2022
févr.
7

L’EMI : contribution aux travaux de la Commission « Les Lumières à l’ère numérique »

L’Éducation aux Médias et à l’Information : contribution de l’A.P.D.E.N. aux travaux du Comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale sur la formation à la citoyenneté et à ceux de la Commission « Les Lumières à l’ère numérique ». Décembre 2021

Lire l’article en anglais / Read it in English

1. Eléments de réflexion

« Plus encore que l’enseignement moral et civique, l’éducation aux médias et à l’information est le parent pauvre des enseignements qui structurent le parcours citoyen de l’élève […] cette matière est peu enseignée, ce qui est paradoxal à une époque où elle devient de plus en plus importante en raison de l’usage croissant qu’ont les jeunes des médias » (La formation à la citoyenneté. Rapport de la Cour des comptes, octobre 2021, p. 84). L’A.P.D.E.N. ne peut que souscrire à ce constat et rappeler le caractère très hétérogène de l’EMI, tant au niveau des contenus abordés que des modalités de mise en œuvre avec de fortes disparités entre les établissements selon la priorité accordée, ou non à cette thématique au niveau du pilotage de l’établissement, mais aussi au sein d’un même établissement, selon que les élèves auront pu croiser ou non, dans leur parcours scolaire, des enseignants sensibilisés aux enjeux de l’EMI.

Malgré l’introduction de compétences qui s’y rattachent dans la plupart des programmes, des repères de mise en œuvre pour les cycles 2 et 3, un « programme » dédié au cycle 4, des chapitres au sein du programme Sciences Numériques et Technologie (SNT) en 2nde, l’EMI subit le sort de toutes les « éducation à », souvent repoussées à la périphérie des enseignements disciplinaires. La complexification de l’écosystème informationnel et médiatique, son évolution constante, le caractère très sensible de certains sujets, constituent un terrain d’enseignement très instable et peu sécurisant sur lequel ne s’engagent que très peu d’enseignants, une situation qu’un dispositif de formation, aussi performant soit-il, ne pourra totalement corriger, les actions de formation continue dans le domaine de l’EMI rassemblant le plus souvent des collègues déjà convaincus et investis. Il nous semble par ailleurs important d’accepter l’idée que certaines compétences, particulièrement pointues, relèvent d’une approche de spécialistes en sciences de l’information et de la communication (SIC).

Nous pouvons néanmoins raisonnablement penser que la construction d’un parcours EMI peut s’appuyer, dans chaque établissement, sur une équipe de quelques enseignants issus de différentes disciplines dont, bien sûr, le professeur documentaliste, le seul à détenir un CAPES spécialisé en Sciences de l’Information et de la Communication et à être missionné très explicitement sur le champ de l’EMI, en tant qu’« enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias » (circulaire de mission du 28 mars 2017), expertise que vient de lui reconnaître la Cour des comptes qui recommande de « s’appuyer davantage sur le professeur documentaliste, seul enseignant qui a reçu une formation initiale spécialisée » (op. cit. p. 85). Selon leur circulaire, les professeurs documentalistes doivent former tous les élèves à l’information documentation, domaine qui participe largement de l’EMI, qui l’inspire dans les enjeux et les contenus. C’est notamment cette mission que les professeurs documentalistes n’ont bien souvent pas les moyens d’assurer.

En l’absence d’un programme dédié (celui du cycle 4 de 2015 se limitant à un référentiel de 27 compétences), la profession s’est très fortement investie dans l’identification des connaissances et compétences liées au champ de l’EMI et dans leur didactisation avec le souci de couvrir les différentes cultures concernées : culture informationnelle, culture médiatique, culture technique et numérique en lien avec les enjeux sociétaux et éthiques qui s’y rattachent. L’A.P.D.E.N . joue un rôle moteur dans ce processus depuis de nombreuses années et travaille actuellement à la mise à jour d’un curriculum en information-documentation du cycle 2 au cycle terminal, publié initialement en 2014, qui définit, pour chaque cycle et chaque niveau, des objectifs de formation et les notions qui y sont associées selon 4 champs :

1. Environnements informationnels et numériques
2. Processus d’information et de documentation
3. Recul critique sur les médias, les TIC et l’information
4. Responsabilité légale et éthique relative à l’information

Ce curriculum est complété par le projet collaboratif Wikinotions Info-doc qui associe acteurs de terrain et chercheurs dans la définition des notions essentielles et la mutualisation de pistes pédagogiques en lien avec ces notions.

