2010
déc.
7

« Et vingt, cent fois sur le métier remettez votre ouvrage ! »

Martine Ernoult

« Et vingt, cent fois sur le métier remettez votre ouvrage ! ». Cette citation de Nicolas Boileau traduit-elle nos relations avec notre institution de tutelle ?

« Et vingt, cent fois sur le métier remettez votre ouvrage ! ». Cette citation de Nicolas Boileau traduit-elle nos relations avec notre institution de tutelle ?

A l’heure où les professeurs documentalistes revendiquent une culture informationnelle pour tous les élèves et placent au cœur du métier l’enseignement de l’information documentation, ils sont sans cesse interpellés sur leur double identité professionnelle à la fois documentaliste et enseignant. Deux facettes d’un même métier complètement assumées par les collègues, mais régulièrement mises en cause. Des remises en cause des missions enseignantes, cette mission nécessitant un personnel qualifié en plus grand nombre dans les établissements. La création du Capes de sciences et techniques documentaires, en 1989, a valorisé la mission enseignante du documentaliste en établissement scolaire.

Aujourd’hui il faut sans cesse se remettre à l’ouvrage pour clarifier le rôle du CDI et le champ des interventions pédagogiques des professeurs documentalistes dans la formation des élèves. Former les élèves à la culture de l’information et des médias et s’affirmer comme des partenaires incontournables pour favoriser la réussite des élèves est un enjeu pour la profession constamment d’actualité. Reconnaître les spécificités du métier de professeur documentaliste et sa valorisation.

L’information ça s’apprend ! La synthèse du rapport de la commission des affaires culturelles du Sénat sur les « impacts des nouveaux médias sur la jeunesse » souligne la nécessité d’encadrer ces pratiques. Favoriser la mise en oeuvre d’un projet depuis longtemps expérimenté par les professeurs documentalistes, relance le débat.
Mais à vouloir faire coller les projets en information documentation à « la vie scolaire » peut-on parvenir à donner du sens et à transmettre la vision de la spécificité d’une formation, voire d’une éducation, à la culture informationnelle, propre aux professeurs documentalistes , une spécificité propre à la « documentation en milieu scolaire ». ?

Oser lever les paradoxes d’une profession d’enseignant sans programme officiel.

Des pratiques formelles en matière d’apprentissages informationnels et documentaires sont depuis des années mises en place dans les établissements scolaires publics et privés. Ces expériences pédagogiques souvent innovantes sont portées par des expériences locales, l’association professionnelle de la FADBEN et des médias professionnels, voire relayées, par des militants, dans les plans de formation académiques. Et pourtant le système éducatif français continue depuis plus de trente ans à vivre un paradoxe. Si les professeurs documentalistes sont explicitement chargés d’assurer un enseignement, les instructions précises manquent.

Les points suivants interpellent :

  • absence de reconnaissance et de légitimation de leurs actions pédagogiques, « des certifiés non concernés », des certifiés pas comme les autres ! il n’y a pourtant qu’une seule définition du statut de certifié ;
  • morcellement des formations à l’information documentation, quand elles existent, et de plus, des contenus non pensés dans leur progression de manière construite. Ils conduisent une partie des professeurs documentalistes à s’engager dans la formations des élèves, sans valorisation du travail effectué par absence de référent national.

Ce sont les professionnels eux-mêmes qui ont été amenés à construire leurs propres référentiels. La mise en œuvre de séquences étant basée soit sur le volontarisme de quelques équipes pédagogiques, soit dans le cadre obligatoire des TPE, IDD, ECJS ou autres dispositifs pluridisciplinaires. Des travaux publiés, dans des revues, sur des sites académiques ou personnels, n’ont jamais permis la généralisation du travail et la mise en place de modules d’enseignement spécifiques en information communication.

1978-2008 trente ans d’innovation ont jalonné la profession toujours rénovée de bibliothécaire documentaliste devenu professeur documentaliste. Deux dates, deux manifestes de la FADBEN résolument tournés vers le renforcement du rôle pédagogique novateur des « documentalistes » et prônant le développement de l’autonomie de l’élève.

