Vers un curriculum en information-documentation - Chapitre 4
Penser les niveaux scolaire et cognitif des élèves.
[2ème édition le 11/12/2015] Ce chapitre a initialement été publié sous la forme d’un article dans la revue Médiadoc (juin 2014, n°12), sous le titre "Quelle progression pour l’enseignement info-documentaire et l’EMI ? Penser les niveaux scolaire et cognitif des élèves". L’introduction est ici adaptée pour une intégration dans l’ensemble du propos de la publication globale "Vers un curriculum en information-documentation".
Les bases théoriques de l’information-documentation, issues des travaux menés notamment en Sciences de l’information et de la communication (SIC), permettent d’accompagner la transposition didactique des notions essentielles. Nous pouvons par ailleurs nous appuyer sur vingt-cinq années de pratiques, qui ont grandement évoluées, depuis l’initiation à la recherche documentaire, expression qui, si elle subsiste ici ou là, s’est élargi vers des apprentissages réfléchis en information-documentation. Les recherches en Sciences de l’éducation et en Sciences cognitives permettent de dégager des liens étroits entre la réflexion sur les notions et la pratique pédagogique associée à l’évolution psychologique des élèves. Elles permettent de réfléchir, en termes de progression, à la volonté d’une appropriation continue des compétences, de manière systématique, pour tous les élèves donc, avec une évolution des niveaux de formulation, donc d’approfondissement, pour les élèves. Dans ce sens, une progression ne peut se satisfaire d’apprentissages informels, dans lesquelles, précisons-le, l’évaluation globale est quasiment nulle.
Regardons ainsi le rapport des professeurs documentalistes aux notions spécifiques de l’information-documentation, dans leur pratique pédagogique, sur la base d’un certain nombre de leçons tirées de l’enquête effectuée par la FADBEN en avril 2013 [1]. Une réflexion sur le développement psychologique des élèves, en regard avec les leçons de cette enquête, permettra d’esquisser une trame de progression notionnelle dans le secondaire.
Les leçons de l’enquête sur les pratiques
L’enquête initiée par la FADBEN permet d’avoir une approche inédite des pratiques, à partir des notions ou concepts de l’information-documentation, à partir des savoirs et savoir-faire associés à notre domaine d’enseignement, mais aussi à partir des objets d’enseignement. Ainsi, il peut être important d’effectuer une distinction, parfois ténue, entre l’idée générale et abstraite, la considération de savoirs et savoir-faire associés aux concepts, enfin la mise en valeur, dans une progression pédagogique, des objets d’enseignement définis selon des niveaux pédagogiques spécifiques.
La notion de document, l’édition du document imprimé, la presse imprimée, sont souvent abordées par les collègues de collège en Sixième, par les collègues de lycée en Seconde, avec des valeurs relativement faibles pour les autres niveaux. D’autres sujets sont abordés d’une manière plus égale, toujours avec des valeurs plus élevées pour la Sixième ou la Seconde, ainsi en ce qui concerne l’édition du document numérique, les nouveaux médias, la propriété intellectuelle et l’identité numérique. Avec les résultats de l’enquête, on constate que les collègues les abordent plus en collège à mesure que l’on passe de Cinquième à Troisième, estimant peut-être une approche trop complexe, à certains égards, pour les plus jeunes. On observe par ailleurs en lycée un vrai problème pour le niveau de Terminale, trop peu investi. On constate que le support imprimé est particulièrement mis en avant dans les séances pédagogiques de Sixième, avec ensuite, sur les autres niveaux, un équilibre entre les apprentissages relatifs aux ressources imprimées et numériques.
