2015
oct.
9

De la pédagogie du document au curriculum en info-doc : dynamiques et résistances

Texte préliminaire. Françoise CHAPRON

Le dixième congrès organisé par la FADBEN à Limoges en octobre 2015 a pour thème : Enseigner-apprendre l’information-documentation. Approches didactiques et démarches pédagogiques pour développer la culture de l’information des élèves. Question centrale pour les professeurs documentalistes, certes, mais aussi pour l’ensemble du système éducatif en « refondation » alors que la société est en profonde mutation sous l’impact de la mondialisation et des réseaux numériques. Question qui implique un nouveau regard sur les modes d’accès de production, de diffusion du savoir et des informations et leurs usages sociaux, et qui interroge fortement la place et le rôle des institutions éducatives et le métier d’enseignant.

Dans les questions posées dans la problématique du congrès, l’une d’elles, en tant qu’historienne et actrice de l’évolution de la profession, m’a incitée « à reprendre la plume », alors que je ne suis plus en activité mais toujours engagée dans la défense de certaines valeurs et démarches qui ont guidé la construction de notre profession et notre projet éducatif pour les jeunes : Qu’entend-on par pédagogie en information-documentation ? Quelles ont été ses évolutions, de la pédagogie du document à la pédagogie en information-documentation ?

Il m’a semblé utile de proposer une mise en perspective disponible sur le site avant le congrès (et qui rejoindra son espace historique) en la retraçant du point de vue des idées pédagogiques et de l’influence des chercheurs (et non des structures ou de la sociologie de la profession) qui nous ont accompagnées depuis les années cinquante. Ils ont nourri la réflexion professionnelle depuis les rénovations liées à l’Éducation Nouvelle, prônant la pédagogie du document, jusqu’à l’élaboration d’un curriculum info-documentaire nécessaire à l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information en adéquation avec les besoins sociétaux d’aujourd’hui et de demain.

Cette contribution hors du programme du congrès tente de marquer les étapes, de rappeler les travaux, les influences et d’évoquer les principaux chercheurs qui nous ont aidés à construire une réflexion toujours évolutive et complexe à travers l’engagement militant, la formation, la recherche. Chemin faisant, se sont constitués des réseaux de jeunes chercheurs dont une partie est issue des praticiens de terrain. Certains sont devenus les formateurs des jeunes (et moins jeunes) professionnels depuis la création du CAPES. C’est aussi un parcours effectué en partie en commun avec les engagements de la FADBEN qui en a toujours été l’écho, a toujours défendu le mandat pédagogique essentiel de la profession et continue de la représenter comme ses homologues associatifs de l’enseignement privé et agricole.

Après deux parties, l’une partant de l’expérience des classes nouvelles de 1945, issues du Front Populaire et de l’œuvre de Jean Zay jusqu’au CAPES, la seconde se développant ensuite de 1989 jusqu’à aujourd’hui, j’ai tenté de questionner ensuite la difficulté toujours actuelle de la reconnaissance réelle de cette ambition de valorisation de notre rôle d’enseignant à part entière que nous appelons de nos vœux depuis une quarantaine d’années. Les raisons en sont, semble-t-il, variées, liées à notre spécificité autant qu’à la difficulté récurrente de notre système à se réformer et à changer réellement les représentations de l’enseignement en France, qui nous a toujours situés comme d’autres innovateurs, en marge, en périphérie du « cœur de la classe », là où pourtant se jouent aujourd’hui les enjeux essentiels de la réussite de la Refondation.

