2015
oct.
10

L’info news : crossover entre EMI et culture de l’information

Atelier : Anne-Laure Cruypenninck

Atelier animé par Magali Martin.

En vidéo sur : https://www.canal-u.tv/chaines/apden-ex-fadben/seconde-journee-10-octobre-2015/l-info-news-crossover-entre-emi-et-culture

Dans une ère du numérique, la culture de l’information est devenue un enjeu sociétal majeur, clé des développements politique, économique et culturel. Afin d’y répondre, l’Education aux Médias et à l’Information (EMI) fait aujourd’hui partie des cadres mis en œuvre par l’Institution pour développer les savoirs qui en ressortent auprès des élèves. En 2015, il est malaisé de dissocier l’information de ce que l’on nomme le quatrième pouvoir. Or, l’EMI peut difficilement se concevoir sans se demander si les conditions socioprofessionnelles et techniques présidant à la culture de l’information ont évolué et, le cas échéant, comment cela affecte les modes de production, de réception ainsi que les contenus même de l’information.

Outre les traditionnels lire-écrire-compter, on attend de l’Institution qu’elle forme de futurs citoyens aptes à créer-critiquer-coopérer. Pour ce faire, l’Éducation nationale demande à ce que les élèves soient éduqués aux médias et à l’information dans le but d’en faire des acteurs critiques à part entière et non plus de simples consommateurs multi-médiatiques (non sans laisser indéfinie l’identité exacte des acteurs scolaires de cette éducation).

En s’appuyant sur le concept de translittératie (Sue Thomas & Alan Liu) et de littératie médiatique (Kounakou Komi), et à partir d’une expérimentation pédagogique menée en Etablissement Public Local d’Enseignement (EPLE) depuis deux ans, intitulées le quart d’heure d’actus, nous proposons de définir en quoi l’exploitation de l’info news prise dans la relation entre le paradigme notionnel de l’EMI et le paradigme informationnel contemporain, permet d’entrer dans la culture de l’information par la construction de savoirs info-documentaires (basés sur le référentiel du Wikinotions de la FADBEN) et par le développement de la conscience critique chez l’élève.

Trois postulats sont au fondement de la mise en œuvre empirique, mais aussi théorique, de cette expérimentation professionnelle et orientent le processus de réflexion, ainsi que les modes d’observation.

Premièrement, nous constatons que l’ère du numérique a entraîné un changement irréversible dans la diffusion de l’Information. L’interactivité des supports multi-médiatiques et la désintermédiation bouleversent le paradigme éditorial : l’usager est à la fois agrégateur, auteur, producteur et publicateur de contenus. Tout élève est aujourd’hui un producteur de média. Mais la génération internet est-elle la génération des digital natives ? Les élèves aujourd’hui en formation ont-ils les clés de décryptage et de compréhension du monde multi-médiatique qui les entoure ? L’info news se conçoit mais sa conception n’est pas rigoureusement la même selon le média qui la traite et/ou la diffuse. L’appréhension des enjeux politiques et économiques qui en dictent les codes n’est-elle pas une des clés d’analyse critique à faire acquérir aux élèves ? Ainsi, en contexte scolaire, notre expérimentation nous permet d’observer les représentations de l’info news et des médias d’information en confrontant, d’une part, les programmes scolaires et d’autre part les représentations des élèves.
Deuxièmement, nous appréhendons l’info news non seulement à partir de son contenu, mais aussi en fonction des conditions de sa diffusion. Ceci nous amène à nous poser les questions suivantes : quelles représentations a-t-on de l’info news ? Une info news en évolution ? En mutation ? Quelles représentations en donner ? Est-ce un nouveau type d’information ? Comment confronter les pratiques professionnelles aux pratiques des amateurs de l’info news ? Est-ce initier à des usages (présents ou non) que de former à l’info news ? Quelle mise à distance est nécessaire pour appréhender la problématique de la désintermédiation et de l’auto-publication ? Nos élèves sont pour beaucoup des blogueurs, des agrégateurs et des utilisateurs de réseaux sociaux. L’EMI se veut non seulement formatrice de ces usages, mais également initiatrice d’une attitude réflexive sur ces mêmes usages. Il s’agit de lier les savoirs aux savoir-faire et aux savoir-être.

