5.2. Les lettres de rentrée en académie : entre respect des missions et redéfinitions

La fédération a collecté les différentes « lettres de rentrée », en académie, à destination des ou concernant les professeurs documentalistes. Elles sont disponibles en annexe. Ce sont notamment les lettres de rentrée des académies de Limoges, Lyon, Nantes, Poitiers, Rennes, Rouen, Toulouse, Versailles, alors qu'il n'y en a pas eu dans les académies d'Aix-Marseille, sans informations de Bordeaux, de Caen, de Corse, de Créteil, de Paris, des DROM-COM ou DOM-TOM. Dans l'académie de Reims, on note la particularité d'un projet académique qui court de 2013 à 2016.

Les lettres ont été publiées au mois de septembre, exceptée celle de Rouen datée du 11 novembre 2016. Les destinataires de ces lettres sont les CPE et professeurs documentalistes, sauf celle de Rouen spécifique aux professeurs documentalistes et celles de Lyon et de Toulouse qui s'adressent aux chefs d'établissement.

Le ton de ces lettres peut être très impersonnel, comme celle de Rouen, voire infantilisant dans l'intermédiation pour celles de Lyon et de Toulouse adressées aux chefs d'établissement, mis en position de garants de notre action pédagogique. La majorité est beaucoup plus cordiale et on sent une proximité dans les lettres qui s'ouvrent sur un « chers collègues » (dans 3 lettres sur 8) ou quand des messages de bienvenue ou d'encouragement et de soutien pour l'année à venir sont formulés.

Toutes les lettres s'inscrivent dans le contexte général de la Loi pour la Refondation avec une priorité donnée à la réforme du collège et à la mise en œuvre du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. L'objectif de ces lettres est donc de déterminer la place des personnels, CPE et professeurs documentalistes ensemble, dans un nouveau contexte en ce qui concerne les contenus des apprentissages (nouveaux programmes) et de dispositifs (AP, EPI, parcours éducatifs). La circulaire de rentrée 2016[1] est fréquemment citée. Certaines lettres (4 sur 8) font également référence au contexte local en intégrant l'action des personnels dans les priorités académiques (projet ou politique académique). Dans toutes, il est rappelé que l'action des équipes est au service de la réussite des élèves, objectif prioritaire de la Loi pour la Refondation.

L'objet de la lettre de rentrée est de donner les priorités d'action des personnels mais aussi d'informer sur le fonctionnement de l'inspection notamment dans l'accompagnement des personnels et pour les visites d'inspection. Les missions assignées aux professeurs documentalistes peuvent être données de manière globale ou plus spécifiquement liées à la structure des établissements. La mission globale est donnée dans le contexte à la réforme du collège. Les CPE et les professeurs documentalistes doivent s'insérer dans les nouveaux dispositifs (parcours, AP, EPI) et œuvrer pour la « transmission des valeurs de la République » (académie de Nantes). Dans une lettre qui traite sans distinction du rôle des personnels attachés à la Vie scolaire, la mission spécifique des professeurs documentalistes est diluée dans des objectifs essentiellement éducatifs : accueil et accompagnement des élèves, notamment des élèves en difficultés ou ayant des besoins éducatifs particuliers, développement d'une culture de l'engagement, mise en œuvre des parcours éducatifs, lutte contre le décrochage scolaire, participation aux actions pour le climat scolaire...

Localement, le professeur documentaliste est lié à la politique documentaire ou au volet documentaire de l'établissement dans 6 lettres sur 8 (pas de mention pour Limoges et Lyon). Dans l'académie de Toulouse, le concept de politique documentaire englobe l'EMI, éducation aux médias et à l'information. Une production issue de la réflexion locale, la matrice EMI du TraAM Documentation[2], est alors considéré comme « référence commune pour définir les progressions pédagogiques du cycle 3 au lycée », référence dans laquelle l'EMI est distinguée dans quatre domaines, l'information-documentation, l'éducation aux médias, la culture numérique et « citoyen et éthique », seul le premier domaine étant développé sous forme de progressions, avec association à des notions. Le professeur documentaliste n'intervient pas seul, dans ce cadre, selon cette lettre, mais dans des projets interdisciplinaires, « parcours EMI » qu'il conçoit et met en œuvre. Le CDI est conçu comme une ressource au service de la politique documentaire. La référence à l'EMI se retrouve dans toutes les lettres, mais bien essentiellement dans une optique transversale et interdisciplinaire, sans reconnaissance d'une spécialisation des professeurs documentalistes, mais plutôt d'une expertise, ce terme renvoyant à un pilotage, à une approche externalisée d'abord, sans citer la notion d'enseignement, avec dans le meilleur des cas une inscription dans le seul travail collaboratif.

Dans l'académie de Versailles, le professeur documentaliste est « conseiller du chef d'établissement et sous son autorité » dans la contribution au volet éducatif et documentaire du projet d'établissement. Dans l'académie de Nantes on retrouve cette même mention du professeur documentaliste comme conseiller du chef d'établissement. Il agit pour le développement de l'accès aux « ressources et outils utiles à la formation des élèves ». Ce rôle de conseiller apparaît dans 4 lettres sur 8. Dans l'académie de Poitiers, c'est une mise en avant du travail de collaboration entre les services de la Vie scolaire et du CDI pour favoriser l'accueil des élèves et la mise à disposition des ressources de l'établissement. La mention du volet documentaire apparaît dans les modalités des visites d'inspection. Pour l'académie de Limoges il est fait mention d'une ingénierie pédagogique et éducative.

