Les plateformes de curation... au service des apprentissages info-documentaires
Les TraAM (Travaux Académiques Mutualisés) s’inscrivent dans une démarche de développement de l’usage des TICE, et de leur intégration dans les disciplines. Ils sont pilotés et financés par la DGESCO via le bureau des usages numériques et des ressources pédagogiques (A3-2). Les thèmes et les participants sont renouvelés chaque année. Pour l’année scolaire 2011/2012, le thème général en documentation était : « permettre aux élèves de construire leur démarche de veille numérique : apprendre aux élèves à élaborer et mettre en place une stratégie de veille numérique en adéquation avec leur projet de travail ».
Huit académies ont été retenues : Bordeaux, Dijon, Limoges, Besançon,
Aix-Marseille, Toulouse, Reims et Nice. Versailles a participé sur ses fonds propres. C’est dans ce cadre que s’inscrit la démarche présentée par Florence Canet et Anne Delannoy.
Les TraAM documentation : http://eduscol.education.fr/langues/animation/actions_obj/traam_2011_12
Bilan intermédiaire des TraAM 2011-2012 : http://eduscol.education.fr/cdi/anim/reunion-desinterlocuteurs-
academiques/reunion-iatice-doc-2012/perspectives2013
Florence Canet, Anne Delannoy
Professeurs documentalistes pour le groupe TraAM-Doc Toulouse
Article publié dans le médiadoc N°8 juin 2012
La multiplication des sources d’information liée au développement des outils du web2.0 et à la prégnance des réseaux sociaux, ainsi que le développement des notions de diffusion et de partage, rend de plus en plus nécessaire une sensibilisation et une formation des élèves aux pratiques de veille informationnelle. En effet, de nombreuses études montrent que, dans ce contexte, nous passons d’une logique de recherche d’information à la mise en oeuvre de stratégie de maîtrise des flux d’information, dont la veille est un des piliers.
Ces réflexions nous amènent vers une nécessaire évolution de nos pratiques et de notre enseignement des compétences info-documentaires. Ce changement est entériné par l’institution avec la rénovation du B2I collège qui introduit la notion de veille informationnelle. De même, au lycée, certains dispositifs qui demandent une véritable stratégie de recherche informationnelle construite, approfondie et structurée, comme les TPE, sont terrains favorables pour le développement de ces compétences. Ces dispositifs préfigurent et préparent les élèves à l’autonomie qui leur sera nécessaire dans l’enseignement supérieur puisque cette veille informationnelle deviendra alors indispensable.
Dans ce contexte, il nous a paru intéressant de nous pencher sur la curation. Ce concept, en vogue depuis 2010, désigne la pratique qui
consiste à rechercher, sélectionner, éditorialiser et partager du contenu. La curation peut être automatique, les outils les plus utilisés en info-documentation sont Paper.li ou Summify. Mais elle peut aussi être manuelle comme nous le verrons par la suite. L’intérêt de la pratique de la curation pour l’enseignant est qu’elle permet de faire travailler les compétences de sélection, d’analyse, d’argumentation et de synthèse, ainsi que de proposer une publication facile et attractive.
Afin de développer ces compétences, des enseignants documentalistes qui travaillent dans le cadre des Travaux Académiques Mutualisés (TraAM) ont choisi d’utiliser un outil de curation en ligne, Scoop.it, qui propose des fonctionnalités de collecte et de publication d’informations. Cet outil, gratuit dans sa version minimale, ne nécessite pas d’installation particulière ce qui favorise un usage immédiat par les élèves, en établissement scolaire comme à la maison. Son interface intuitive et fonctionnelle présente l’avantage d’une prise en main facile qui limite le temps de formation nécessaire à la maîtrise de l’outil. L’aspect visuel est motivant et rapidement gratifiant. Les élèves peuvent commencer à publier très rapidement leurs articles. Ils se confrontent donc concrètement à la notion de responsabilité de diffusion et de publication dans un web 2.0 où la temporalité tend à se rapprocher de l’instantanéité.
Utiliser des plates formes de curation avec les élèves ?
Les plates-formes de curation permettent de développer
de nombreuses compétences et savoirs faire info-documentaires : mettre en place une veille informationnelle, partager cette veille, sélectionner et valider des informations trouvées sur Internet, organiser la mise en forme de l’information, avoir un comportement responsable face à la publication sur Internet.