CLIQUEZ ICI POUR TÉLÉCHARGER L’ARTICLE COMPLET

Pour faciliter la lecture, au risque de constituer un volumineux appareil infra-paginal, j’ai préféré donner au fur et à mesure des références de bas de page, plutôt qu’une longue bibliographie terminale. De ce fait, j’ai aussi fait des choix, certainement omis de citer des travaux ou articles, en privilégiant ceux qui m’ont semblé marquer des étapes ou des points d’avancées repérables et consultables. Par ailleurs, au-delà des bibliographies d’articles, de thèses, d’ouvrages disponibles, divers sites recèlent de nombreuses références ou textes et notamment ceux de la FADBEN bien sûr, dont les sommaires des Actes de congrès et numéros de revue Mediadoc ou textes en ligne sont riches, autant que des sites professionnels comme celui de Pascal Duplessis [1], qui reste une référence et qui y a déjà évoqué l’évolution de la réflexion professionnelle et de la recherche, celui du GRCDI de Rennes, de certains laboratoires universitaires (dont ceux des membres du Comité scientifique ou des laboratoires ou sites des chercheurs cités), les ressources en ligne des Archives Hal-SIC du CNRS, d’autres associations comme l’ANDEP ou celui du GRIDEA de l’enseignement agricole (accessible par celui de l’ ENFA de Toulouse). Divers blogs et sites personnels bien connus de collègues, comme ceux animés par Gildas Dimier, Olivier Le Deuff, Florian Reynaud, Docs pour Docs, ainsi que les sites des syndicats, présentent des réflexions, des expérimentations, des analyses utiles sur l’actualité. Ajoutons-y les ressources des espaces « Documentation » des sites institutionnels nationaux et académiques et ou de ceux qui donnent accès aux ressources internationales [2] et les sites de certains mouvements pédagogiques, accessibles par celui du CAPE (Collectif des Associations Partenaires de l’École). Les notes de référence les signalent au mieux et des requêtes en ligne permettront d’y accéder aisément. Que ceux ou celles qui ne seraient pas mentionnés dans le foisonnement des écrits disponibles ne m’en tiennent pas rigueur ! Mon souci a été de proposer un parcours de lecture et une mise en perspective qui fassent sens, montrent le chemin parcouru et l’existence d’un corpus de recherche, d’outils pédagogiques et d’un réseau qui ne peut plus être ignoré face aux enjeux actuels.

Pour autant, même si la situation des professeurs documentalistes peut paraître décourageante, pessimiste ou usante sur le terrain et dans les rapports institutionnels avec les acteurs éducatifs, politiques et sociaux concernés, nous vivons une période de mutation dans laquelle les environnements numériques sont une donnée prégnante, dont l’avenir est difficile à anticiper, mais leurs évolutions certaines et constantes. Ce changement sociétal irréversible ne permettra plus longtemps les atermoiements, les contournements, les détours que la « machine-éducation » a pu savamment mettre en œuvre depuis quatre générations pour retarder un changement profond de son modèle de transmission éducatif et culturel, sauf à ruiner notre modèle éducatif et républicain.

En tout cas, l’urgence est que soit donnée aux professeurs documentalistes leur place spécifique, rien que leur place, mais toute leur place, dans la Refondation en cours et c’est bien ce que la FADBEN et l’ANDEP ont demandé à la Ministre de l’Éducation nationale [3].

Tout en ayant évolué considérablement dans notre réflexion, nous devons garder les finalités d’émancipation et d’autonomie des élèves que nous a léguées l’Éducation Nouvelle dont nous venons et que rappelait Laurent Lescouarch [4]. L’autonomie informationnelle n’est pas une expression creuse, elle a une ambition humaniste et doit être reconnue comme constitutive de la formation de l’individu du XXIe siècle. Elle doit être réellement mise en œuvre, permettant ainsi une meilleure appréhension des savoirs de notre monde actuel et à venir, non pas comme une alternative ponctuelle et aléatoire, mais en tant une nécessité pour le maintien de nos libertés, de la tolérance et de l’ouverture à l’autre et au monde et donc de notre modèle démocratique.

Nous avons la chance en documentation d’avoir une conscience, voire une expérience et en tout cas une disposition par notre pratique et notre mission, à comprendre ces enjeux, à nous y adapter plus vite que d’autres enseignants. Notre « jeunesse d’enseignants nés en 1989 » et notre mission spécifique centrale dans ce monde en réseaux nous donnent une avance dans cette mutation, qui sera difficile pour beaucoup d’enseignants. Saisissons-la, malgré les retards, les indifférences, les mises à l’écart, les déceptions.

