Notions ciblées : Fiabilité de l'information (question 04) et Évaluation de l'information (question 18)
Pour Alexandre Serres[1], chercheur en Sciences de l'information et de la communication et auteur d'un ouvrage sur la question, « Évaluer l'information est une des manifestations les plus fortes de notre "être-au-monde informationnel", dans la mesure où il s'agit d'une opération mobilisant à la fois nos connaissances, nos compétences mais aussi nos valeurs personnelles, nos jugements, nos opinions, nos goûts. Cette opération n'est ni purement technique, ni purement documentaire, elle n'est pas non plus purement cognitive, mais entremêle toutes ces dimensions et bien d'autres plus personnelles ».
L'évaluation de l'information a toujours existé. Autrefois réservée aux professionnels, elle repose désormais, notamment depuis l'émergence du web 2.0, sur les usagers pour lesquels elle est d'autant plus nécessaire que le numérique induit certains brouillages autour des notions autrefois plus stables de document, d'auteur, de source et de support médiatique. L'unimédia que représente Internet et l'autoritativité qu'offre le web 2.0 sont deux exemples reconnus de cette « confusion documentaire » qui rendent les tâches de sélection et d'évaluation a posteriori plus ardues aux usagers. Sur le plan pédagogique, Alexandre Serres met en garde contre les grilles d'évaluation prêtes à l'emploi qui donnent l'illusion que le problème peut se résoudre uniquement par la technique. Le processus est de loin plus complexe qui mêle à cette dimension socio-technique (le numérique, Internet) les dimensions informationnelles (pratiques de recherche), culturelles (usages numériques), psychologiques (représentations, attentes, cognition) et socio-politiques (la question de la confiance).
L'enseignant, devant cette complexité, ne doit pas baisser les bras mais chercher les voies d'un apprentissage ouvrant à la culture informationnelle. Il s'agira particulièrement de mesurer les enjeux de cette maîtrise, de s'enrichir du matériel conceptuel nécessaire à la compréhension du processus d'évaluation de l'information et de savoir se doter des outils rendant ces connaissances opératoires et cette maîtrise possible. Les quelques pistes évoquées ici à grands traits ne font qu'esquisser des chemins d'enseignement et d'apprentissage susceptibles d'être développés, concrétisés et adaptés selon les niveaux de la 6ème à la Terminale :
Évaluer ses pratiques d'évaluation : tout apprentissage de cette nature devrait pouvoir débuter par une prise de conscience de ses propres pratiques. À l'aide d'outils diagnostiques (tests, QCM ou analyse de pratique), les élèves peuvent être amenés à faire un retour réflexif sur leurs gestes, leurs comportements et leurs représentations devant l'information qu'ils recherchent et exploitent.
Rencontrer les enjeux de l'évaluation de l'information : l'adhésion à cet apprentissage ne peut pas se passer d'une prise de conscience des risques encourus par l'utilisation d'information pour le moins lacunaire ou erronée, au pire instrumentalisée et toxique. Des activités d'observation et d'investigation, documentées ou non par l'actualité, devraient permettre aux élèves d'identifier les différents types d'info-pollution (E. Sutter) tels la surabondance (infobésité), la désinformation (atteinte à la démocratie), la médiocrité de l'information, la contamination de l'information (spams, virus, rumeurs), les effets pervers de la publicité et du marketing (référencement, spamming) et la tyrannie du temps réel ( A. Serres[1]).
Découvrir les outils de filtrage : on distinguera les grilles de critères d'évaluation que proposent en ligne de nombreux organismes de formation à la maîtrise de l'information des outils web permettant de filtrer les résultats d'une recherche, d'évaluer la réputation de sites, de signaler les sites douteux, d'analyser les canulars ou de donner des informations diverses sur les sites (popularité, PageRank, référencement, etc.). Ces aides techniques, si elles ne prétendent pas offrir des solutions définitives, ne laissent pas démunis les élèves et leur prouvent la réalité des défis à relever. Les découvertes de ces grilles et outils pourront être accompagnées de temps d'observation, de comparaison, de test et d'exploitation.
Co-élaborer des outils personnels d'aide à l'évaluation de l'information et s'approprier les notions essentielles : le but est de permettre aux élèves de construire l'armature conceptuelle de la notion d'évaluation de l'information tout en travaillant à l'identification des critères pertinents et à la réalisation d'une grille personnalisée. Deux axes, qu'il faudra croiser, peuvent nous venir en aide pour cette réflexion didactique : l'objet et le critère. S'agissant de l'objet de l'évaluation, qui ne peut être que le document, nous partirons de ses caractéristiques essentielles qui sont :
l'auteur, auquel, sont associées les notions de production de l'information, de source, d'émetteur et qui procède par intention (vision du document « par intention ») ;
l'usager-lecteur, auquel sont associées les notions de réception, de cognition, de besoin d'information, d'usage, de sélection et d'attribution (vision du document « par attribution ») ;
le contenu, auquel sont associées les notions d'information, de structuration, de typologies et de ressource ;
le support, auquel sont associées les notions de support documentaire, de média, de structuration.
Concernant le critère de l'évaluation, nous nous tournerons une fois de plus vers Alexandre Serres, dont la réflexion épistémologique débouche sur des propositions concrètes directement utilisables en didactique de l'information-documentation lorsqu'il présente les quatre critères transversaux du processus d'évaluation de l'information : la crédibilité, l'autorité, la qualité et la pertinence. Ces notions, si complexes et intriquées soient-elles, constituent des outils intellectuels puissants que les élèves doivent pouvoir s'approprier progressivement par confrontation au réel et par structuration.
Ainsi ces quatre critères peuvent être croisés avec chacune des quatre caractéristiques du document pour former la réflexion et le jugement lorsque les élèves se trouvent confrontés à l'évaluation de tout document susceptible de répondre à leur besoin d'information. Une première approche, qui pourrait être bien entendu développée pour le niveau lycée, permet déjà d'associer l'usager-lecteur au critère de pertinence, l'auteur à l'autorité et à la crédibilité, l'information à la qualité et à la crédibilité, le support, enfin, à l'autorité et à la qualité.
À titre d'exemple, un travail très fructueux peut déjà prendre pour objet d'étude une page de résultats et rechercher les nombreux indices support du jugement (nom de l'auteur, nom de l'organisme, congruence avec le thème, fraîcheur de l'information, nationalité du site, type de document, etc.). Les différents items qui ressortent de cette étude sont à mettre en relation avec les critères et les caractéristiques du document.