Dans l'académie de Rennes, le professeur documentaliste est « maître d'œuvre de la politique documentaire et animateur de la politique éducative sous l'autorité du chef d'établissement ». A noter qu'il est fait mention, dans cette lettre, du développement de « compétences info-documentaires et citoyennes ». Dans l'académie de Rouen, « la construction collective de la politique documentaire au service de la formation de futurs citoyens, [est] au cœur de la mission du professeur documentaliste ». Il fait vivre la politique documentaire de l'établissement, accompagne l'élève dans son parcours de formation, renforce la continuité pédagogique (AP). Il met son « expertise singulière dans l'analyse des processus d'apprentissage des élèves » et permet le développement de la culture numérique des élèves intégrée à la formation du citoyen.

Dans l'académie de Nantes les professeurs documentalistes doivent « mettre à profit la mise en place des nouveaux dispositifs et de l'EMI pour accompagner l'augmentation des compétences des élèves. » On note une définition restrictive de l'EMI, pour l'académie de Lyon, « qui traite de la capacité de l'élève à trier et sélectionner l'information pertinente et fiable pour comprendre et faire face à la complexité du réel et de la vie », avec une réduction du rôle du professeur documentaliste à une action auprès des élèves pour développer une pratique citoyenne des médias (autonomie et esprit d'initiative). Dans l'académie de Poitiers, le professeur documentaliste est un expert de l'EMI, il a un « rôle majeur à jouer dans la conception, les contenus, les progressions, la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation de cet enseignement » On notera que toujours on tourne autour de l'enseignement, des apprentissages proprement dits, mais qu'on ne les cite jamais explicitement. Professeur sans l'être, le professeur documentaliste apparaît souvent comme un outil de communication pour l'EMI, pour les nouveaux dispositifs, mais avec une réelle difficulté pour les inspecteurs à les considérer vraiment comme enseignants.

A côté de ces prescriptions, les IA-IPR listent les dispositifs qui permettent de porter l'action des personnels : l'offre de formation, sujet très développé dans la lettre de Versailles, inexistant dans celle de Lyon, ou encore réunions de bassin, journées départementales pour partager les pratiques professionnelles, mutualisation sur des sites académiques dédiés.

La question des visites d'inspection sont mentionnées dans 5 lettres sur 8, avec des modalités précises dans l'académie de Nantes : observation d'une situation professionnelle suivie d'un entretien et l'étude des documents fournis dont le bilan d'activités. Le rôle du personnel inspecté est analysé dans sa « contribution au projet d'établissement et à sa mise en œuvre, la participation à la dynamique de l'établissement et collaboration avec les collègues, la gestion du CDI, l'approche de l'élève et la prise en compte de ses besoins, les modalités de suivi et d'accompagnement de l'élève. » Pour Lyon, l'inspection concerne tout autant les CPE et les professeurs documentalistes, sans distinction, et « les personnels seront évalués sur la capacité à mettre en œuvre une approche pédagogique par compétences (activité, évaluation, acquisitions des compétences du S3C), progressivité des apprentissages et développement de l'autonomie des élèves, inclusion des élèves, mise en œuvre des parcours éducatifs, intégration pédagogique du numérique des enseignements comme outil et ressource ». Pour Poitiers, l'attention des inspecteurs se portera sur le volet documentaire et informationnel du projet d'établissement.

Pour Rennes, les échanges portent sur la mise en activité des élèves dans le cadre de dispositifs pédagogiques liés à la réforme, la mise en place des cycles, l'évaluation des élèves, l'appropriation de LSUN, l'accompagnement des élèves sur les parcours éducatifs et l'implication dans les projets. L'académie de Rouen fait mention du référentiel métiers pour une visite d'inspection qui prend en compte « le cadre de l'enseignement commun, de l'accompagnement personnalisé, de tout autre projet notamment les enseignements pratiques interdisciplinaires. »

Nous pouvons relever trois défauts majeurs dans ces lettres de rentrée :

  • Elles ont tendance à confondre deux professions, CPE et professeur documentaliste, en les englobant dans des objectifs similaires qui les éloignent de leurs missions spécifiques.

  • Elles ont tendance à redéfinir les axes de mission des professeurs documentalistes, sans respecter les textes réglementaires, la circulaire de mission de 1986[3] et le référentiel de compétences professionnelles de 2013[4], notamment en s'éloignant d'un équilibre entre les axes de mission, mettant en avant le concept de politique documentaire et l'accompagnement des élèves. Cette tendance respecte davantage une projection institutionnelle telle qu'elle apparaît dans les deux premiers projets de réécriture de la circulaire de mission[5], plutôt que les textes réglementaires qui insistent avant tout sur la mission pédagogique des professeurs documentalistes avec des groupes-classes, dans le domaine d'une culture de l'information et des médias, avant de développer des compétences de gestion et d'ouverture culturelle.

  • Elles ne donnent aucun élan, à destination des chefs d'établissement, à la mission d'enseignement des professeurs documentalistes pour le développement de la culture de l'information et des médias chez les élèves, en insistant davantage sur l'accompagnement et l'ingénierie pédagogique au service des autres enseignants, que sur les moyens de mettre en œuvre les apprentissages info-documentaires nécessaires au développement de cette culture.

Ces lettres de rentrée peuvent, dans le contexte actuel, contribuer aux difficultés rencontrées par les professeurs documentalistes dans leurs établissements.