2012
nov.
1er

Des différends à la reprise du dialogue

Le temps des possibles

Le Manifeste FADBEN 2012 Enseignement de l’information-documentation et ouverture à la culture informationnelle rappelle à toutes et à tous la volonté de construire l’avenir, d’intégrer des modalités innovantes dans un métier en évolution continue depuis quarante ans et en finir, avec cette ambiguïté et cette caricature qui confond le statut d’enseignant avec un modèle transmissif de l’enseignement.

Dans cette perspective, la FADBEN espère la mise en œuvre d’une démarche de concertation. Elle regrette le manque d’instances d’échanges, de discussion et de régulation dans la prise de décision nécessaire à tout processus démocratique d’évolution de la professionnalisation.

La FADBEN revendique :

  • un cadre formel à l’acculturation professionnelle des élèves (culture de l’information et des médias numériques, culture numérique) ;
  • la responsabilité pédagogique directe des professeurs documentalistes auprès des élèves dans la formation à la culture informationnelle, responsabilité engagée depuis la création d’un Capes spécifique de documentation par Lionel Jospin ;
  • la démocratisation de l’accès aux ressources et la formation de tous les élèves aux conditions de création, de publication et de diffusion de l’information dans les différents médias.

A la recherche d’une régulation de la prise de décision.

Le discours institutionnel, porté par l’Inspection générale depuis 2003, semble ignorer et nier la réalité d’une partie de notre exercice professionnel, à savoir des pratiques pédagogiques innovantes engagées dans les apprentissages info-documentaires bien ancrés dans le quotidien des établissements. Aujourd’hui plus que jamais, une partie des enseignants documentalistes a le sentiment d’être peu entendue et trop souvent caricaturée.

L’Association, dans le Manifeste FADBEN 2012, pose par conséquent la question de son rattachement à l’Inspection générale EVS. Depuis 10 ans, cette accroche n’a conduit qu’à minimiser les aspects pédagogiques et à refuser la réflexion didactique au cœur de la discipline de l’info-documentation, au profit de problématiques relevant de la vie scolaire (gestion des flux d’élèves ; intégration de la permanence) et de la seule gestion des ressources numériques.

Plus largement, la FADBEN souhaite une réflexion sur la forme scolaire dans son ensemble et sur le rôle que l’information-documentation et le CDI doivent y jouer surtout au moment où les technologies numériques renouvellent les pratiques pédagogiques.

Retour sur le passé : des différends qui datent.

*2008 : les tensions autour des « non concernés »

Quelle ne fut pas notre stupéfaction lorsque l’on découvrit que Jean-Louis Durpaire, président du Capes interne et externe de documentation avait osé écrire qu’il y avait « un risque pour le système éducatif » d’aligner la situation des professeurs documentalistes sur celle des professeurs de discipline [1] !

Quelques mois plus tard, à propos de la définition des compétences des enseignants faisant l’objet d’un cahier des charges pour la formation initiale, il devait ajouter : « Je sais que ce cahier des charges comporte trois points inadaptés à la « profession de documentaliste » : « Organiser le travail de la classe / Évaluer les élèves / Concevoir et mettre en œuvre son enseignement » [2].

LA FADBEN a dénoncé ces propos qui mettaient en péril le sens même de notre métier. Si nous n’étions pas concernés par ces compétences, alors les professeurs documentalistes ne seraient pas concernés par l’enseignement des savoirs info-documentaires.

*2010-2011 : Le projet de circulaire

Mai 2010, un pré–projet de circulaire a été remis au groupe de travail et de réflexion sur les missions des professeurs documentalistes « Déploiement numérique et politique documentaire des écoles et des établissements. ». Un premier tour de table a permis de faire le constat de très nombreux désaccords avec ce projet de texte. La date du 21 mai fut alors retenue pour présenter une contre-proposition. Le 31 mai, la DGESCO faisait parvenir un second texte intitulé « Les missions des professeurs documentalistes à l’ère du numérique ». Le 8 juin, un correctif nous parvenait : la prochaine et dernière réunion était prévue le 29 juin. Elle fut annulée quatre jours avant. Un long silence de six mois suivit alors jusqu’au mardi 18 janvier 2011 où nous devions découvrir un nouveau projet de texte. Six jours seulement étaient accordés pour réagir avant la publication. En définitive, le texte du ministère minorait notre rôle pédagogique auprès des élèves et introduisait un nouveau public pour nos formations : nos collègues de disciplines !

Cet échec nous interpelle encore aujourd’hui. L’intersyndicale et la FADBEN avaient préparé pendant plus d’une année ce rendez-vous, attendu de toutes et de tous. Ils étaient parvenus à un réel consensus autour de l’intégration des nouveaux médias dans l’Ecole et de la place du professeur documentaliste. La quatrième version du projet, volontairement modifiée par une « main invisible », suscita bien des questionnements et des débats, dans un temps excessivement réduit, lesquels conduisirent une nouvelle fois à l’échec de la concertation. L’évolution souhaitée de la circulaire de mission des professeurs documentalistes fut une nouvelle fois abandonnée.

*Mars 2011 : Les tensions autour du learning centre

Les propos de l’institution sur le learning centre dans le secondaire sont venus renforcer et confirmer le discours de l’Inspection générale de 2008 qui réduisait la mission pédagogique du professeur documentaliste.

