2013
mai
16

Pour un enseignement de l’information et des médias.

Réflexions de la FADBEN au sujet de la conférence nationale « Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information » 21-22 mai 2013 à l’ENS de Lyon.

Le texte suivant a été communiqué le 15 mai 2013 à l’ensemble des intervenants au programme de la Conférence nationale, et communiqué aux organisateurs afin qu’il soit mis en ligne sur le site officiel de l’évènement.

Les 21 et 22 mai 2013, l’Institut Français de l’Education accueille une conférence nationale intitulée « Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information ». Dans la présentation de cet événement, consultable sur le site de l’IFE, sont définis les enjeux et les objectifs des communications. Il s’agit ainsi « d’assurer à chaque élève une éducation aux médias et à l’information qui soit une voie d’accès efficace aux savoirs et un vecteur de leur partage et que chaque enseignant puisse contribuer à cette éducation. » [1]

La FADBEN considère que ce positionnement est très réducteur, dans la mesure où il n’envisage l’éducation aux médias et à l’information que comme un moyen d’accéder aux savoirs et de les partager. L’enjeu développé s’appuie ainsi davantage sur une éducation "par" les médias plutôt que sur une éducation "aux" ou "des" médias. Or les médias et l’information constituent, en eux-mêmes, des objets de savoir étudiés par les Sciences de l’information et de la communication (SIC). Ils sont également des objets de savoirs scolaires qui peuvent donner matière à un enseignement spécifique, fondé sur une progression pédagogique, avec un champ conceptuel cohérent qui permette réellement l’acquisition de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être. La seule intégration dans les programmes des enseignements existants ne peut donc pas être jugée satisfaisante, en ce qu’elle oublie systématiquement la portée didactique de ces savoirs, pour les réduire à de simples savoirs auxiliaires au service de l’acquisition des savoirs académiques. Le statut mal défini des « éducation à », qui leur est ici attribué, participe de cette dévalorisation. Il ne permet pas de donner une assise curriculaire forte à des savoirs jugés aujourd’hui essentiels à l’usage de la citoyenneté dans une société numérique dite de l’information, et où les médias jouent un rôle de premier ordre.

Sans rejeter l’intégration ponctuelle de contenus relatifs à l’information et aux médias dans les autres disciplines, la FADBEN estime que ce domaine d’enseignement, pour parvenir à des apprentissages maîtrisés, doit relever d’un cadre pédagogique spécifique, avec des horaires associés. Cela paraît d’autant plus évident qu’il y a nécessité de parvenir à l’assimilation des concepts relevant de ce domaine par les élèves, à travers des situations suffisamment diversifiées pour que ces concepts puissent devenir transférables dans le cadre d’apprentissages autonomes.

Déjà mise en pratique depuis plus de 30 ans, "l’éducation aux médias" se trouve aujourd’hui dans une impasse. Les professionnels de l’information, tout comme les acteurs pédagogiques, sont d’accord pour exprimer le besoin d’un "second souffle", avec la systématisation d’un parcours scolaire [2], [3]. Les connaissances et compétences relatives à l’information et aux médias, dans un souci d’articulation, sont à appréhender avec les élèves en tant qu’objets de savoirs spécifiques, avec les références scientifiques et l’approche didactique que cela suppose, en prenant appui sur les Sciences de l’information et de la communication. La FADBEN considère qu’une « éducation à » disséminée, diluée dans différentes disciplines, est insuffisante, quand un enseignement distinct, qui intègre les articulations possibles avec les autres domaines d’enseignement est nécessaire [4].

Les travaux menés par le GRCDI, Groupe de Recherche sur la Culture et la Didactique de l’information rattaché à l’ERTé "Culture informationnelle et curriculum documentaire" [5], dont les conclusions envisagent des préconisations pour l’élaboration d’un curriculum info-documentaire, peuvent être un point d’accroche intéressant pour une réflexion sur la mise en œuvre pratique de cet enseignement. Ainsi, la synthèse des travaux de ce groupe de chercheurs, publiée en 2010 [6], propose plusieurs pistes concrètes, venant à la suite, entre autres, des réflexions et publications proposées par la FADBEN autour du référentiel info-documentaire en 1997 [7], puis des savoirs scolaires en information-documentation en 2007 [8]. Pour développer la culture informationnelle globale des élèves, dans un enseignement assuré par le professeur documentaliste, en articulation avec les autres disciplines, il conviendrait, dans un cadre institutionnel, de bien "identifier les connaissances et compétences à enseigner" ; de "veiller à la dimension temporelle des apprentissages de la maternelle à l’université" ; de "proposer aux enseignants et aux formateurs des démarches pédagogiques adaptées" [9]. Cela suppose une didactisation des savoirs, pour que ceux-ci soient accessibles aux élèves en fonction des différents niveaux d’étude, en prenant appui sur les dimensions psychologique, épistémologique, pédagogique nécessaires à la mise en œuvre de cet enseignement.