Un second paradoxe pointe : plus on a besoin de médiation, avec la généralisation de l’Internet dans les établissements, le besoin grandissant de former les élèves à l’information et aux médias, moins on a de médiateur.

Les professeurs documentalistes demandent à l’école un projet plus ambitieux, celui de former des individus curieux, informés, critiques vis à vis d’une information pléthorique ainsi que des individus responsables de leur choix.

Les manifestes, à trente ans d’écart, sont en résonance avec les problématiques actuelles de la société.

Et si les demandes réitérées de la société pour le développement d’une culture informationnelle pouvaient enfin permettre à l’éducation nationale de sortir de son immobilisme et aboutir à lever ces paradoxes ?

Agir pour accompagner le changement.

20 ans après la création du Capès « les professeurs documentalistes ne sont toujours pas autorisés à penser en termes de contenus » ! Et pourtant …

Les professeurs documentalistes ont toujours accompagné le changement. L’exemple des technologies de l’information et de la communication comme vecteur du renouveau des CDI est parlant. Les professeurs documentalistes ont fait du CDI un lieu de travail, de vie sociale le plus équipé de postes informatiques dans les établissements. Avec le vaste plan d’informatisation des années 80, des pistes interdisciplinaires sont proposées autour de la recherche documentaire. Yolande Maury, dans un article de la revue Inter CDI, égrène les étapes de l’évolution de l’outil à visée pédagogique qu’est le CDI et analyse comment l’ouverture aux réseaux, en donnant une toute autre dimension aux activités documentaires, a contribué à la prise de conscience d’une nécessaire éducation à l’information.

Les CDI et les professeurs documentalistes se sont trouvés en première ligne. Un terrain d’expérimentation incroyable pour suivre les habitudes de lecture et de consultation. Le terme : « habitude » correspond mal à la description des pratiques enseignantes, changeantes, observée dans un environnement toujours en mouvement.

Les séquences pédagogiques décrites sur les sites montrent l’adaptation des collègues documentalistes à :

  • Convoquer des savoirs mouvants dans le contexte du Web 2.0 : les notions d’auteur, d’information, de droit ;
  • Se colleter aux savoirs émergents comme celui de l’identité numérique ; problèmes posés par l’identité des élèves mais aussi celles de leur double numérique.

Ceci afin d’aider les élèves à interroger les phénomènes culturels qui leur sont propres ; d’en discuter, de les comprendre et d’en construire collectivement les valeurs.

Une des approches mise en avant par la communauté des professeurs documentalistes, l’approche par résolution de problèmes est expérimentée pour donner aux élèves les moyens de développer leur esprit critique, de leur apprendre à penser.

L’introduction régulière dans la formation des élèves, de courts modules portés par le professeur documentaliste, qu’il le fasse sur un mode directif, incitatif ou appropriatif, permet à la fois de pousser une réflexion sur l’acquisition des compétences en information documentation mais aussi de s’inscrire dans des équipes plurielles afin de participer à la réussite de tous les élèves. Une participation qui facilite la communication de l’avancement des travaux sur un enseignement spécifique à la culture de l’informationnelle et qui évite toute marginalisation de la documentation dans la communauté enseignante.

Définir les objectifs de la réussite des élèves.

Dans l’archipel CDI d’aujourd’hui, l’accès à l’information permet à l’élève de côtoyer le pire et le meilleur, comme chez lui. Ce constat entraîne une remise en question d’une simple formation à la recherche documentaire ; elle renforce le rôle essentiel de médiateur du professeur documentaliste et fait apparaître de nouveaux besoins de formation dans le domaine de l’information documentation.

Les professeurs documentalistes ont un « territoire physique « dont ils ont la responsabilité : le CDI mais un « territoire disciplinaire » brouillé. La documentation repose depuis longtemps sur une proximité avec l’informatique, le document, l’information et les médias … plus qu’un territoire un univers dont les objectifs pédagogiques sont éclatés dans toutes les disciplines.

Un état des lieux est nécessaire.

