2012
juin
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Le nouvel âge de la redocumentarisation et du Web 2.0

La notion de « document », notion pourtant ancienne est revisitée du fait de son passage à un mode numérique. Documentariser pour le professionnel de la documentation c’est traiter le document pour optimiser son usage en permettant un meilleur accès à son contenu et une meilleure mise en contexte. Le Web remet en cause l’ordre documentaire ancien. Le document numérique est désormais produit
et diffusé de plus en plus facilement dans le contexte du Web. Les possibilités de production autonome (dans les environnements de type blog, wiki ou système de gestion de contenu…), les potentialités de réutilisation et d’assemblage de fragments documentaires amplifient la production documentaire numérique. Un processus de redocumentarisation est en cours.

Florence Thiault
PRCE en documentation, Université de Rennes 2

Article publié dans le Médiadoc n°4 de Mai 2010

Le document numérique

Le document est défini traditionnellement par l’ISO (Organisation Internationale de Normalisation) comme un « ensemble formé par un support et une information, généralement enregistrée de façon permanente, et tel qu’il puisse être lu par l’homme ou la machine ». Les documents numériques posent de nouvelles questions en terme de production de contenu, de forme et de structure, de diffusion et d’économie de l’information, de gestion documentaire (conservation, droit, description et recherche), d’outils et de technologies. Dans un texte de 2003 [1], J. Michel Salaun présente l’état de la réflexion du réseau RTP Doc [2] sur la notion de document liée à l’évolution du numérique.

Il s’agit pour l’auteur d’interroger la notion de document, renouvelée et contestée par le développement numérique. Avec le numérique et la dématérialisation du document, les liens entre la forme, le contenu et le support sont redéfinis. Alors que le « document traditionnel repose sur un support, un texte et une légitimité », le document numérique repose la question de la forme (inscription sur un objet avec des règles de mise en forme), du sens (objet porteur de sens) et du médium (trace de communication). Le document numérique entraîne de nouvelles pratiques de lecture (hypertexte, lecture sur écran), d’écriture (autopublication), des changements dans la diffusion et l’économie du marché de l’information (nouveaux acteurs, concentration). Le concept de document évolue, le documentaliste ne doit plus uniquement gérer un stock de documents mais un flux d’informations.

La redocumentarisation

Avec les technologies qui évoluent, le succès d’Internet et du Web, les professionnels doivent faire face à un changement radical. L’ordre documentaire est remis en cause. Il nous faut replacer brièvement le changement en cours dans son évolution historique. A partir de l’apparition de l’imprimerie, il est possible de repérer plusieurs périodes dans les médias. J-M Salaün [3] nous propose un découpage inspiré de la périodisation d’A. Marshall [4] fondée sur l’imprimé : l’âge du livre (Gutenberg au XIXe siècle), l’âge de la presse (XIXe), l’âge de la paperasse (XXe) qui correspond au développement des imprimés administratifs et commerciaux et la période actuelle que J-M Salaün intitule l’âge des fichiers (XXIe). Ce dernier âge se rapporte à la composition et l’impression par l’intermédiaire du réseau et des ordinateurs personnels. Ces âges accompagnent des organisations sociales et idéologiques différentes. Dans le tableau suivant, l’auteur nous propose un résumé des différentes filiations dans l’ordre documentaire.

Tableau : Les deux bascules documentaires

La documentarisation s’est appuyée sur un ordre documentaire issu de l’imprimé et elle a été systématisée par la normalisation de règles de description et de classification. Elle s’inscrit dans les quatre âges de l’imprimé entre le deuxième (la presse) et le troisième (la paperasse). La redocumentarisation marque le passage du troisième au quatrième âge (fichiers). Les technologies numériques entraînent un processus de « redocumentarisation » qui constitue un nouveau défi pour les professions documentaires. Il s’agit de traiter à la fois les documents traditionnels qui ont été numérisés, mais aussi d’apporter les métadonnées indispensables pour la traçabilité de l’évolution des documents numériques. Le Web remet en cause l’ordre documentaire comme un nouveau média s’installant parmi les anciens. L’internet, fonctionne comme une machine à fabriquer des archives en continu, l’activité du web s’exprimant sous forme de traces. « Le web favorise conjointement deux mouvements opposés : le développement d’échanges spontanés (conversations) et leur fixation sur un support public, pérenne et documenté. [5] ». L’avènement du numérique élargit et bouscule les savoirs professionnels. L’apparition de communautés informationnelles permet aux individus de collaborer, de participer et de coopérer. Ainsi dans les réseaux sociaux, l’usager devient créateur et gestionnaire de ressources en proposant des descriptions de l’information comme les folksonomies [6].