L’organisation pratique d’un tel enseignement nécessite une meilleure reconnaissance du rôle pédagogique du professeur documentaliste, ainsi que le choix d’un cadre horaire professionnel propice à l’organisation de cet enseignement. Convaincus que le professeur documentaliste doit assurer cet enseignement, nous sommes aussi persuadés que ses missions doivent être précisées en ce sens. En effet, alors que les contenus disciplinaires de référence du CAPES de Documentation relèvent des Sciences de l’information et de la communication, désignant un domaine de spécialisation avec des savoirs particuliers à mettre en œuvre auprès des élèves dans les séquences d’apprentissages, il est surprenant de constater que cette spécialité disciplinaire ne soit pas plus mise en avant par l’institution dans le cadre d’exercice du métier de professeur documentaliste, et pour la mise en place de dispositifs visant à développer les connaissances et compétences informationnelles des élèves. De même, dans la présentation du programme de la conférence, à laquelle participent plusieurs professeurs documentalistes, ceux-ci sont considérés comme contributeurs ponctuels, à travers une politique de "projets", sans mise en avant d’une progression curriculaire, par exemple. Une telle reconnaissance, pourtant, non plus seulement théorique, mais également pratique et didactique, permettrait d’assurer un enseignement de l’information et des médias auprès des élèves, de manière systématique et efficiente.

Dans la continuité du Manifeste 2012, qui a recueilli près de 2500 signatures, la FADBEN "revendique la reconnaissance et la formalisation des contenus d’enseignement qui relèvent du domaine de spécialité du professeur documentaliste, à savoir l’information-documentation", dans un enseignement reconnu de l’information et des médias. Cette intégration nouvelle de l’information et des médias dans les enseignements généraux du secondaire, avec une articulation légitime aux autres disciplines, est à réfléchir contre l’éparpillement des apprentissages. Donner un cadre officiel à cette prise de responsabilité attendue par la majorité de la profession semble indispensable pour assurer la continuité et la cohérence de ces apprentissages contre les effets d’aléatoire et de saupoudrage... La FADBEN insiste à cette fin sur la nécessité de constituer un groupe de travail ministériel chargé d’élaborer un curriculum info-documentaire, ce qui suppose également de préciser les modalités de cet enseignement.

La FADBEN met l’accent sur la nécessité d’un réel développement des savoirs relatifs aux médias, au cœur d’un enseignement de l’information et des médias, contre une tendance récente à dévaloriser les missions pédagogiques des professeurs documentalistes, qui sont pourtant à considérer comme une richesse dans notre système éducatif. Il s’agit aussi de s’opposer à l’idée de mettre le CDI, espace didactique, au service de l’autodidactie, ou encore au service des CRDP (comme éditeur et "diffuseur intermédiaire" de ressources numérisées), ainsi qu’énoncé dans la présentation de la table ronde relative aux ressources numériques figurant au programme de la Conférence.

Parce que les professeurs documentalistes sont au plus près des mutations contemporaines de l’univers informationnel, la FADBEN souhaite que l’institution se donne pour réelle ambition de relever les enjeux sociétaux, éducatifs et sociocognitifs dont aujourd’hui tout un chacun à conscience.

Le 14 mai 2013 à Paris
Bureau national de la FADBEN
Fédération des enseignants documentalistes de l’Education nationale

Notes

[1IFE Institut français de l’éducation. Conférence nationale : Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information [Présentation et programme]. Site de l’IFE [en ligne], 2013. Disponible sur : http://ife.ens-lyon.fr/manifestations/2012-2013/conference-nationale-cultures-numeriques-education-aux-medias-et-a-l2019information (consulté le 27/03/2013).

[2Assises internationales du journalisme et de l’information. "Éducation aux médias : quelle politique, quelles actions ?. Bilan des débats 2012". Journalisme.com [en ligne], 2012. http://www.journalisme.com/les-bilans-des-assises-2012/199-debats-publics-2012-compte-rendus/1213-education-aux-medias-quelle-politique-quelles-actions (consulté le 27/03/2013).

[3Université de la Sorbonne (Paris-3). Conférence "L’éducation aux médias, quels enjeux, quelles perspectives, regards croisés entre la France et le Canada", avec Geneviève Jacquinot, (Professeur émérite de l’université Paris 8), Jacques Piette, (Professeur des universités à l’université de Sherbrooke au Québec). Vidéo disponible en ligne sur : http://epresence.univ-paris3.fr/1/watch/225.aspx (consulté le 27/03/2013).

[4Assouline, David. « Les nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ? ». Rapport d’information n° 46 (2008-2009) du 22 octobre 2008. Site du Sénat [en ligne], 2008. Disponible sur : http://www.senat.fr/notice-rapport/2008/r08-046-notice.html (consulté le 27/03/2013).

[5ERTé. "L’éducation à la culture informationnelle". Colloque international de l’ERTé, Lille, octobre 2008. Site de l’ERTé [en ligne], 2008. Disponible sur : http://ertecolloque.wordpress.com/textes-et-traces-du-colloque (consulté le 27/03/2013).

[6GRCDI. Culture informationnelle et didactique de l’information. Synthèse des travaux du GRCDI, 2007-2010. [en ligne] Disponible sur : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00520098/fr/ (consulté le 27/03/2013).

[7FADBEN. Proposition d’un référentiel de compétences. Paris : FADBEN. Site de la FADBEN [en ligne], 1997. Disponible sur : http://www.apden.org/IMG/pdf/REFERENTIEL-COMPETENCES-1997-2.pdf (consulté le 27/03/2013).

[8Les savoirs scolaires en information-documentation : 7 notions organisatrices. Mediadoc. Paris : FADBEN. Mars 2007. Site de la FADBEN [en ligne]. Disponible sur : http://www.apden.org/IMG/pdf/Mediadoc-Savoirs-scol_Mars2007_Der.pdf (consulté le 27/03/2013).

[9Propositions n°5, n°6 et n°7 du GRCDI

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Réflexions de la FADBEN au sujet de la Conférence Nationale "Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information"
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