2012
oct.
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Le document enseignant ou la didactique engrammée

Le développement des ressources numériques disponibles et l’accroissement des besoins de formation des élèves posent le problème de la médiation du professeur-documentaliste qui bien souvent ne dispose que d’un temps d’enseignement fort restreint rapporté aux élèves. Ces possibilités de formation sont donc insuffisantes d’autant qu’aucun curriculum info-documentaire même minimal n’a été mis en place de manière institutionnelle. De plus, même si un tel dispositif se développait, il faudrait absolument envisager des formations variées qui pourraient être intégrées au sein même des ressources.
Ces dernières années, des outils ont été développés valorisant souvent les ressources en ligne. C’est le cas notamment des portails netvibes. Cependant ces dispositifs demeurent trop souvent dans une orientation qui privilégie l’accès et la simple référence. Ces outils ne sont pas didactisés et rien ne permet à l’élève de pouvoir vraiment effectuer son choix et de le faire progresser dans son processus de recherche et d’analyse critique.
L’exemple à suivre pourrait être celui de la métadonnée. Il ne s’agirait pas d’une métadonnée de type Dublin core, mais plutôt d’une métadonnée didactisée, engrammée au sein même de la ressource ou du document.
Cela implique que le professeur-documentaliste produise des documents ou des dispositifs qui ne soient pas dans le paradigme de la simple mise en valeur de ressources, mais qui soient travaillés de manière plus complexe afin que la ressource ne soit pas simplement prescriptrice d’usage. L’objectif étant le développement de compétences et de savoirs qui pourront être mobilisés dans l’utilisation critique de la ressource ou du document. La culture de l’information se construisant ainsi en action.

Article publié dans le Mediadoc 6 ; Avril décembre 2011 : Vous avez dit « enseigner » ? Volume 2 : Information Documentation

Olivier Le Deuff
Professeur-documentaliste
Docteur en sciences de l’information et de la communication

Explications théoriques et définitoires : métadonnées et grammatisation

La grammatisation est un concept forgé par Sylvain Auroux qui désigne un processus via une grammaire qui consiste à décoder et recoder un signal pour pouvoir le reproduire aisément. La grammatisation s’opère ainsi dans le langage et dans l’écriture. Chez le philosophe Bernard Stiegler, cette grammatisation s’accompagne d’une discrétisation avancée au sein des dispositifs techniques qui contiennent et retiennent des formes d’écritures mais aussi de pouvoirs.
Notre idée est de considérer que du fait qu’il est souvent difficile pour l’enseignant et notamment le professeur-documentaliste d’être en permanence en pédagogie frontale avec les élèves, il convient de développer des moyens qui prolongent son action en présentiel voire qui s’y substituent. Le dispositif pédagogique grammatisé permet à l’enseignant de continuer à agir directement au sein de la ressource, en demeurent présent via la stratégie ou la scénarisation du dispositif en ligne. L’enseignant est donc discrétisé dans le dispositif et son action peut s’y développer. Cette discrétisation est souvent l’apanage des stratégies publicitaires qui usent de moyens divers et variés pour influencer les choix des consommateurs. Il s’agit donc pour nous de se saisir des ses moyens pour capter l’attention des élèves à des fins de formation et pour contrecarrer les dispositifs publicitaires qui les utilisent surtout à des fins de manipulation et donc de déformation.
Nous nous proposons donc de travailler et de réfléchir à une didactique engrammée, c’est-à-dire rendue opérationnelle au sein du dispositif ou du document. La plupart du temps, cette didactique va s’opérer avec l’inclusion de métadonnées, c’est-à-dire des éléments descriptifs et explicatifs mais auxquels nous souhaitons ici conférer une valeur didactique.