Troisièmement, dans la mesure où l’un de nos présupposés est que l’exploitation de l’info news permet d’entrer dans la culture de l’information, dans la perspective de l’EMI, nous nous demandons ce qu’elle nous permet d’éveiller, de construire ou de former chez les élèves, qui puisse les prédisposer à une conscience critique. Ainsi, à partir de l’expérimentation du quart d’heure d’actus, nous confrontons les attentes institutionnelles par le biais du paradigme notionnel de l’EMI aux réalités du terrain, observées depuis le contexte scolaire.

Ainsi en établissement scolaire, l’état des lieux est le suivant :

D’une part, à l’instar de l’accompagnement personnalisé (AP), l’EMI reste une nébuleuse mal définie. Qui en a la charge ? Quels sont les contenus spécifiquement attendus ? Sur quels créneaux horaires doivent se dérouler ces apprentissages ? Bien que rarement explicitée dans les textes officiels, l’EMI nécessite l’expertise du professeur documentaliste. C’est, en tous cas, un élément de réponse face au constat selon lequel, contrairement aux idées reçues, on peut estimer que les digital natives ne sont pas encore dans nos classes, loin de là.

D’autre part, bien que la formation initiale des enseignants documentalistes soit complète et extrêmement ciblée, l’on constate que la formation professionnelle des enseignants documentalistes en poste depuis plus longtemps est variable, que ce soit en volume horaire comme en contenu. De plus, les dotations matérielles sont très rarement suffisantes pour effectuer des apprentissages efficients en la matière.

Ancienne journaliste, mon passé professionnel m’a poussé à proposer aux élèves une activité intitulée le quart d’heure d’actus. Depuis le mois de septembre 2014, il est proposé aux élèves de l’établissement dans lequel je suis en poste de débuter le cours d’EMI par le quart d’heure d’actus. Les élèves ont pour devoirs de regarder, lire ou écouter les infos news et doivent être en mesure de présenter une actualité à leurs camarades à chaque séance d’EMI, qui se déroule toutes les semaines au CDI en groupe (demi-classe). A chaque fin de séance, le professeur documentaliste apporte sa propre actualité tirée des nouvelles du jour, en citant sa source, et donne une recherche à faire aux élèves pour la semaine suivante. Les élèves inscrivent chaque définition (Wikinotion) proposée par l’enseignant dans leur fiche notion et construisent ainsi – tout au long de l’année à l’image d’un fil rouge - un lexique de notions structurantes, comme par exemple la notion de source, d’obsolescence, d’auteur, de point de vue ou encore de véridicité.

La richesse et la diversité des sujets traités par les médias permet d’aborder, au fil des mois, de nombreux thèmes comme le droit de l’information, avec l’arrivée en France de Netflix par exemple, de l’identité numérique ou bien sûr de la liberté d’expression lors des attentats de Charlie Hebdo.

Par le biais de cette activité, le professeur documentaliste positionne ses élèves en acteurs réflexifs de leurs propres pratiques sociales et multi-médiatiques, et non plus en simples consommateurs du numérique. La progression pédagogique s’en trouve alors structurée selon le cadre d’un curriculum et non plus sur la base d’une progression annuelle traditionnelle.


EMI 6e

La progression proposée ci-dessus est spiralaire et dépend de l’actualité de la semaine. Elle suppose que chaque cours soit préparé à l’avance en début d’année pour pouvoir s’adapter au mieux aux faits d’actualités.

Voici quelques exemples d’entrées dans la séance par l’actualité que j’ai pu proposer lors de cette progression.

La première séquence Les espaces informationnels du collège, portait sur la mise en place effective du quart d’heure d’actus. La deuxième séance portait sur la charte du CDI. Nous avons abordé la notion du droit de l’information. Nous sommes entrés dans la séance par l’actualité relative à l’arrivée en France de l’entreprise américaine Netflix. Non seulement cette actualité leur parlait, car ils l’avaient tous entendue, mais en plus elle collait à leurs pratiques personnelles : le streaming. Est-ce légal ? Quelle est la différence par rapport à la VOD ? Comment y accède-t-on ?

Lors de la deuxième séquence Document, Information, Source, la troisième séance portait sur le document. Nous nous sommes intéressés à la notion de document. J’ai construit la séance en m’appuyant sur l’actualité relative à la sortie de l’album de Stromae : l’album de Stromae est-il un document ? Pourquoi ? Quels sont les trois critères qui permettent de le définir comme tel ?