Si certaines notions peuvent paraître trop complexes pour les aborder trop tôt avec les élèves, il convient de mesurer à quel point. Ainsi, il peut être difficile de faire la part des choses entre la réticence aux apprentissages associés au numérique, mis en avant par Yolande Maury en 2005, et la vigilance réfléchie de professeurs documentalistes qui limitent ces apprentissages à des niveaux scolaires relativement avancés [2]. Au regard des enjeux et des pratiques des adolescents, il convient sans doute de dépasser certaines craintes ou certaines logiques historiennes passant de l’imprimé au numérique au fil des années, pour préférer une approche anticipée sur certains concepts et objets numériques, afin de définir une progression qui ne souffre pas d’une apparition de notions complexes dans les apprentissages sans prérequis développés au préalable.
Une notion est abordée sur un ou deux niveaux, mais rarement sur trois ou quatre niveaux de collège. Le pourcentage de professeurs documentalistes qui l’abordent sur trois ou quatre niveaux est généralement à 10-15 %, jusqu’à 20,5 % pour le document, support d’information (36,5 % en lycée sur deux ou trois niveaux), 34,4 % pour la propriété intellectuelle (51,5 % en lycée), 26,3 % pour la presse imprimée (47,2 % en lycée), ou encore 38,7 % pour les nouveaux médias en lycée. On retrouve des valeurs élevées, au-dessus de 25 % pour au moins trois niveaux, au sujet des compétences de recherche info-documentaire, pour le questionnement quintilien, l’utilisation des usuels, la diversification des sources d’information (42 %), le fait de noter les références (47,6 %), l’utilisation du moteur de recherche (25,8 % seulement), puis la reformulation de l’information (34,8 %), la réutilisation de l’information (28,5 %), la citation des sources (47,1 %), la publication sur des supports variés (25,7 %), avec des valeurs peu satisfaisantes, globalement, pour tout ce qui relève de la sélection de l’information. Ce sujet, d’ailleurs, demande un temps d’apprentissages particulièrement long, et suivi, avec des mises en activité fréquentes, ce qui n’est pas forcément alloué aux professeurs documentalistes.
Il paraît pourtant essentiel, en vu d’un véritable développement d’une culture informationnelle des élèves, que les notions les plus essentielles, que l’on se garde encore ici de définir de manière péremptoire, soient sujets d’initiations et d’approfondissements. Afin d’une appropriation, on peut se demander s’il ne faut pas réinvestir de manière plus satisfaisante les objets d’enseignement intégrés dans les séquences pédagogiques, d’autant plus que les enfants, en particulier au collège, sont en pleine évolution psychologique, les apprentissages venant s’inscrire, autour de mêmes notions, dans leurs nouvelles pratiques, mais aussi dans leur conception changeante du monde, par exemple vis-à-vis de leur rapport à l’information, vis-à-vis de leurs relations sociales.
On ne voit pas de souci, globalement, par rapport à la mise en œuvre de séances pédagogiques en classe de Troisième, sans différences importantes selon les trois niveaux de la Cinquième à la Troisième. Mais la focalisation sur les seuls élèves de Sixième, pour certaines notions, pose problème, sans progression possible dans beaucoup de situations, ce qui génère des oublis, une absence d’ancrage des savoirs sur le long terme, sans exercices réguliers. Autres obstacles de taille à ces apprentissages, quand ils ne respectent pas de progression : la force de pratiques informelles détachées de toute approche critique, ou encore l’écrasement d’une didactique spécialisée par des apports non spécialistes qui peuvent être problématiques, de la part de professeurs de discipline.