Le web peut à la fois fournir de l’information et offrir la possibilité au lecteur de réagir. Cette « nouvelle démocratie de la communication et de la participation » est analysée par Joël de Rosnay et Carlo Revelli dans leur ouvrage « La révolte du pronétariat ». Ils décrivent les principes d’une économie qui repose de plus en plus sur les relations de particulier à particulier plutôt que sur la distribution de masse de contenus culturels, typique de l’approche des majors de la musique ou de l’édition. Ils nomment « ’’pronétaires’’ ou ’’pronétariat’’ (du grec pro, devant, avant, mais aussi favorable à, et de l’anglais net, qui signifie réseau et est aussi l’appellation familière en français d’Internet – le “Net”) une nouvelle classe d’usagers des réseaux numériques capables de produire, diffuser, vendre des contenus numériques non propriétaires » [7].

Cette e-révolution s’apparente selon les auteurs à une nouvelle lutte de classes entre les grands pouvoirs politiques et industriels et ce que l’on peut appeler la société civile. La création collaborative et la distribution d’informations de personne à personne, confèrent de nouveaux pouvoirs aux utilisateurs, jadis relégués au rang de simples consommateurs. Des outils professionnels leur permettent de produire des contenus numériques à haute valeur ajoutée dans les domaines de l’image, de la vidéo, du son, du texte, jusque là traditionnellement réservés aux seuls producteurs de masse, propriétaires des « mass media ».

La blogosphère

Le mouvement de partage de l’information s’est brusquement accéléré depuis 2004 grâce à de nouveaux outils conviviaux de publication comme les blogs, wikis... Jean-Michel Salaün précise que « ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le Web 2.0, mélange d’internautes éclairés et d’informaticiens militants ou entreprenants qui construisent ou proposent collectivement un savoir partagé [8] » représente en profondeur la concrétisation du web telle que l’a imaginée Tim Berners-Lee. Dès la multiplication des sites personnels, grâce au langage HTML, les auteurs n’ont plus besoin de passer par un éditeur. Selon Gautier Poupeau [9] « le concept de désintermédiation, constitue la caractéristique du web qui a été la plus tôt assimilée. Le but du web étant de partager rapidement une information sur un réseau informatique, la facilité de publication a constitué un des points fondamentaux du cahier des charges qui a abouti à son invention au CERN. Chaque nouveau moyen de communication est accompagné de représentations collectives, qui sont constituées de l’ensemble des pensées dominantes sur les rapports entre un objet prépondérant à un moment déterminé et une société donnée. Le développement de l’Internet, par exemple, promettait l’avènement d’ « un village global », qui mettrait en relation tous les individus entre eux. Les discours qui accompagnent le développement des blogs ne sont pas sans analogie avec l’essor de l’Internet. L’explosion des blogs s’inscrit dans cette perspective, pour Jeanne-Perrier, Le Cam et Pélissier [10] « il s’agit, pour les créateurs de ces outils particuliers, de faire vivre pleinement le mythe des origines de l’Internet, celui de la participation et de l’expression de tous à la vie des réseaux de communications ». Les blogs s’intègrent dans les outils communicationnels du web. Le blog est fondé le plus souvent sur des motivations relationnelles. Il ne prend vie que s’il est commenté par la communauté. L’auteur est alors soumis aux commentaires et aux critiques de ses pairs. Olivier Trédan, rappelle que « la capacité réflexive des blogueurs (entre eux) se traduit par l’émergence d’un territoire informationnel, la blogosphère [11] ». Les blogueurs montrent la volonté de délimiter un espace virtuel et d’établir un nouveau territoire sur le web en constituant un espace public formé par l’interconnexion des blogs entre eux appelée blogosphère. Il n’est donc pas étonnant de constater que les blogueurs se sentent investis d’un sentiment d’appartenance à une communauté. La blogosphère est le lieu d’expression d’une opinion réticulaire qui ne répond plus à un système hiérarchique, pyramidal.

