, dans le cadre de leur mission d’information. Lors de ces précédents entretiens, les députés ont été surpris d’apprendre qu’il existait un corps de professeurs formés détenteurs d’un CAPES.

Nous avons évoqué ensuite les problèmes que soulèvent les « éducation à », dont l’éducation au numérique.

L’« Éducation à » apparaît comme un moyen pour l’Éducation Nationale d’afficher des intentions, plus ou moins vagues, sans y associer les moyens, avec un objectif ambitieux qui ne peut alors pas être atteint. En cause : le manque de cadre, d’heures dédiées, l’absence de programme, une transdisciplinarité forcée qui dilue aussi les responsabilités, la mise en exergue des interventions extérieures trop ponctuelles pour les buts supposés. Tout cela donne donc des mises en place et des résultats très différents d’un établissement à l’autre.

Nos interlocuteurs nous ont demandé de confirmer qu’il existe des difficultés pour les professeurs documentalistes d’avoir des heures d’intervention pédagogique. Nous rappelons alors que nous dépendons des choix de nos chefs d’établissement et de nos collègues. Nous soulignons une autre incohérence : nous n’avons pas d’inspection spécifique mais l’inspecteur ou inspectrice demande à nous voir lors d’une séance d’enseignement. Nous leur avons donc expliqué que nous dépendions d’un corps d’inspection commun aux personnels de direction et de la vie scolaire, et que nous constatons pourtant souvent que les modalités de notre inspection se rapproche plus de celles des autres professeurs de discipline avec un temps en situation d’enseignement suivi d’un entretien.

Suite à un échange sur l’ambiguïté de notre traitement, nous sommes revenus à la liste de questions proposées par les députés en amont de notre entretien et tenions à faire remarquer que bien souvent, quand l’Éducation Nationale emploie le terme de « numérique », elle se concentre sur l’accès aux outils. Nous avons alors évoqué la question de la généralisation des outils dans les établissements sans consultation de l’équipe pédagogique.

M. Saulignac a utilisé plusieurs fois la métaphore de la voiture pour expliquer le problème qu’il identifie dans le rapport des jeunes au numérique : quand on monte dans une voiture pour la première fois, le moniteur explique les dangers, les risques, les dérives, etc. mais pas avec le numérique.

Nous ajoutons à cette réflexion la problématique des inégalités entre les élèves, qui crée un véritable écart entre les jeunes qui reçoivent une éducation au numérique dans leur entourage familial, et ceux qui n’ont pas ce bagage. L’école a ainsi la responsabilité d’un public très hétérogène. L’école peut pallier cela dans une moindre mesure mais avec des limites réelles, car il n’existe aucun cadre horaire, pas de progression.

Les députés nous ont demandé combien d’heures nous semblent nécessaires pour un tel enseignement. Si nous n’avons pas formalisé de termes précis, en tant qu’A.P.D.E.N., nous avons développé plusieurs propositions, plusieurs hypothèses. Il revient ensuite à la DEPP et à la DGESCO, entre autres, d’ouvrir une réflexion plus avancée sur la mise en place d’un tel enseignement.

Toutefois, nous rappelons l’instauration du CAPES avec une promesse d’un professeur documentaliste pour 400 élèves, promesse jamais remplie. Donc si enseignement il y a, cela induit un recrutement plus important. Il nous semble aussi important de souligner qu’un enseignement ne doit pas se contenter d’aides méthodologiques. L’A.P.D.E.N. mène depuis longtemps une réflexion sur les savoirs à enseigner dans les établissements scolaires dans notre champ de savoirs. Nous mentionnons le curriculum et le Wikinotions Info-doc.

Mme Goestchy-Bolognese a demandé si nous étions prêts à former tous les enseignants à nos savoirs et compétences ?

Nous avançons que les autres professeurs ont déjà un programme à mener à terme. De plus, ceux-ci ne sont pas spécialistes en information-documentation. Notre spécificité est en effet notre formation en SIC qui nous permet d’avoir un regard particulier et complémentaire sur ces savoirs.

Il faut donner du sens à ce que les élèves utilisent et font dans ce domaine. Une approche par les savoirs est indispensable.

Les questions proposées par les députés se penchaient sur les mauvaises pratiques. Nous avons donc repris cette question pour expliquer l’importance d’amener une réflexion sur les usages. Nous avons aussi tenu à noter que de mauvaises pratiques perdurent chez les jeunes mais aussi chez les adultes, parents, professeurs ou même les intervenants en milieu scolaire.

Nous en avons alors présenté quelques exemples comme la lecture d’une page de résultats d’un moteur de recherche. Les élèves manquent souvent de recul, ne lisent pas avant de cliquer, ne descendent pas plus loin que les trois premiers résultats, etc. Cela induit des compétences et des savoirs tels que les notions de source, d’auteur, d’algorithme, de recherche d’information, etc.

Nous répétons qu’il ne faut pas se limiter à une approche méthodologique. Les différents dispositifs abordant le numérique dans l’Education nationale, se concentrent souvent sur ce que l’élève peut ou ne peut pas faire. L’outil d’évaluation numérique PIX est essentiellement un outil d’évaluation de compétences procédurales.

M. Saulignac a ensuite remarqué l’adoption de ChatGPT par les élèves comme d’un réflexe et nous a demandé si cela marquait la fin de l’enseignement.

Nous répondons qu’il ne s’agit pas d’une révolution mais d’une continuité, d’une nouvelle étape dans des pratiques que nous connaissons déjà. ChatGPT peut être un objet d’enseignement de la même manière que le sont devenus les moteurs de recherche. Se poser la question des sources, de la génération des résultats peut être un point d’entrée comme avec Wikipédia auparavant.

Nous finissions notre entretien en reprenant ce que nous estimons comme essentiel à l’enseignement du numérique :

  • Le devoir d’exemplarité : l’Éducation Nationale se doit de mettre à disposition des élèves et des professeurs, ainsi que d’utiliser ce que nous préconisons aux élèves en matière de bonnes pratiques et de sécurité des données (par exemple : privilégier les logiciels libres)
  • Un cadre : pour qu’un enseignement fonctionne en matière d’apprentissage, il doit y avoir des heures prescrites et un programme.
  • Un recul critique : nous devons engager une réflexion sur le numérique avec les élèves, par exemple autour de la présence numérique

Nos interlocuteurs se sont montrés intéressés et déjà « sensibilisés » au statut ambigu du professeur documentaliste, qui a les compétences pour mener un enseignement sur le numérique mais aucune place définie.

Avant de partir, ils réitèrent leur demande de pouvoir chiffrer les besoins en nombre d’heures pour les élèves et de postes de professeurs documentalistes. Nous convenons de revenir vers eux à ce sujet.

Mise à jour : publication du rapport final

Le rapport issu de cette audience a été publié à la fin octobre 2023. Il est disponible sur https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/dde/l16b1681_rapport-information#

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