Enfin, la possibilité d’une action importante auprès des élèves de Sixième peut avoir des défauts didactiques, avec un souci d’aborder des notions inadaptées au développement des élèves, psychologique, cognitif, épistémique. Est-il ainsi justifié de mettre en avant les principes de classement et de repérage dans l’espace, de manière plus ou moins abstraite, en Sixième, de manière systématique ? Qu’en retiennent les élèves ? Est-il judicieux de développer des débats de controverse, sur des bases argumentatives, avant la Quatrième, alors que le rapport de relativité au savoir n’est pas construit ? Il ne s’agit pas ici de répondre « non », comme ces champs scientifiques sont encore largement ouverts à l’expérimentation, avec une inconnue importante, l’impact de ces actions pédagogiques sur le développement de l’enfant. Pour autant, on peut constater que c’est surtout la possibilité de travailler avec des élèves de Sixième qui amène les professeurs documentalistes à développer ces expériences parfois fragiles, plutôt qu’une volonté d’un développement pérenne des savoirs concernés. Le champ d’action du professeur documentaliste peut alors apparaître, bien davantage que d’autres cadres pédagogiques, comme un champ continuel d’expérimentation locale, bien souvent sans reculs de la part de l’institution, et sans continuités, dans la majorité des cas, pour les élèves.
D’autres études sur les pratiques permettront d’affiner ces résultats. L’approche qualitative paraît par exemple essentielle pour mieux comprendre ces pratiques et l’intérêt d’apprentissages spécifiques et progressifs pour les élèves. Les observations d’Anne Cordier, auprès des professeurs documentalistes, ou encore de Sophie Jéhel, dans le champ de l’éducation aux médias et à l’information, peuvent et pourront ainsi apporter des éléments de réflexion d’importance. Il est déjà toutefois envisageable de mettre en relation les observations actuelles et les recherches associées au développement psychologique des adolescents, directement à même de nous éclairer sur la mise en œuvre d’une progression info-documentaire qui soit en articulation avec l’éducation aux médias et à l’information.
Les leçons des recherches en sciences cognitives
Au-delà de l’expérience pratique, il s’agit de « tenir compte des stades de développement des élèves », ainsi que le préconise le GRCDI en 2010, avec une réflexion ramenée aux enjeux et obstacles épistémologiques et didactiques [3].
Nous proposons ici une lecture synthétique des recherches, au regard de l’information-documentation, depuis Jean Piaget, qui reste une référence essentielle dans le domaine, jusqu’à de récentes synthèses et des études spécifiques aux apprentissages associés à l’information et aux médias. On ne peut se permettre de tirer des leçons trop sûres des différents travaux de recherche, à prendre avec précaution. D’autant plus que la cognition peut évoluer avec l’environnement de l’être humain [4]. Quand il s’agit de mettre en relation la recherche cognitive et la définition d’un enseignement de l’information et des médias, le travail est complexe, mais il peut être très constructif.
Pour commencer, présentons quelques repères importants mis en avant par Jean Piaget, et pas ou peu remis en question depuis, les âges définis étant à considérer comme des « normes », mais avec beaucoup de différences possibles entre les individus [5]. La conceptualisation d’un réseau se fait ainsi possible à partir de 7-8 ans, pour une représentation mentale du parcours des informations. Piaget pose le début de la pensée hypothético-déductive ou formelle à partir de 11-12 ans : c’est la capacité de raisonner sur des propositions auxquels l’enfant ne croit pas ou pas encore, qu’il considère à titre de pures hypothèses [6]. L’enfant n’est plus astreint à raisonner seulement sur les objets, leurs relations, leur dénombrement, leur représentation immédiate, mais il peut opérer des déductions à partir d’hypothèses énoncées verbalement : le réel devient un cas particulier du possible (avec un palier d’équilibre atteint vers 14-15 ans).
Un nombre important des études menées par Piaget prend pour objet les mathématiques, l’algèbre, la géométrie, les sciences physiques. Piaget observe ainsi l’apparition, vers 11-12 ans, de schèmes opératoires nouveaux : les notions de proportion, les doubles systèmes de référence, la compréhension d’un équilibre hydrostatique, certaines formes de probabilité, etc. [7]. En termes de logique, ces repères sont importants pour l’enseignement de l’information et des médias, ainsi au sujet du positionnement de l’élève dans le temps long ou moyen, au sujet des logiques de programmation que l’on peut souhaiter aborder. Sur le développement de la logique des élèves, le professeur documentaliste, sans programme formalisé, peut se retrouver, en Sixième, à heurter des aspects qui ne sont pas opératoires, si bien que les apprentissages mis en œuvre peuvent apparaître comme rédhibitoires chez l’enfant, sans possibilité de comprendre les logiques d’une recherche d’information, par exemple, avec un contre-poids social important qui considère que l’enfant, digital native, sait faire...
