5.3. La formation continue, gage d'un immobilisme inquiétant

La formation continue, à travers les plans académiques de formation (PAF), mais aussi à travers des actions locales plus ou moins organisées, est le reflet, et ce n'est pas nouveau, d'une absence de volonté de donner l'élan nécessaire à des apprentissages organisés par les professeurs documentalistes pour les élèves. S'il y a peu de changements en volumes horaires dévolus à ces formations, il y a tout de même quelques nouveautés dans leur organisation, avec plusieurs cas de figure, dans la structuration académique de ces formations, qui s'appuient sur un ensemble de possibles :

  • des formations au PAF organisées en EMI ou Information-documentation par des formateurs professeurs documentalistes auprès de la direction d'appui à la formation des personnels de chaque académie (DAFPA) ;

  • des formations au PAF ou non organisées en EMI ou Information-documentation par les personnels de Canopé, professeurs documentalistes en détachement ou anciens professeurs documentalistes ;

  • des formations au PAF organisées en EMI ou en culture numérique par chaque DANE (délégation académique au numérique éducatif) ;

  • des formations au PAF ou non organisées en EAM (éducation aux médias) et en EMI par les formateurs du CLEMI ;

  • des réunions de bassin de professeurs documentalistes, gérées et organisées par un professeur documentaliste référent dans chaque bassin.

L'existence de quatre modes de formation continue, hors réunions de bassin qui sont des occasions d'échanges de pratiques plutôt que de véritable formation, pose question en soi. La multiplicité des interlocuteurs induit des situations problématiques et inégalitaires, avec alors des différences importantes selon les académies, selon l'entente entre les services, selon le poids des uns ou des autres à prendre en charge telle ou telle formation.

Si Canopé semble ne gérer que des formations associées au logiciel documentaire dont il promeut et accompagne l'utilisation dans les CDI, le rôle du CLEMI, service de Canopé devenu centre pour l'éducation aux médias et à l'information, peut poser problème vis-à-vis des contenus de l'EMI, issue de l'information-documentation, vis-à-vis des formateurs en documentation auprès des DAFPA, avec une position délicate dans et hors l'Éducation nationale à la fois.

Pour les DANE, le problème est plus important. Du fait d'une inscription de la documentation, des responsables des contenus dont les spécialistes sont les professeurs documentalistes, dans la DNE, direction pour le numérique éducatif, au niveau national, au sein de la DGESCO, et en conséquence du fait d'une inscription de l'éducation aux médias et à l'information (EMI) dans la stratégie du numérique du Ministère de l’Éducation nationale, sans respect des véritables contours de l'EMI, il apparaît que les DANE, au niveau académique, s'octroient la prise en charge également de l'éducation aux médias et à l'information, parmi leurs missions. Ce transfert de compétences est pour le moins étrange, avec l'absence de professeurs documentalistes responsables dans certaines DANE, avec un souci de transversalité qui, s'il n'existe pas dans la DNE pour ce dossier spécifique, prend une place démesurée dans certaines DANE, des enseignants d'autres disciplines devenant responsables de l'EMI, sans aucun respect pour les logiques réglementaires. Ces erreurs de pilotage participent évidemment aux difficultés rencontrées par les professeurs documentalistes, avec un brouillage évident sur les responsabilités, à tout niveau.

L'exemple de la politique de communication développée par la DANE de Lyon est particulièrement illustrative à ce niveau :

  • une proposition de formation d'initiative locale (FIL) envoyée aux chefs d'établissement[1], en éducation aux médias et à l'information, sans aucune mention du professeur documentaliste dans le courrier,

  • une invitation des « référents numériques », par le biais d'un courrier aux chefs d'établissement, à la Conférence « Cultures numériques, Éducation aux médias et à l'information », en janvier 2017, là encore sans aucun égard pour les professeurs documentalistes dans ce courrier.

Dans le détail, on peut constater que les contenus de l'information-documentation sont intégrés dans les formations des professeurs documentalistes, en documentation, dans la formation continue, dans quelques académies, notamment de Nantes et de Versailles. Par ailleurs, dans la plupart des académies, le nombre de formations en Documentation a considérablement diminué, sans aucune mesure avec les autres disciplines, soit sans aucun contenu relatif à l'EMI par ailleurs, soit avec des contenus d'EMI proposés en formations numériques.