Un exemple simple : un portail netvibes « augmenté »

Nous souhaitons montrer ici un exemple à partir d’un portail netvibes. Nous utilisons ici le portail des actus que nous avions réalisé en 2008 et dont nous avons poursuivi l’étendue des fonctionnalités. Le dispositif de l’univers netvibes est bien connu des professeurs-documentalistes, qui l’utilisent notamment pour constituer des sélections de ressources thématiques. Mais le dispositif peut être amélioré en ne demeurant pas uniquement sur l’accès à l’information. En effet, il ne s’agit pas seulement de signaler la ressource mais de l’accompagner au moins d’éléments explicatifs qui sont ici une forme de métadonnées de type didactique. Les premières métadonnées de netvibes sont notamment le titre de la page et le titre de l’onglet. Mais ce ne sont que des indications et nullement des métadonnées qui présentent un rôle pédagogique. Netvibes propose cependant toute une série de « widgets » qui permet d’ajouter diverses applications et surtout des espaces de textes pour adjoindre aux ressources des explications. Nous sommes alors dans des formes de micro-cours incorporés à la ressource.

FIG 1
Dans l’exemple, ci-dessus, la webnote constitue une forme de micro-cours intégré à la ressource.

L’inclusion d’explications et d’éléments de cours est facile à réaliser notamment en utilisant des widgets de type post-it qui permettent d’intégrer des indications et des conseils sur les ressources proposées. Il est aussi possible via des intégrations de code html de réaliser des documents un peu plus complexes voire plus interactifs. Nous avons d’ailleurs incorporé un petit personnage via le site Voki qui permet de générer des avatars. Le petit extraterrestre de la page lit le début du cours ce qui permet de transformer votre texte en audio.

FIG 2
Le cours sur la presse en ligne se trouve sous une forme textuelle mais également audio avec le « professeur ET » qui lit le début du cours.

Il reste toutefois la question de l’évaluation du dispositif. Il est donc opportun de proposer des tests ou des quizz qui permettent de vérifier si ces indications ont été lues. Il est aussi possible d’utiliser la ressource dans le cadre d’une séance en présentiel dans un premier temps.
Il n’en demeure pas moins que l’exemple du portail netvibes « augmenté » ne constitue qu’un exemple d’une faible complexité et dont la réalisation n’est guère difficile. A l’avenir, il conviendra d’aller plus loin dans la démarche.

Vers des dispositifs plus complexes ?

A l’avenir, il conviendra de formaliser le document de manière à ce que ce dernier soit donc porteur d’éléments enseignants et qui donnent à former. Des formes plus complexes seront donc également à imaginer en s’appuyant sur divers types de métadonnées et d’ontologies relationnelles. Il n’en demeure pas moins que cette production de métadonnées et de dispositifs engrammés repose sur la nécessité pour l’élève qu’il soit en mesure de lire et de comprendre a minima les éléments didactisés qui s’offrent à lui.
Nous sommes donc confrontés à un combat de l’intelligence, qui est celui de la captation de l’attention qui s’opère notamment sur les écrans. La principale difficulté vient donc de la possibilité de parvenir à susciter l’intérêt de l’élève et à maintenir son attention suffisamment longtemps pour qu’il commence à essayer de s’accaparer les éléments d’apprentissage qui lui sont offerts.
Dans le cas que nous avons présenté avec le portail netvibes, il demeure des risques de non lecture évidents. Nous pensons par conséquent, qu’il est opportun pour les enseignants et plus particulièrement les professeurs-documentalistes de se pencher sur les conditions de développement des nouveaux langages et formats du web du numérique afin de pouvoir exercer au sein de ces dispositifs un mandat pédagogique d’un nouveau type. Cela implique d’imaginer une nouvelle ingénierie didactique qui pourra mieux véhiculer une grammatisation de la didactique de l’information. Différents lieux d’intervention peuvent être imaginés : soit directement au niveau de la ressource ou du dispositif constitué tel le portail netvibes mais aussi peut-être au sein du navigateur avec la réalisation de plugins d’évaluation de l’information notamment.
De ce fait, il s’agit de réaliser une mise à distance, un arrêt qui permet à l’élève d’opérer une skholé, c’est-à-dire la capacité à maintenir son attention un laps de temps suffisant pour exercer son esprit à une pensée critique.

**Références :

Le portail des actus. http://www.netvibes.com/actus

Auroux, Sylvain. La révolution technologique de la grammatisation. Mardaga, 1995

Le Deuff, Olivier. « La skholé face aux négligences : former les jeunes générations à l’attention », Communication & Langages n°163, mars 2010, p.47-61

Documents

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