2015
mars
7

Concertation nationale sur le numérique pour l’éducation

Les positions de la FADBEN

La Fédération des enseignants documentalistes de l’Education nationale (FADBEN), en tant qu’association professionnelle, trouve dans la concertation nationale sur le numérique pour l’éducation l’occasion de préciser son positionnement sur cette question vaste du numérique, qui concerne les professeurs documentalistes au premier chef, sur plusieurs axes de leur mission.

Le texte proposé ici regroupe et articule l’ensemble des trois contributions publiées sur le site officiel de la concertation nationale : http://forum.ecolenumerique.education.gouv.fr/consultations.

Le développement numérique, engagé depuis plus de 25 ans pour ce qui concerne les usages du grand public, a depuis longtemps pris une place importante dans le travail quotidien des professeurs documentalistes. Il s’est agi pour ces professionnels de prendre en considération l’évolution des ressources, de développer des projets éducatifs et pédagogiques associés à l’intégration de l’outil informatique dans l’école, de participer à l’intégration progressive de systèmes d’information nouveaux et d’assurer des séances et progressions pédagogiques associées à des enjeux de la culture numérique, avec ou sans partenaires, dans les collèges et les lycées. A cette fin, des réseaux d’échange riches ont été déployés, par des listes de diffusion numériques, par des réunions locales permettant de développer des formations continues, par le rattachement progressif de savoirs de référence extraits des Sciences de l’information et de la communication (SIC) dans les formations initiales préparant au CAPES de documentation.

Dans ce contexte de refondation de l’Ecole, pour laquelle la question numérique fait partie des priorités, la FADBEN veut être force d’expertise et de propositions, selon trois axes essentiels :

  • l’articulation entre l’enseignement institutionalisé de l’information-documentation et de l’Education aux médias et à l’information, pour un développement de la culture de l’information des élèves ;
  • la gestion des ressources numériques dans les établissements scolaires et les responsabilités partagées à définir au sujet de ces ressources ;
  • la formation des enseignants, et précisément la formation des enseignants documentalistes, en lien avec les ESPE, les services du rectorat et les pôles académiques associés au numérique.

1. La construction d’un curriculum en information-documentation

Contribution publiée dans le thème 4 : "Le numérique et la réduction des inégalités"

L’inscription des professeurs documentalistes dans le texte de loi qui porte la refondation de l’Ecole de la République est un signe fort. La mention des professeurs documentalistes comme « particulièrement concernés et impliqués dans les apprentissages liés au numérique » constitue une avancée, dans laquelle la FADBEN voit un levier pour la construction d’un curriculum en information-documentation, en articulation avec l’Éducation aux médias et à l’information (EMI). Cette expression ne doit par ailleurs pas seulement remplacer l’éducation aux médias (EAM), essentiellement associée aux médias d’information. Il s’agit bien de développer chez l’élève des connaissances et compétences qui lui permettent un accès critique à l’information et la maîtrise de ses propres publications.

Il ne s’agit pas ici de défendre une approche exclusive et systématique du numérique qui, s’il peut faire l’objet de savoirs spécifiques, est davantage conçu comme un outil par les professeurs documentalistes, qui fondent la cohérence didactique des savoirs qu’ils enseignent sur les SIC. Le projet abouti de Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, en date du 12 février 2015, va dans ce sens, pour « un enseignement explicite des moyens d’accès à l’information, à la documentation et aux médias, des outils numériques, de la conduite de projets individuels et collectifs et de l’organisation des apprentissages, sans les déconnecter des disciplines » [1].

Le contexte numérique introduit une redéfinition des notions dans le domaine de l’information et des médias. C’est en premier lieu le cas pour les termes même de médias et d’information, dont il apparaît difficile aujourd’hui de comprendre l’acception selon l’unique rapport à l’information journalistique. Le concept de culture de l’information apporte une réponse adaptée à ces évolutions contemporaine majeures. La FADBEN, dans son Manifeste 2012, en rappelle les objectifs : « construire des savoirs permettant la compréhension des phénomènes informationnels, favoriser la critique éclairée des enjeux et des mécanismes des industries de l’information et de la communication, ainsi que la distanciation à observer devant la course sans fin à l’innovation technologique et à la documentarisation de l’homme via l’exploitation de ses traces numériques [...] de développer des attitudes éthiques et responsables lorsqu’il est fait usage de l’information » [2].