Dans l'académie de Nantes, les formations en information-documentation sont essentiellement fléchées pour les professeurs documentalistes, autour des biens communs, de la théorie du complot, des usages numériques des jeunes, de la publication, du curriculum travaillé en AP, ou encore avec analyse de pratiques pédagogiques en information-documentation. Au-delà des thèmes d'actualité qu'on retrouve logiquement dans un plan de formation annualisé, on peut apprécier la diversité des sujets abordés. De même dans l'académie de Versailles, avec des formations d'autant plus développées que le nombre de professeurs documentalistes concerné est important, les formations en information-documentation sont essentiellement fléchées vers les professeurs documentalistes, avec la construction de scénarios pédagogiques en EMI, la recherche sur Internet et l'usage responsable. Toutefois beaucoup de formations sont consacrées aux outils plutôt qu'aux contenus, dans cette académie, au sujet des tablettes, des outils de publication, des jeux sérieux, des cartes mentales, quand l'intérêt d'une formation serait sans doute davantage à trouver dans l'autre sens, d'une didactisation des savoirs vers une mise en pratique pédagogique alors susceptible de requérir l'usage d'outils. Les thèmes, moins nombreux dans l'académie de Paris, sont néanmoins souvent spécifiques aux professeurs documentalistes, en information-documentation : décryptage de l'information sur le Web, relations entre élèves et médias, réalisation d'un webdocumentaire en formation commune.

Dans l'académie d'Aix-Marseille, c'est un système hybride qui est choisi, avec des formations à l'EMI ou à ses contenus, pour les professeurs documentalistes, à côté de formations communes sur des sujets plus précis, la désinformation, la webradio, mais aussi sur l'écriture numérique et sur les médias sociaux en ligne. Le dispositif EMI, englobant, serait du côté des professeurs documentalistes, tandis que les contenus et outils seraient de la transversalité. Dans l'académie de Limoges, nous retrouvons une autre dichotomie, avec des contenus précisés en EMI pour les professeurs documentalistes, autour des rumeurs et théories du complot, du webdocumentaire, avec des contenus importants également sur la littérature de jeunesse, tandis que l'EAM est sujet de formations communes. Toutefois, concernant les deux thèmes mentionnés pour l'EMI, nous pouvons plus simplement estimer qu'il n'est question que d'éducation aux médias dans ces formations, sans comprendre la globalité d'une culture de l'information et des médias. La logique est la même dans l'académie de Rennes, avec un parcours en information-documentation pour les professeurs documentalistes, de même qu'une réflexion sur les liens entre EMI et parcours citoyen, tandis que l'éducation aux médias (EAM) est sujet de formations communes. Comme l'académie de Corse avec un regroupement académique, l'académie de Montpellier propose une formation sur les 3C, sans grande légitimité institutionnelle si ce n'est la circulaire de rentrée de mars 2012. A Montpellier, deux formations sur la pédagogie sont proposées aux professeurs documentalistes, l'une sur l'EMI et la translittératie, l'autre sur les stratégies pédagogiques et situations d'apprentissages. Pour le reste, beaucoup de formations « Médias » sont communes, avec parfois des confusions avec l'EMI.

Dans les académies de Bordeaux ou de Corse, les formations au PAF pour les professeurs documentalistes sont inexistantes ou limitées à la gestion, quand l'EMI ou l'information-documentation apparaissent dans des formations communes, en Corse essentiellement autour de l'éducation aux médias (EAM), positionnement logique, à Bordeaux davantage sur l'EMI dans sa globalité. Notons que dans cette académie, en dehors du PAF, les professeurs documentalistes sont amenés à former leurs collègues de l'établissement à l'EMI, sur une demi-journée. Dans l'académie de Créteil, l'EAM est distribuée, aux professeurs documentalistes et dans des formations communes, sans contenus relatifs à l'EMI. Dans l'académie de Poitiers, hors BCDI, objet de trois formations au PAF, seul existe le sujet de l'usage responsable des réseaux sociaux, le reste relevant de formations communes, dans lesquelles on retrouve l'usage responsable d'Internet, mais aussi la presse numérique, le média scolaire, l'open data, les rumeurs et théories du complot. Dans l'académie de Reims, c'est une formation fléchée sur l'identité, la présence et les traces numériques, seule formation sur ce thème dans les PAF analysés, avec par ailleurs un lien entre EMI et parcours citoyen. Le reste des formations est commun, avec trois formations en EAM, mais une aussi autour d'une éducation aux usages numériques.

Enfin, dans l'académie de Lyon, de taille importante, la formation continue relative à l'information-documentation ou à l'EMI concerne plusieurs items, dans une confusion fréquente avec l'éducation aux médias (EAM) : réseaux sociaux, liberté d'expression, univers numérique des jeunes, esprit critique, usages raisonnés, présence numérique, publicité, information d'actualité sur support numérique, production d'une émission de radio, d'un journal télévisé. Ce sont de multiples petites formations ouvertes à tous les enseignants, quand il s'agit pour les professeurs documentalistes de faire dépasser le copier/coller. Entre concept trop large et approche par outils, on aborde surtout là les limites de la transversalité à tout prix.