L’IGEN-EVS, prenant acte de la nécessité de « moderniser la documentation », fait le choix de mettre l’accent sur les lieux et sur l’accès aux ressources… Un séminaire inscrit au Plan National de Formation 2011 est ainsi consacré dans un premier temps au lieu : « Du CDI au Learning centre ». Le décloisonnement et la remise en cause du modèle dominant de la transmission ont focalisé les débats sur deux préoccupations. Premièrement, le travail pédagogique des professeurs documentalistes fut analysé sous l’angle restreint d’un "guichet" dédié à la gestion de l’accès aux ressources numériques des ENT, fonction déjà évoquée par l’IGEN-EVS dès 2008. Deuxièmement, l’attention fut portée sur « l’organisation du temps où les élèves vaquent entre les cours », selon une expression consacrée qui a fondé la notion de vie scolaire et qui conduirait aujourd’hui à fusionner CDI et salle d’étude.

En désirant montrer que le modèle du CDI était obsolète, le séminaire de 2011 s’est soldé par un rejet, voire une rupture avec la communauté professionnelle.

La FADBEN, quant à elle, soutient que les professeurs documentalistes exercent dans un lieu ouvert sur le monde, où toutes sortes d’apprentissages et d’événements peuvent et doivent être mis en œuvre, aussi bien dans les CDI que dans les autres lieux d’apprentissage dans et hors l’établissement et éventuellement, en collaboration avec les enseignants disciplinaires ou dans le cadre de partenariats extérieurs.

Par ailleurs, la FADBEN tient à rappeler que les professeurs documentalistes sont confrontés quotidiennement à la numérisation qui impacte à la fois leurs pratiques gestionnaires et leur action pédagogique. Sur ce dernier point, et s’agissant notamment des contenus d’enseignements induits par l’arrivée du média numérique, la FADBEN a, depuis le congrès de Dijon (2002), approfondi sa réflexion. Elle compte beaucoup sur les apports de la recherche et sur les travaux de l’ERTé Culture informationnelle et curriculum documentaire [3] et du Séminaire Limin-R Littératies : Médias, Information et Numérique [4].

La FADBEN aurait pu croire à une réflexion plus globale, partant de l’aspect séduisant d’une rénovation des CDI pour s’ouvrir ensuite sur une dimension interne à l’EPLE, si cette réflexion avait eu pour but de définir les modalités et les finalités d’une éducation à la culture de l’information où l’enseignant documentaliste engageait sa responsabilité pédagogique.

Mais c’était sans compter sur le refus réitéré de l’Inspection générale EVS d’appuyer cette fonction pédagogique et didactique et sa volonté, tout au contraire, de développer la politique documentaire centrée sur la seule gestion des espaces et des ressources.

*Une censure par omission

Le travail en équipe construit depuis de nombreuses années, et qui a permis le développement de savoirs et de compétences dans et hors la classe, en croisant les disciplines ou en développant des partenariats avec des acteurs éducatifs divers, est effacé dans la communication active menée par L’IGEN –EVS depuis dix ans.

La FADBEN déplore cet effet « ardoise magique » qui tend à occulter des pans entiers de la réflexion professionnelle sur l’évolution de notre métier, gommant des travaux qui sont le fruit de 15 ans d’innovation. Le professeur documentaliste concrétise, depuis la création du CAPES, le rapport entre l’éducatif et le pédagogique, participant ainsi au décloisonnement disciplinaire. Le cadre des actions des professeurs documentalistes ainsi dessiné n’est pas en marge des apprentissages, il est au cœur des apprentissages.

*La discipline Information-documentation

Dernier point, mais pas le moindre, celui du refus catégorique de l’Inspection générale d’engager une réflexion à propos de la discipline Information-documentation. L’argument qu’elle avance consiste à amalgamer discipline scolaire et cours magistral, à refuser la première à l’aune de la critique du second. Ce schéma réducteur ne peut qu’être dénoncé par l’association, laquelle a toujours mis en avant la richesse des scénarios pédagogiques utilisés par les professeurs documentalistes.

Bien à l’opposé de cette caricature que tente de tracer l’Inspection générale en confondant statut et modèles d’enseignement, les approches que la profession propose sont fondées sur une démarche socio-constructiviste et un courant didactique innovant qui emprunte à l’histoire récente des sciences.

La notion de « discipline documentation » est bien éloignée de la transmission magistrale, ici évoquée comme un chiffon rouge pour faire peur aux collègues et masquer les vraies raisons du refus.

Le temps du dialogue retrouvé

Le temps de la Refondation de l’école de la République étant venu, les professeurs documentalistes s’interrogent sur la part légitime qu’ils peuvent prendre à la réussite de tous les élèves. Cette part, si modeste soit-elle, reste ambitieuse dès lors qu’il s’agit, dans le cadre de la spécificité de la profession et de la responsabilité de son mandat pédagogique, de faire construire par les élèves les compétences et les connaissances dont ils ont un impérieux besoin pour évoluer dans une société où l’information est devenue essentielle à tous les niveaux de la vie d’un individu : le développement personnel, la formation tout au long de la vie et l’insertion autant sociale que professionnelle.

La FADBEN appelle dès lors l’institution à ouvrir une réflexion en concertation sur tout plan d’actions éducatives structuré et formellement prescrit ayant pour but de permettre la transmission effective d’une culture informationnelle.

Martine Ernoult,

Présidente de la FADBEN

Juin 2012

Notes

[1M.E.N., IGEN, IGAENR. Rapport 2007-027 : « Le stage en responsabilité dans la formation initiale des professeurs ».

[2Dans un discours adressé aux interlocuteurs académiques (IANTE) le 28 janvier 2008, l’Inspecteur général de l’Education nationale chargé de la Documentation remet en cause trois des dix compétences du référentiel professionnel permettant la validation des professeurs documentalistes PLC2. Ces trois compétences constituent le cœur même de la fonction enseignante : C4. Concevoir et mettre en œuvre son enseignement, C5. Organiser le travail de la classe et C7. Evaluer les élèves. À consulter sur le site Educnet : http://www2.educnet.education.fr/?sections/cdi/anim/interlocuteurs/reunions/reunion-2008/intervention-jl

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