Les enseignants documentalistes participant au projet ont choisi de particulièrement insister sur la phase de recherche des sources et sur l’utilité du système "push" qu’offrent les outils comme Scoop.it.
L’utilisation de ces plates formes de curation permet d’appréhender une recherche informationnelle via la veille. Deux stratégies différentes ont été choisies pour aborder la notion de sourcing, première étape du cycle de veille. Elles sont définies dans les exemples suivants.
Utiliser Scoop.it pour mieux comprendre la notion de mot clé
ou le « bruit » comme démarche éducative au lycée Pierre Bourdieu de Fronton
Dans le cadre de l’accompagnement personnalisé, avec une classe de 1ère S, la professeur documentaliste et la professeur de SVT ont mené un travail sur différentes thématiques liées à la biodiversité méditerranéenne, la biodiversité et l’écologie marine et à la chimie de la mer. L’objectif final était la réalisation d’affiches et la publication d’une revue de presse numérique sur ces thématiques en utilisant l’outil Scoop.it. Cette expérimentation s’est, dans un premier temps, centrée sur le choix et la pertinence des mots clés.En effet, même si les élèves utilisent en permanence des mots clés lorsqu’ils sont sur un logiciel documentaire ou un moteur de recherche, beaucoup n’en comprennent pas vraiment le fonctionnement complet et l’impact sur des résultats de recherche. Leurs mots clés sont souvent imprécis, peu adaptés. Une des premières étapes du travail sur Scoop.it a donc été de paramétrer les « pages » des groupes d’élèves : choisir un titre, une phrase descriptive du sujet et surtout des mots clés. En tant qu’outil de curation, Scoop.it propose des contenus à partir d’une interrogation automatique de Google, Twitter, Digg et Youtube et ce à partir des mots clés choisis par les utilisateurs. Il est possible de gérer ces sources, d’en rajouter ou d’en enlever mais cet aspect n’a pas été abordé avec les élèves dans cette première expérimentation.
Scoop it ne hiérarchise pas les résultats, ne corrige pas les fautes (comme Google par exemple qui permet parfois de trouver des informations même si les mots clés sont vagues et inadaptés). Il livre donc des suggestions de contenus à publier sur les pages thématiques des élèves, charge à eux de terminer le cycle de veille, à savoir la sélection, la mise en forme et la diffusion de ces contenus.
Agréger des flux RSS sur Scoop.it au lycée Charles de Gaulle de Muret
Dans la seconde expérimentation, la professeure documentaliste a travaillé en partenariat avec un professeur d’histoire sur le thème des élections Présidentielles de 2012 avec une classe de seconde générale
en ECJS. Les sujets majeurs de la campagne présidentielle devaient être abordés par le biais unique du dessin de presse retraçant ainsi le journal de campagne des candidats. La spécificité du support d’information recherché a incité à ne pas utiliser la fonction de recherche de contenu avec les mots clés proposé par Scoop.it, mais plutôt de définir avec les élèves les sites ressources, proposant des dessins de presse et permettant un suivi par un flux RSS. Lors de la première séance les élèves ont listé et recherché via le moteur de recherche Google les sites pertinents pour le projet, c’est-à-dire les principaux médias en ligne. Lors de l’ouverture des comptes Scoop.it toutes les propositions par défaut du moteur de recherche interne ont été supprimées. Les élèves ont ensuite inséré les flux RSS des sites
sélectionnés lors de la première séance. Ainsi le moteur de recherche interne a travaillé uniquement sur les sources indiquées. La notion de « push » a pu être comprise et appliquée par les élèves et la plateforme s’est avérée un véritable bureau de veille pour les élèves.
Dans un deuxième temps, afin de réinvestir la notion de mots clés et pour favoriser une organisation cohérente de l’information, il a été demandé aux élèves d’indexer les articles publiés à l’aide de tags.
En effet Scoop.it n’offre pas beaucoup de latitude pour valoriser et organiser les informations publiées et seule l’utilisation de tag permet de classer et de retrouver les contenus puisqu’en cliquant sur un tag les articles indexés avec ce dernier apparaissent sur le bureau. Cette fonctionnalité peut également être utile pour illustrer et rendre concrète l’utilisation d’un thésaurus.
Quels retours d’expériences ?
Les premiers retours d’expériences montrent que les élèves se sont emparés très facilement de l’outil et, dès la première séance, ont commencé à publier des articles. L’aspect simple et visuel des pages, la rapidité de publication et la visualisation immédiate de ce qui est publié sont attractifs et motivants.
