Le gel du Pass Culture : une décision précipitée et brutale
Communiqué
D’abord sous forme de rumeur, puis par média [1], parfois par message des rectorats dans certaines académies, enfin par une information officielle sur l’application du Pass Culture, mais à destination des acteur·rices culturel·les seulement [2], les enseignant·es ont découvert, au fur et à mesure de ce qui était diffusé le jeudi 30 et le vendredi 31 janvier, que la part collective du Pass Culture était gelée. On a pu lire ainsi :
Pour assurer la réalisation d’actions jusqu’à la fin de l’année scolaire 2024-2025 et afin de préserver la possibilité d’initier des actions à la rentrée 2025, un plafond de dépenses a dû être fixé pour la période janvier-août 2025. Dès l’atteinte de ce plafond, fixé à 50 millions d’euros, il ne sera plus possible d’effectuer de nouvelles réservations au titre de l’année scolaire 2024-2025. [3]
Cette décision, aussi mal diffusée que brutale, a créé un vent de panique dans les équipes pédagogiques. La plateforme Adage s’est retrouvée régulièrement saturée, chacun et chacune voulant saisir les dernières demandes de financement avant le 31 janvier au soir. Là encore, sans information claire, la rumeur amplifiant, les équipes se sont démenées, parfois en vain, parfois en pleine nuit pour espérer une accessibilité plus aisée à la plateforme, notamment les professeur·es documentalistes qui, de par leurs missions, sont pleinement investi·es dans l’Éducation artistique et culturelle (EAC).
Sur la forme, la méthode n’est pas acceptable : c’est un mépris très lourd à l’égard des acteurs du monde éducatif tout comme à l’égard des acteurs du monde culturel.
Sur le fonds aussi, rien ne permet de justifier une telle brutalité.
Les équipes pédagogiques ont élaboré pour l’année scolaire 2024-2025 des parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC) pour les classes sur la base d’un crédit de dépense Pass Culture calculé en fonction du nombre d’élèves dans l’établissement, selon le niveau de ces élèves [4], parfois en complément de contributions financières apportées par les collectivités territoriales de rattachement. Ce travail de concertation au sein des équipes et avec les différents acteurs culturels, eux-mêmes inscrits dans leurs temporalités propres, poursuit les objectifs louables fixés par le Ministère de l’Éducation nationale depuis plusieurs années en matière d’EAC : « objectif qualitatif, construire un parcours d’éducation artistique et culturelle cohérent et fertile, mais aussi quantitatif, concerner tous les élèves », pour citer le site Eduscol [5].
Si les projets d’ores et déjà validés dans la plateforme depuis septembre ne sont pas remis en question, beaucoup d’autres projets étaient envisagés, fixés, sans pour autant que les procédures formelles aient été effectuées, sans d’ailleurs qu’il fût obligatoire de les opérer avant. L’anticipation de certaines et certains les sauvent. Pour les autres, c’est la douche froide. Nombre d’actrices et acteurs culturel·les qui s’étaient engagé·es, et comptaient sur ce Pass Culture, se retrouvent sans cette perspective d’actions ni de revenus. Nombre d’enseignant·es, dont les référent·es culture et les professeur·es documentalistes, se retrouvent orphelin·es de leurs projets de l’année. Et c’est la consternation et la colère. Car derrière les arbitrages budgétaires et les plateformes à remplir, il y a une réalité que nous ne pouvons oublier : nous observons combien les élèves se nourrissent de ces rencontres, de ces visites, de ces expériences culturelles riches et nouvelles qui font naître l’enthousiasme et l’émerveillement, ouvrent les horizons.
Alors que les établissements n’ont pas eu le choix de ce système du Pass Culture, peu satisfaisant notamment au regard des modalités d’agrément des structures bénéficiaires et de l’absence de considération des disparités culturelles des territoires, ils s’en sont retrouvés dépendants, sans budgets propres à présent, bien souvent, pour pallier cette coupe des crédits. Notons aussi que, plutôt que de bloquer la plateforme quelques jours afin de réfléchir à un moyen de réguler une baisse drastique des crédits jusqu’en septembre, afin de respecter les budgets restants des collèges et lycées sur des bases réfléchies, le choix a été fait par le Ministère d’une totale anarchie pendant deux jours. Or, en la matière, les actrices et acteurs éducatifs et culturels ont besoin pour mener à bien leurs missions d’un cadre clair et un tant soit peu sécurisé dans le temps, ainsi que d’un financement à la hauteur des ambitions affichées.
L’A.P.D.E.N. s’insurge ainsi contre cette décision précipitée et brutale, sans communication digne à l’égard des professionnel·les concerné·es. Si des arbitrages budgétaires sont compréhensibles par anticipation pour se conformer au vote du budget de la Nation, les choix opérés ici sont problématiques, voire scandaleux, vis-à-vis de la jeunesse. L’A.P.D.E.N. revendique une politique publique et des financements à la hauteur de l’ambition d’une Éducation artistique et culturelle pour tous les élèves, quand par ailleurs la mise en application progressive de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, dite 3DS, peut faire aussi naître de légitimes inquiétudes sur l’autonomie des personnels de direction d’établissement dans leurs choix budgétaires [6].
Notes
[1] Sur https://www.francetvinfo.fr/culture/politique-culturelle/le-budget-alloue-a-la-part-collective-du-pass-culture-est-gele-a-50-millions-d-euros-pour-2025_7045940.html ou https://cafepedagogique.net/2025/01/31/alerte-sur-le-gel-du-pass-culture/
[2] Sur https://aide.passculture.app/hc/fr/articles/18234132822684--Acteurs-culturels-Informations-importantes-Cr%C3%A9dit-de-la-part-collective-pour-l-ann%C3%A9e-scolaire-2024-2025
[3] Ibid.
[4] Entre 20 et 30 euros par élèves pour une année scolaire en fonction de la classe. cf. Vademecum de la part collective du pass Culture, actualisé en octobre 2024, disponible sur : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/education-artistique-et-culturelle/l-eac-pour-s-ouvrir-au-monde/vademecum-de-la-part-collective-du-pass-culture
[6] La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 instaure une autorité de tutelle des collectivités sur les secrétaires généraux d’EPLE (nouvelle appellation des adjoint·es gestionnaires depuis le 1er septembre 2023)