Toujours lors de la deuxième séquence Document, Information, Source, la septième séance portait sur l’objet livre. Nous avons abordé la notion de nature physique de l’information. J’ai profité de l’actualité relative à l’attribution du prix Nobel de littérature à Patrick Modiano. Nous avons naturellement lié l’objet livre à la nature physique de l’information, en faisant à la fin du cours une ouverture sur les perspectives de ce que peut être la nature de l’information dématérialisée.

Lors de troisième séquence Exposés et recherche documentaire, la onzième séance portait sur le questionnement quintilien. Nous avons entrevu la notion de pertinence. Nous sommes entrés dans la séance par l’actualité relative à la COP21. Quelles en sont les définitions proposées par les élèves ? Quelle en est la vraie définition ? Les définitions proposées par les élèves étaient-elles pertinentes ? Oui ? Non ? Pourquoi ?

Toujours lors de cette troisième séquence Exposés et recherche documentaire, la onzième séance qui portait sur le questionnement quintilien abordait également la notion de structure du document. J’ai élaboré la deuxième partie du cours à partir de l’actualité de la sortie des nouveaux permis de conduire. Comment sont-ils faits ? Comment organisent-ils les informations ? Y a-t-il une hiérarchie ? Un ordre établi ? Pourquoi celui-ci ? Doit-on faire de même lors de la présentation d’un exposé ? Certaines informations sont-elles plus importantes que d’autres selon l’orientation du sujet ? Doit-on tout dire ou doit-on synthétiser ?

Lors de la quatrième séquence Culture Net’, la seizième séance portait sur Wikipédia. Nous avons abordé la notion de l’évaluation de l’information. Nous sommes entrés dans la séance par une actualité amenée par le professeur documentaliste, extraite du site legorafi.fr, relative à la découverte d’un nouveau muscle sur le torse de Cristiano Ronaldo. Nous l’avons mise en relation avec un article extrait du figaro.fr du même jour, dans lequel étaient relatés les déboires du joueur de football relatifs à son caractère excessif. Nous avons confronté les différentes informations provenant des deux sources. Les élèves se sont eux-mêmes questionnés quant à la véracité de la première information. Nous avons ensuite fait des recherches sur le dahu à partir de plusieurs sites et comparé les informations recueillies, avant de finir par aborder le mode de fonctionnement des sites collaboratifs tels que Wikipédia. Pourquoi doit-on prendre avec précaution ce qui y est indiqué ? Pourquoi doit-on croiser les informations avec des sites dits vérifiés ?

Lors de la quatrième séquence Culture Net’, la dix-septième séance portait sur l’identité numérique. Nous avons confronté les notions d’identité numérique et de présence numérique, en considérant l’actualité relative au suicide d’une lycéenne suite au harcèlement quotidien qu’elle subissait sur Facebook. Outre les projections qu’ont pu faire les élèves face à cette actualité douloureuse, nous avons pu questionner les risques dus à la publication de données personnelles sur la toile en passant par des sites comme Whois. Les élèves ont été surpris pour la plupart de voir que n’importe qui pouvait avoir accès aux contenus qu’ils publient et qu’ils pensaient être privés.

Lors de la cinquième séance Culture des médias, la vingt-deuxième séance portait sur l’économie des médias. Nous avons abordé la notion de statut de la source. Nous sommes entrés dans la séance par l’actualité relative aux résultats des élections régionales. Nous avons confronté deux Unes du jour, celle du Figaro et celle de La Montagne, et avons tenté de comprendre pourquoi les messages ont l’air différents – bien que l’actualité soit identique – de l’une à l’autre. Pourquoi le message semble-t-il différent ? Qui finance les médias ? …

Cette activité n’est pas toujours évidente à mener. Cependant, elle positionne les élèves en acteurs réflexifs de leurs propres pratiques sociales et multi-médiatiques et non plus en simples consommateurs de médias et d’informations.

De plus, l’activité apporte des progrès notables en matière de culture générale et connaissance du monde extérieur. L’activité est motivante, mais les élèves parfois difficiles à canaliser. Chaque élève y trouve un intérêt et se « spécialise » tout au long de l’année dans un domaine qui lui plaît (actualités politiques, actualités sportives, faits divers, …). Au terme de la progression, les élèves sont capables de présenter eux-mêmes un « petit journal » à l’aide des actualités qu’ils ramènent. En plus d’apporter des connaissances info-documentaires à chaque séance, ils découvrent et comprennent au fil des quarts d’heure d’actus, les codes qui régissent le fonctionnement des médias : à quoi sert la publicité ? Pourquoi y a-t-il des billboards avant et après un programme ? Pourquoi certains programmes ne passent qu’à des heures spécifiques ?