Pour conclure

Avec la numérisation des données, l’information sur les réseaux est soumise à un recyclage permanent et aux phénomènes de redocumentarisation. Le numérique favorise un développement des mémoires externes, une mise en réseau de la totalité des traces. La présence d’un médiateur face à la surinformation devient de plus en plus nécessaire, tout particulièrement dans l’école où travaillent les enseignants documentalistes. En utilisant les possibilités que leur offre le web 2.0, les élèves doivent savoir rechercher, traiter, produire et diffuser de l’information en y incorporant de la valeur ajoutée en vue de satisfaire leurs besoins d’usagers et en tenant compte du caractère participatif qui fait l’originalité et la richesse de ce nouveau média. Le projet de formation des élèves à la culture de l’information doit viser une compréhension des phénomènes informationnels (production, traitement, mise à disposition et circulation des informations) dans la société et des enjeux politiques, culturels, économiques et civiques qui leurs sont associés, afin de développer une véritable culture de l’information allant au-delà de la maîtrise procédurale.

Notes

[1Salaün, Jean-Michel. Documents et numérique, 2003, http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_...

[2Réseau Thématique Pluridisciplinaire « Documents et contenu : création, indexation, navigation » en abrégé RTPDOC, mis en place en mai 2002 par le département Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication (STIC) du CNRS.

[3Salaün, Jean-Michel. « La redocumentarisation, un défi pour les sciences de l’information ». In Études de communication, n° 30, 2007, p. 13-23.

[4Marshall A. Une brève histoire de la paperasse, papier de travail pour le RTP-DOC, 2OO7. http://rtp-doc.enssib.fr/IMG/pdf/ma...

[5Salaün, Jean-Michel. Web, texte, conversation et redocumentarisation. JADT 2008 : 9es Journées internationales d’Analyse statistique des Données Textuelles

[6Folksonomie : ce mot-valise, contraction de folk (peuple) et taxonomie, désigne une forme de "classification collaborative décentralisée spontanée", basée non pas sur un vocabulaire contrôlé et standardisé mais sur des termes choisis par les utilisateurs euxmêmes, intitulés tags. L’objectif étant de faciliter l’indexation des contenus, ainsi que la recherche d’information. (Digimind. Le Web 2.0 pour la veille et la recherche d’information. Juin 2007. http://www.digimind.fr/publications...

[7de Rosnay, Joël, Revelli, Carlo. La révolte du pronétariat : des mass média aux médias des masses. Fayard, 2006, p. 12

[8Salaün, Jean-Michel. « Economie du document numérique : pour des archithécaires ». In Pérenniser le document numérique. Séminaire INRIA, 2-6 octobre 2006. Paris : ADBS Editions, 2006, p. 31- 50

[9Poupeau, Gautier. « Blogs et wikis : Quand le web s’approprie la société de l’information ». In BBF, mai-juin 2006, t.51, n° 3, p. 29-37,

[10Jeanne-Peerier, V., Le Cam, F., Pélissier, N. « Les sites web d’autopublication : observations privilégiés des effervescences et des débordements journalistiques en tous genre ». In Ringoot, R., Utard, J.-M.(Ed.) Le journalisme en invention. Presses Universitaires de Rennes, 2005, p.158

[11Trédan, Olivier. Hétérogénéité des publics, hétérogénéité des publics : le blog, un objet complexe (gdrtics.uparis10.fr/pdf/eco les/sept2005/sup portTred an-1.pdf ), p.6

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