A partir des observations de Piaget, plusieurs questions se posent dans la pratique. Ces remarques sont complétés par la lecture de deux synthèses, sur L’homme en développement [8] et sur L’homme cognitif [9].
La mise en théorie du classement des documents est à questionner, par exemple au sujet d’exercices de classification de cotes sur des feuilles d’exercice, sans qu’il soit évident que ce procédé didactique soit favorable dès la Sixième pour comprendre les modes de classement, plutôt que par la seule pratique de recherche de documents dans les rayonnages. La mise en plan, si elle peut être acquise au niveau cognitif, n’est pas forcément une option pertinente à tout apprentissage, sur des systèmes de pensée qui ne seront pas assimilés encore, par exemple en Sixième, par ces enfants, ou en tout cas pas par tous.
Au niveau du développement psychologique et cognitif, les capacités liées à la classification des objets se font jour à partir de 7-8 ans, jusque 11 ans pour un mode opératoire avancé [10]. Dans le domaine info-documentaire, se pose le questionnement sur l’approche de la classification documentaire, avec la pertinence d’une « découverte », démarrée par l’appropriation de la bibliothèque en primaire, sans pour autant entrer par la classification pour comprendre le classement, ce qui relève d’un processus peut-être trop complexe dans l’initiation. Le système de classement des résultats par un moteur de recherche pose des questions d’autant plus lourdes en termes de complexité que ce système n’est pas visible, qu’on n’en voit que le résultat ; l’approche relative à l’utilisation de mots clés reste pertinente, en termes d’efficacité de recherche, mais doit être sans doute rapidement dépassée dans le cadre d’une recherche par la sélection de sites plutôt que par une réflexion sur le rapport entre le choix des mots clés et les résultats donnés par le moteur de recherche.
Au sujet des notions de validité, de fiabilité, de pertinence, on peut avoir recours à une évaluation chiffrée pour comparer des pages web, par exemple, tandis qu’il est prudent d’éviter les systèmes automatiques de calcul, en pourcentage, tel qu’on en trouve sur certains sites web. Notons toutefois que l’intégration d’un système d’évaluation pour comparer et sélectionner l’information, n’apparaît pas comme un système pertinent, dans tous les cas, en ce qu’il impose une vision réductrice de l’évaluation. Peut-être faut-il préférer d’une part une démarche laborieuse d’assimilation, sans système de valeurs comparatives, d’autre part un développement personnel du jugement, sans passer par des systèmes extérieurs de comparaison et de calcul. La mise en place de conditions de validation de l’information, de facteurs qui viennent faciliter le jugement face à l’information, pose plusieurs problèmes. Ainsi, il s’agit de développer un système logique de comparaison, l’organisation d’un système de références combinées. Ce sont des opérations complexes pour des enfants qui ont moins de 14-15 ans.
Pour autant, nous sommes confrontés à une réalité, le recours à l’information documentaire en ligne, via des moteurs de recherche, pour trouver des informations lors de recherches scolaires. La mise en avant de références documentaires en ligne est une première option, elle permet d’éviter à l’élève de devoir vérifier la validité et la fiabilité de l’information : soit par la création d’annuaires (ce qui suppose des compétences transmises sur les annuaires), soit par la mise en place d’un portail documentaire (avec un moteur de recherche qui présente des résultats provenant d’une base de données réduite, d’une sélection de pages web). Ces deux voies sont peu satisfaisantes comme elles ne permettent pas d’autoriser une offre complète et actualisée de ressources, et surtout comme elles ne répondent pas véritablement à la problématique posée, à savoir l’utilisation massive de moteurs de recherche par les élèves : on peut certes estimer que cette habitude est mauvaise, mais on provoque alors une résistance, vis-à-vis des pratiques existantes, sans alors de véritable approche critique pour une maîtrise de l’information par l’élève.