Les élèves ont rapidement pu constater les problèmes de bruit et de résultats inadaptés avec leurs mots clés au départ mal choisis ou trop
vagues dans le premier projet. Le concept de bruit s’est donc révélé éducatif puisqu’au cours de la première séance, certains groupes ont modifié plusieurs fois leurs mots clés en fonction des résultats.
Ils les ont affinés, précisés et diversifiés. Par ce biais, ils ont pu saisir toutes les difficultés inhérentes au traitement automatique et informatique des données réalisé sur le web. L’utilisation du push avec uniquement des flux RSS sélectionnés a été plutôt compliquée pour les élèves car ils ne trouvaient pas assez de dessins de presse pour certains candidats. Ils ont donc dû compléter avec des recherches directes sur internet via des moteurs de recherche traditionnels et utiliser des fonctions avancées de recherche (date de publication et associations de mots clés). D’autre part, ils ont été moins attentifs à la validation des informations proposée par le moteur de recherche interne de Scoop.it. En effet, les contenus proposés par Scoop.it sont associés à un bouton « publish » ce qui a incité les élèves à cliquer automatiquement pour publier plus rapidement, sans nécessairement réfléchir à la pertinence du dessin.
Contre toute attente, ils étaient plus critiques pour les dessins trouvés via Google. Les élèves ont également trouvé peu lisible la présentation des résultats de recherche sur Scoop.it. Scoop.it s’est donc révélé intéressant pour ses fonctions de publication, mais une utilisation dans le cadre de la veille avec des élèves est apparue plus compliquée. Il peut être intéressant d’envisager de doubler les outils en travaillant avec des outils de social bookmarking, Pearltrees ou Diigo par exemple, pour effectuer le sourcing et de publier sur Scoop.it qui permet une bonne éditorialisation couplée à des tags et une valorisation de l’information par l’ajout de commentaires. Le lien entre les outils de curation et de social bookmarking apparaît de plus en plus nécessaire. Diigo comme Delicious l’ont bien compris car ces deux outils proposent désormais de publier des pages thématiques (Stacks pour Delicious, Webslide pour Diigo). Néanmoins, ces expériences montrent que peu importe l’outil utilisé puisque c’est la stratégie que doit mettre en place l’élève, le sourcing et la validation de l’information, qui conditionnent une bonne activité de veille. De même, une analyse sérieuse et une mise en forme des contenus conditionnent une bonne médiation et un bon partage de l’information.
Utilisation de plateformes de curation... Quels enjeux ?
La formation des élèves à la veille informationnelle et à l’utilisation de plates-formes de curation apparaît nécessaire et les enjeux sont doubles. C’est, d’une part, un moyen de renforcer les savoirs infodocumentaires à l’aide d’outils visuels et interactifs et d’approfondir des notions de base : choix et définition de mots clés pertinents, recherche et sélection de l’information, mise en forme des contenus. Les outils de curation comme Scoop.it enrichissent ces concepts avec les notions de partage et de co-construction, ils rendent visible la mise en place d’un système de veille. En parallèle, ces expérimentations permettent un travail concret sur la notion de validation des sources et des contenus, ainsi que la mise en oeuvre d’une attitude critique et réfléchie vis à vis de l’information.
Grâce aux outils simples et facilitateurs que sont les plateformes de curation, les élèves sont de fait confrontés à leur responsabilité face à la publication sur Internet : tri et validation, respect du droit d’auteur et citation des sources.
Veiller et publier sont de nouvelles compétences nécessaires à la formation des élèves car elles mettent en jeu des savoirs essentiels pour comprendre la complexité de la culture numérique et du processus éditorial du web. N’est ce pas leur donner les moyens d’être plus tard de futurs citoyens avertis face à l’information et peut être de futurs curateurs responsables dans un contexte où l’évolution des outils du web permet de plus en plus à chacun de devenir médiateur d’information s’il le souhaite ?
**Pour compléter :
Dossier à télécharger sur le site de l’Académie de
Toulouse : « La curation : des pratiques professionnelles aux
usages pédagogiques » : http://espace-cdi.ac-toulouse.fr/spip.php?article32& var_hasard=15086149814fcf589e33162
« Biodiversité marine et veille documentaire » : http://espace-cdi.ac-toulouse.fr/spip.php?article39
« Journal de campagne présidentielle / Scoop it et dessin de presse » : http://espace-cdi.ac-toulouse.fr/spip.php?article41