Contrairement aux traditionnelles séances menées jusqu’alors, lorsque l’on travaille sur la Une, on cherche à ce que les élèves comprennent pourquoi la photo d’une Une doit donner envie au consommateur d’acheter un journal plutôt qu’un autre. On ne cherche pas à ce que les élèves apprennent par cœur et sachent replacer le titre, le bandeau et la manchette. L’activité ici présentée, et plus largement l’EMI, se veulent formatrices de citoyens en devenir et pas de futurs maquettistes. Connaître les termes techniques de la mise en page d’une Une ne les aidera pas à comprendre les enjeux d’une concentration médiatique verticale et/ou horizontale.

Toutefois l’EMI nécessite une excellente connaissance du monde médiatique et donc une formation adaptée. Nous avons pu constater en janvier 2015 lors des attentats de Charlie Hebdo, que le décryptage médiatique n’est pas toujours chose aisée. Bon nombre de collègues ont abordé en classe la Une de l’après Charlie sans vraiment en comprendre le sens et les subtilités.

Sans pour autant vouloir faire de nos élèves des spécialistes en stratégie microéconomique ou des citoyens à l’affût de la théorie du complot, la compréhension de concepts de base tels que médias publics et médias privés est essentielle à l’éducation aux médias et à l’information d’un jeune citoyen.

L’info news est une porte d’entrée dans l’EMI qui permet une première approche de la vaste culture de l’information, qui s’appréhende au travers de savoirs info-documentaires.

Références bibliographiques

Textes institutionnels de référence

  • BO spécial n°11 du 26 novembre 2015, MEN.
  • Conférence nationale "Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information", 2013. Institut français de l’Éducation (IFÉ - ENS de Lyon), l’Inspection générale (IGEN) et la Direction de l’enseignement scolaire (DGESCO – MEN).
  • Euromeduc 2009 : L’éducation aux médias en Europe : controverses, défis et perspectives, 2009.
  • Rapport de l’OCDE sur les compétences clés du 21e siècle.
  • Rapport Translit 2013 : Politiques d’éducation aux médias et à l’information en France, 2013 : Frau-Meigs Divina, Université Sorbonne Nouvelle, Loicq, Université de Rouen et Boutin Perrine, Université Sorbonne Nouvelle. Cadre législatif et perspectives d’action.
  • Référentiel de l’UNESCO : Éducation aux médias et à l’information, programme de formation pour les enseignants, 2012.

Ouvrages généraux

  • BOUSQUET Aline, CARBILLET Marion, MULOT Hélène, NALLATHAMBY Marie, Frau-Meigs Divina (préfacier). Education aux médias et à l’information - Comprendre, critiquer, créer dans le monde numérique, Génération 5, collection « MEDIAS », 2014.
  • BRUILLARD, Eric. Cultures Numériques, Éducation Aux Médias et à L’information - Ecole Normale Supérieure De Lyon, 21 et 22 mai 2013.
  • CORDIER Anne. Grandir connectés : les adolescents et la recherche d’information. C&F éditions, collection « Les enfants du numérique », 2015.
  • JEHEL Sophie. Parents, médias : qui éduque les préadolescents ? Eres, collection « Education et société », 2011.
  • LEGROUX, Jacques. De l’information à la connaissance, Harmattan, collection « L’alternances développement » 2008.
  • MONVOISIN Richard. Pour une didactique de l’esprit critique. Ecole doctorale EDISCE, Grenoble 1, 2007.

Monographies et études de cas

  • AILLERIE Karine. Pratiques informationnelles informelles chez les adolescents (14-18 ans) sur le web. Library and information sciences. Université Paris Nord - Paris XIII, 2011.
  • CARNEL Jean-Stéphane. Le journal télévisé, un créateur de représentations sociales sous contrainte ? Approche par le recyclage des images d’archives. Geriico, Lille III, 2013.
  • CORDIER Anne. Imaginaires, représentations, pratiques formelles et non formelles de la recherche d’information sur Internet : Le cas d’élèves de 6e et de professeurs documentalistes. Geriico, Lille III, 2011.
L’info news : crossover entre EMI et culture de l’information de FADBEN
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