Pour favoriser la compréhension du processus de validation des sources, il convient alors de recentrer l’enseignement sur l’acquisition de notions, autour de l’autorité et de la finalité de la publication. Qui écrit et pourquoi ? Il paraît peu pertinent d’ajouter d’autres apprentissages pour les élèves de Sixième, d’autant que le processus de validation relève d’un jugement qui se construit de manière complexe, individuelle, contextuelle et liée à des conditions précises. Par contre, la notion de pertinence, associée mais abordée comme une autre étape de la validation, permet de favoriser le tri de l’information. L’identification des informations relatives au document permet une assimilation progressive de notions associées aux références, avant leur intégration postérieure dans la complexité des conditions d’une validation.
Dans ce sens, Jean-François Rouet insiste sur la nécessité de développer en préalable au développement des compétences d’évaluation de l’information, « un ensemble de connaissances relatives aux mécanismes de production et d’organisation des textes, ainsi qu’une bonne capacité de contrôle attentionnel » [11]. Il convient par ailleurs, à cette lecture, de considérer suffisamment tôt, dans les apprentissages, la structuration des documents imprimés et numériques. D’autant que cela peut contribuer à l’ouverture des adolescents vers d’autres sites web que les sites qu’ils pratiquent au quotidien, en favorisant l’appropriation de sites informatifs qu’ils peuvent avoir tendance à rejeter par souhait de rester sur des structurations connues qui ne portent pourtant pas toujours des informations pertinentes, relatives à leur niveau d’apprentissages (Wikipédia, YouTube...).
Les sciences cognitives convoquent la sensibilité d’une adolescence qui puisse être considérée comme un « travail de deuil » dans la pensée psychanalytique, avec un travail de réaménagements psychiques réalisés avec douleur : « l’adolescent doit renoncer à l’enfant, formule banale qui désigne le fait que tout adolescent reste attaché pendant un temps à des modes de satisfaction, des relations d’objet infantiles, qu’il lui coûte d’abandonner. [12] » On peut interroger là la force des habitudes construites dans le cadre de leurs pratiques numériques et que l’on peut être amenés à questionner, régulièrement, dans un enseignement info-documentaire, avec une prise en compte des pratiques, mais pas seulement, avec un juste élargissement du champ d’apprentissages, pour amener des compétences qui permettent à l’enfant d’interroger ces habitudes dans sa propre construction de l’intelligence. On peut questionner la notion d’objets infantiles, également, dans le cadre d’un développement des usages numériques.
Essai de progression notionnelle
Ces réflexions sur les pratiques pédagogiques des professeurs documentalistes et sur la prise en considération du développement de l’enfant, pour tenir compte de leurs capacités d’assimilation, conduisent à esquisser une distribution cohérente des notions spécifiques de l’information-documentation, de la Sixième à la Terminale, à partir de la liste disponible aujourd’hui dans le Wikinotions Info-doc [13]. Cette progression, qui suppose des éléments de découverte, d’initiation et d’approfondissement, en réponse aux principes d’une élaboration des programmes telle que définie dans la charte adoptée par le Conseil supérieur des programmes (CSP) et publiée le 3 avril 2014 [14], n’oublie pas, ici encore de manière implicite, le souci d’une progression globale de la maternelle à l’université, telle que souhaitée en 2003 lors des « Assises nationales pour l’éducation à l’information : l’éducation à l’information et à la documentation, clef pour la réussite de la maternelle à l’université ».