A qui de jouer ? Quelles sont les responsabilités respectives des différents acteurs de la formation des élèves aujourd’hui ? Quelles notions sont étudiées ? Une enquête sur les parcours de formation documentaire existants. Mais aussi sur l’intérêt de recourir à la recherche documentaire par les élèves ? Comment choisir, dans le domaine de l’information documentation ce qui mérite d’être enseigner ? Sans oublier comment un système d’information documentation peut-il aider (ou ne pas aider) un élève à résoudre un problème d’information ? Comment évaluer le système existant (efficacité de la gestion, pertinence des ressources, bon usage des moyens humains, matériels, financiers) ? Comment créer les équipes plurielles dans les établissements ? etc.

Construire une stratégie pour mettre en œuvre le changement

Quelle stratégie pour demain ? Une stratégie qui se structure autour de la mission pédagogique des professeurs documentalistes et de l’outil, du cadre d’exercice professionnel pour mener cet enseignement. Enseigner l’information documentation, dans lequel le CDI joue le rôle d’un système didactisé. Cette stratégie passe par la nécessité d’un cadre formel.

Un cadre qui pointerait :

  • La nécessité d’un continuum dans les apprentissages.

Des rapports récents pointent l’enjeu sociétal. L’Unesco « Introduction à la maîtrise de l’information » en 2008 ainsi que le rapport du sénat, dit « rapport Assouline » montre la nécessité d’un continuum dans les apprentissages, ce dernier préconisant un renforcement du rôle des professeurs documentalistes.

  • La nécessité de créer un réseau de professionnel dynamique.

L’évolution du secteur d’activités de l’information documentation se joue , aujourd’hui, autour de la structuration de l’information et de la veille informationnelle. Elle nécessite un réseau fort, des partenariats, des mutualisations. Le développement d’une culture informationnelle passe par la construction de collaborations pour assurer ensemble les formations ; de partenariat pour concevoir outils et méthodes ;. Elle nécessite aussi de réfléchir sur le coût des biens culturels, un enjeu économique fort, dans le monde des bibliothèque et des centres de documentation.

  • La nécessité de la professionnalisation

La professionnalisation existe. Elle a progressé ces vingt dernières années par la création d’un Capes spécifique, le rôle des IUFM dans la formation initiale, les actions de l’association professionnelle de la FADBEN et récemment la mise en place d’une ERTE lien essentiel entre la recherche et les professionnels .

  • La nécessité de travailler ensemble.

Le travail associatif, montre quotidiennement l’urgence de travailler ensemble et avec les autres. Les autres professionnels, créer des synergies, de valoriser nos travaux au niveau local, national et international, porter l’évolution de notre métier hors les murs du CDI, de l’école. Les autres au sens très large : les autres ministères, autres associations professionnelles, avec les associations de parents d’élèves…

Et sans cesse communiquer sur une vision globale commune de notre métier, en fixant notre identité professionnelle. Est-il utile de continuer à imaginer une infinité de profils identitaires ? Créer les conditions de l’action et de l’agir ensemble dans et hors de l’école.

Et toujours et encore, mille fois sur le métier vous remettrez votre ouvrage !

Martine Ernoult
Juin 2009 (Article proposé à Inter-CDI)
Professeur documentaliste au Lycée de la Photographie Brassaï
Présidente de l’ADBEN Paris

Bibliographie :

  • David ASSOULINE. Les nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ? Rapport d’information à la commission culturelle du sénat , 22 octobre 2008. Sénat : http://www.senat.fr/rap/r08-046-046.html
  • Annette BEGUIN-Verbrugge. Penser le développement des compétences en documentation. Culture de l’information des pratiques…aux savoirs. Nathan-FADBEN, 2008
  • Muriel FRISCH. Didactisation de l’information-documentation : un enjeu de professionnalisation.Culture de l’information des pratiques…aux savoirs. Nathan-FADBEN, 2008
  • Brigitte JUANALS. La culture de l’information : du livre au numérique. Hermès-Lavoisier, 2003.243p.
  • IFLA (2005). La proclamation d’Alexandrie sur la maîtrise de l’information et l’apprentissage tout au long de la vie, mars . www.ifla.org//lll/wsi/beaconinfsoc-fr.html
  • Bernadette SEIBEL. Les documentalistes des lycées et collèges : représentations du métier. BBF, T.40-6 1995
  • Yolande MAURY. « Technologies au CDI, retour sur le passé ». Inter CDI 156

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