Par ailleurs, une simple recherche des fiches indexées « EMI » sur la plate-forme de recensement des pratiques pédagogiques du MEN, Edubases, montre la très forte représentation des professeurs documentalistes dans la production de ces ressources mais aussi leur capacité à concevoir et conduire des séquences en interdisciplinarité qui privilégient le plus souvent une pédagogie active inscrite dans une dynamique de projet. Il nous semble néanmoins important de souligner que ces modalités d’enseignement, qui visent l’acquisition de connaissances par la pratique des élèves, demandent des moyens en conséquence, heures dédiées dans les emplois du temps des élèves mais aussi temps de concertation entre membres de l’équipe pédagogique, des temps qui ne sont plus que rarement dégagés sur les dotations horaires globales (DGH).

Dans ce contexte, les professeurs documentalistes ne peuvent plus continuer à subir, sur le terrain, l’obligation d’une négociation permanente auprès de leurs collègues des autres disciplines mais aussi du chef d’établissement pour « placer » des séquences pédagogiques, sachant aussi que les collaborations acquises une année peuvent être remises en question l’année suivante à la faveur des changements de direction ou des rotations des équipes pédagogiques. Les premiers à pâtir de cette situation sont bien sûr les élèves mais aussi toute une profession qui attend depuis de nombreuses années la juste reconnaissance de son investissement.

Enfin, si la profession est peu ou prou parvenue à pallier l’absence de programmes et à identifier les contenus d’enseignement relevant du champ de l’EMI, l’absence d’un cadre horaire fléché dans les emplois du temps des élèves constitue un problème majeur. Le recul, voire la disparition des horaires dédiés aux dispositifs interdisciplinaires, en particulier au lycée, est venue compliquer la situation. Les professeurs documentalistes effectuent aujourd’hui moins d’heures d’enseignement qu’il y a cinq ans, notamment en lycée, ce qui va contre toute logique. Un cadre horaire dédié contribuera fortement à pérenniser et généraliser l’EMI pour une formation équitable et systématique de tous les élèves, quelles que soient les difficultés que pourront encore rencontrer les établissements dans la construction des parcours éducatifs. Le parcours citoyen, dont relève l’EMI et qui en est l’un des deux piliers comme le relève la Cour des comptes, ne pourra d’ailleurs que s’en trouver renforcé et consolidé.

Les sept propositions ci-après sont le fruit de plus de 30 années de travail, de réflexion, d’expérience, pour trouver les moyens de cet enseignement.

2. Propositions :

1. Créer un curriculum des compétences et connaissances en éducation aux médias et à l’information de l’école au lycée.

2. Définir sur chaque niveau, au collège et au lycée, des modules horaires EMI dans les emplois du temps des classes pour une moyenne hebdomadaire a minima de 0,5 heure confiés à des équipes interdisciplinaires incluant le professeur documentaliste. En classe de seconde, ce module pourrait s’inscrire dans le cadre de l’enseignement SNT dont il conviendrait de ré-affirmer de toute urgence le caractère transversal et l’ambition initiale d’un enseignement de « culture générale » pour tous les élèves. Sur les autres niveaux, au collège et au lycée, la ré-introduction de dispositifs interdisciplinaires dans les emplois du temps nous semble tout aussi importante.

3. Garantir, dans le temps de service des professeurs documentalistes, un cadre horaire consacré à l’enseignement, entre 1/4 et 1/3 du temps de service, afin d’éviter que le cadre horaire élève, proposé ci-dessus, ne soit utilisé pour « boucler » les services des collègues d’autres disciplines, phénomène déjà connu pour l’EMC et qui, s’il était reproduit pour l’EMI, pourrait évincer les professeurs documentalistes de cet enseignement (voir rapport de la Cour des comptes). Rectifier, en conséquence, dans la circulaire de missions des professeurs documentalistes de 2017, les formulations ambiguës qui octroient à leur mission enseignante un caractère facultatif, la met en tension avec l’ouverture du CDI et soumet sa réalisation à l’arbitrage du chef d’établissement.

4. Faire appliquer sans ambiguïté le décompte des heures d’enseignement prévu dans la circulaire de missions de 2017 et le décret sur les Obligations Réglementaires de Service de 2014, pour toutes les heures d’enseignement effectuées par les professeurs documentalistes, seuls ou en co-intervention, dont les heures d’EMI.

5. Augmenter le nombre de postes au CAPES avec un nombre de postes par établissement tenant compte du nombre d’élèves avec un minimum d’un poste par établissement.

6. Créer une agrégation afin d’accorder aux professeurs documentalistes les mêmes possibilités d’avancée de carrière et permettre la création d’un corps d’inspection spécifique.

7. Affecter dans les CDI des personnels de catégorie B pour des missions de gestion et d’accueil afin de mettre fin à la tension qui existe actuellement entre la mission d’accueil et la mission d’enseignement.

Documents


PDF - 113.4 ko
  • RESTEZ
    CONNECTé