La limite entre découverte et initiation peut être fine, si bien que nous nous focalisons ici essentiellement sur l’initiation et l’approfondissement des notions. La découverte, pour les notions initiées en Sixième, relève de la maternelle et surtout de l’élémentaire, avec des éléments importants dans les programmes existants, sans doute à confirmer et renforcer. L’initiation du collège peut intégrer, selon les objets d’enseignement retenus, une découverte de notions, mais avec une prescription qui paraît difficile à ce sujet.
Le tableau présenté ci-après permet de préciser par la suite, à partir des notions, ce que pourraient être, dans la charte du CSP, « les objectifs en matière de connaissances » et « les compétences attendues », avec des « marges d’initiative ». Les outils didactiques de mise en œuvre apparaissent ici comme secondaires, mais ils sont essentiels et seront à intégrer aux documents d’accompagnement à construire ensuite, parties prenantes du curriculum. De même les dispositifs pédagogiques interdisciplinaires, auxquels les professeurs documentalistes sont actuellement particulièrement attentifs [15], dans la mesure où ils permettent une légitimité de leur action enseignante auprès de leurs collègues enseignants, doivent être réfléchis dans le cadre de la construction de ce curriculum. Par ailleurs, pour un enseignement info-documentaire spécifique, mais une Éducation aux médias et à l’information transversale, il peut être pertinent de cerner les liens avec d’autres domaines d’enseignement, ainsi les Lettres, l’Enseignement moral et civique, la Technologie, pour les plus évidents.
- Schéma de progression
Pour visualiser le tableau en grand format : clic droit / afficher l’image
Pour une meilleure lisibilité du schéma présenté, document d’étape dans une construction de curriculum, plutôt que document final, nous avons choisi de ne pas intégrer toutes les notions, mais d’en retenir environ 40. Le choix peut être discuté, mais le parti est pris d’aller au plus simple, avec par ailleurs une organisation des notions par notions organisatrices et notions associées, qui permet de garder justement des marges d’initiative et de complexité, dans la pratique, aux professionnels professeurs documentalistes. Certains approfondissements sont délibérément mis en valeur, depuis une initiation vers des formulations avancées pour les élèves, vers des approches complexes, ce qui est proposé dans la numérotation variable. Pour autant, il reste essentiel d’aborder les notions tout au long de la scolarité, pour favoriser leur appropriation, en particulier dans des situations pédagogiques variées. Une fois initiée, on peut estimer que toutes les notions dont le cadre est en pointillé, sont concernées par ce besoin. D’autre part, les notions de recherche et d’exploitation de l’information relèvent de niveaux d’acquisition que nous n’avons pas précisé dans ce schéma, mais que nous aurons l’occasion de cerner dans cette progression par la suite, par rapport à des notions spécifiques associées, en particulier le besoin d’information, l’analyse et l’évaluation de l’information, ou encore la pertinence.
Conclusion
Le problème essentiel d’apprentissages réservés à un seul niveau, la Sixième ou la Seconde, voire à deux niveaux, tient au fait d’une difficulté à investir de réels savoirs, comme l’apparition et le développement des schèmes opératoires remet en question les apports scolaires si ceux-ci ne sont pas continués, accompagnés et développés en accord avec le développement de l’enfant, tout au moins dans le développement continu de compétences, avec des mises en difficulté dans des situations nouvelles qui prennent en compte le développement cognitif de l’enfant. « Apprendre, c’est aussi souvent oublier, abandonner des comportements et en élaborer de nouveaux [16]. »
Les Sciences de l’éducation et la Psychologie apportent des éléments de réflexion importants, aujourd’hui, pour la construction institutionnelle du curriculum en information-documentation, avec un regard particulier sur les travaux contemporains de Jean-François Rouet et André Tricot [17]. Avec les Sciences de l’information et de la communication et les recherches en cours au sujet des notions, il y a réellement matière à engager un travail avancé sur la question, en s’appuyant bien évidemment sur les pratiques pédagogiques des professeurs documentalistes. C’est en ce sens qu’il est essentiel que l’observation du travail de ces professionnels eux-mêmes participe à la construction de ce curriculum. C’est d’autant plus important que se pose ensuite une question cruciale, celle de la mise en œuvre, avec un besoin de partir des savoirs et savoir-faire à transmettre afin de définir par exemple un nombre d’heures, par élève, à dispenser selon les niveaux.