Parions sur le temps de la mise en route de certaines dispositions, le temps nécessairement long du changement et de l’intégration de l’innovation et de ses résultats dont seront acteurs et que vivront les jeunes générations qui doivent s’emparer de leur avenir. Mais, malgré les erreurs ou insuffisances du processus en cours, les contraintes de pénurie budgétaire, handicap certain dans un si vaste chantier, l’échec de la Refondation, au vu des projets annoncés en cas d’alternance politique en 2017, redonnerait de nouveau raison aux conservatismes éducatifs, mettant à mal l’idéal de démocratisation engagé en 1936.

Certes, en paraphrasant Turgot, on pourrait dire : « c’est un grand tort que d’avoir raison trop tôt ! ». Mais la réalité vécue par les jeunes et l’irréversibilité de la place du numérique nous donnent raison de persévérer malgré les obstacles et les incompréhensions. Persistons donc, sans oublier pour autant notre culture pré-numérique et ses acquis, comme le temps nécessaire pour apprendre et comprendre, ni celui de la lecture profonde et structurante. Le numérique ne chasse pas l’imprimé, ni l’image 3D, la peinture.

Philippe Meirieu, fait sienne la nécessité pointée par Neil Postman, d’une fonction thermostatique de l’École et de décélération pour structurer solidement une pensée et des savoirs et développer une posture émancipatrice et non asservie aux modes et miroirs aux alouettes de la société de la communication et de l’éphémère dans un monde qui se transforme si rapidement [5].

Mais dans ce cadre : « Ce qui se joue là, c’est l’acceptation du nouveau rôle de l’enseignant, qui ne sera plus simple exécutant mais concepteur de son enseignement, professionnel en capacité de faire des choix individuels et collectifs et de prendre des initiatives. Et les professeurs documentalistes ont des atouts dans leur spécificité pour y parvenir. » [6].

Pour contribuer à faire reconnaître enfin les professeurs documentalistes comme des enseignants différents, complémentaires mais égaux aux autres dans les équipes travaillant dans cet esprit, pour faire réussir tous nos élèves ensemble, nous ne pouvons que continuer à travailler chercheurs et praticiens ensemble. Le congrès est un moment privilégié d’échange humain et convivial pour conforter nos convictions et progresser. Et, vous le savez, il y a aussi des professeurs documentalistes qui inventent, ont plaisir à accompagner les élèves avec leurs collègues vers la réussite, l’autonomie, l’intégration sociale et l’ouverture sur le monde, efforts quotidiens que suivent toujours avec bienveillance et plus de distance, ceux qui ont quitté le monde actif de la documentation scolaire mais gardé leurs valeurs.

Je tiens à exprimer ici ma gratitude à notre amie Agnès Montaigne, ainsi qu’à Gildas Dimier, Héloïse Lécaudé, Florian Reynaud et Gaëlle Sogliuzzo, qui ont assuré le travail ingrat de relecture et de mise en forme de ce long texte.

Françoise Chapron
MCF honoraire IUFM université de Rouen,
Présidente honoraire de la FADBEN

Notes

[1] Duplessis, Pascal. Les Trois couronnes [Site en ligne], 2015 http://lestroiscouronnes.esmeree.fr et Duplessis, Pascal. De l’alternative à l’alibi pédagogique : Le CDI, figure de l’autrement de l’école ? Cahiers pédagogiques n°470, 02-2009. p. 56-57

[2] Blog de Sheila Webber Information Literacy Weblog http://information-literacy.blogspot.com/ ou le site infolit.org et le site de l’ UNESCO

[3] FADBEN et ANDEP. Lettre ouverte à Madame la Ministre de l’Éducation nationale. Professeur documentaliste et Refondation, 2 juin 2015 http://fadben.asso.fr/Lettre-ouverte-a-Mme-Vallaud.html

[4] Lescouarch, Laurent. La pédagogie de projet dans les dynamiques d’enseignement-apprentissage. Mediadoc décembre 2010 n° 5 « Vous avez dit enseigner, approche générale » volume 1.

[5] Meirieu, Philippe. L’École : une contre-société ? Lettre ouverte à Régis Debray. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/06/12062015Article635696910344503176.aspx

[6] Voir 101 Develay, op.cit.

Documents


PDF - 675.8 ko
  • RESTEZ
    CONNECTé