Notes
[1] Les professeurs documentalistes et les apprentissages info-documentaires : résultats de l’enquête réalisée par la FADBEN en 2013, disponible sur : http://www.apden.org/Les-professeurs-documentalistes-et.html
[2] A ce sujet, on se réfère à la synthèse et aux recherches d’Anne Cordier : Imaginaires, représentations, pratiques formelles et non formelles de la recherche d’information sur Internet : le cas d’élèves de 6ème et de professeurs documentalistes. Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, soutenue le 23/09/2011 [Université Charles de Gaulle Lille-3]. 2012, 508 p. Disponible sur Thèse en ligne [en ligne] : http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/73/76/37/PDF/THESE_Volume_1.pdf (en particulier la 4e partie).
[3] Rapport du GRCDI. Proposition n°6.
[4] Sur ce sujet, par exemple, l’idée soutenue que la pratique des écrans et de l’Internet peut avoir un effet sur l’évolution du cerveau humain : Belpois Marc, « Avec Internet et les écrans, mon cerveau a-t-il muté ? », site Télérama, 13/02/2013, Disponible sur : http://www.telerama.fr/medias/internet-modifie-t-il-mon-cerveau,93189.php. D’autres références sont précisées dans l’article cité.
[5] Piaget Jean, La psychologie de l’enfant, PUF, 1966 ; édition consultée : 14e éd., 1992
[6] Piaget Jean, op. cit., p. 105
[7] Piaget Jean, op. cit., p. 111
[8] BIDEAUD Jacqueline, HOUDÉ Olivier, PEDINIELLI Jean-Louis. L’homme en développement. Paris : Quadrige / PUF : 2012 (1re éd. 1993). 522 p.
[9] WEIL-BARAIS Annick (dir.). L’homme cognitif. Paris : PUF, coll. Quadrige : 2011 (1re éd. 1993), 600 p.
[10] L’homme en développement, p. 328 et suiv.
[11] ROUET, Jean-François. « L’évaluation comme élément de la maîtrise de la lecture : de l’analyse des processus cognitifs à l’intervention pédagogique ». In Évaluation de l’information et identité numérique : quels enjeux de formation, quelle didactique, quels apprentissages ? [Séminaire commun GRCDI – Equipe de l’ESPE Rouen]. GRCDI [en ligne], 06/09/2013. Disponible sur : http://culturedel.info/grcdi/?page_id=80. On peut également lire OCDE. PIAAC problem solving in technology-rich environments : a conceptual framework. In oecd.org [en ligne], 2009. Disponible sur : http://search.oecd.org/officialdocuments/displaydocumentpdf/?doclanguage=en&cote=edu/wkp%282009%2915
[12] L’homme en développement, p. 468
[13] Liste disponible sur : http://www.apden.org/wikinotions/index.php?title=Cat%C3%A9gorie:Notions
[14] Conseil supérieur des programmes. Charte relative à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi des programmes d’enseignement ainsi qu’aux modalités d’évaluation des élèves dans l’enseignement scolaire, 03/04/2014. Disponible sur : http://www.education.gouv.fr/cid78644/la-charte-des-programmes-adoptee-par-le-conseil-superieur-des-programmes.html
[15] Enquête FADBEN 2013, p. 17
[16] L’homme cognitif, p. 441-442
[17] Jean-François Rouet est chercheur au Centre de recherches sur la cognition et l’apprentissage (CeRCA). André Tricot est professeur d’université en psychologie à l’ESPE Midi-Pyrénées.