La vision naïve d’une possible autodidaxie numérique, sous-jacente dans l’idée très controversée de digital natives, selon laquelle l’élève pourrait apprendre seul au contact des outils et des réseaux, ne peut constituer une réponse sérieuse aux enjeux de l’acculturation informationnelle. Une stratégie d’apprentissage qui ne serait fondée que sur des médiations technologiques trouve ses limites pour qui sait nécessaire l’intervention de l’enseignant dans l’acquisition de savoirs, de même que dans l’accompagnement de l’élève vers l’autonomie critique et intellectuelle. Dans le même ordre d’idée, la focalisation sur le lieu conçu comme outil, dans lequel sont mis à disposition du matériel numérique et des ressources, chaque élément devenant outil d’apprentissages, n’apparaît pas comme une perspective viable. Le passage d’un CDI à un 3C [3], au-delà du changement de nom qui donne à lui seul l’impression du changement, procède d’une expérimentation-vitrine, non systématisable, dont l’effort financier, en direction de quelques établissements scolaires, pour la plupart collèges en REP+ ou lycées professionnels, se fait au détriment d’une distribution raisonnable profitable à l’ensemble des établissements. Cela suppose par ailleurs une focalisation sur l’outil numérique et sur sa mise à disposition technique, qui se fait non seulement au détriment d’autres ressources, mais aussi aux dépens d’apprentissages raisonnés grâce à des outils didactisés, selon une progression intelligente et intelligible.

Dans ce cadre, le travail de didactisation des concepts de l’information et des médias est à poursuivre, afin que soit complétée la définition de savoirs scolaires spécifiques adaptés au contexte numérique. Les professeurs documentalistes, en relation avec les chercheurs, ont pris depuis de nombreuses années en charge cet aspect de leur mission, en particulier au sein de la FADBEN avec le référentiel de compétences de 1997 [4] et les savoirs en information-documentation de 2007 [5]. Dans ce domaine de réflexion, l’exigence de la recherche rencontre l’esprit d’innovation des professionnels. Le projet collaboratif Wikinotions Info-doc [6], piloté par la FADBEN, contribue à la construction progressive de ce curriculum, dont le vœu d’une constitution fait maintenant consensus, avec une publication complète à ce sujet en décembre 2014 [7].

2. La libération des ressources numériques

Contribution publiée dans le thème 2 : "Le numérique, renouvellement et diversification des pratiques pédagogiques et éducatives"

Les professeurs documentalistes ont très rapidement pris en considération le développement des ressources numériques, sans toujours trouver un écho favorable chez les autres enseignants, pour qui le recours à ce support est encore inégal. La catégorisation des ressources, selon les différentes acceptions du terme, permet pourtant d’avancer.

La ressource numérique est d’abord perçue comme ressource logicielle. Il s’agit d’outils numériques, choisis dans chaque domaine d’enseignement, avec un souci de mise en valeur du logiciel libre selon les préconisations ministérielles [8], volonté que l’on peut respecter aujourd’hui plus aisément dans l’enseignement général que dans les voies professionnelles et technologiques. Cette question des ressources logicielles rejoint la question technique de l’installation et de la maintenance, avec des difficultés importantes, à ce jour, dans les EPLE, pour répondre favorablement aux « besoins » des différents enseignants. C’est un obstacle majeur au développement du numérique à l’école, auquel sont attribués des moyens limités. La question des ressources logicielles pose aussi le problème de la gestion des outils, et plus globalement du respect interindividuel des professionnels qui peuvent être associés à leur gestion. Ainsi, on constate encore que les professeurs documentalistes peuvent éprouver des difficultés à être considérés comme enseignants dans le cadre d’accès contraints aux systèmes d’information, aux ENT, aux réseaux, sans que les raisons soient d’ordre technique. Pourtant, avec une liberté d’investissement qui leur est chère, les professeurs documentalistes peuvent participer à la gestion des outils numériques, dans la limite de leurs compétences professionnelles, parfois soutenues par des formations continues. Ils sont ainsi qualifiés pour développer, s’ils le souhaitent et dans le respect des instances décisionnaires des établissements, le travail d’éditorialisation numérique de l’établissement, à travers son site web, d’autres plateformes en ligne et son ENT. Cette activité éditoriale, liée à un riche travail de rédaction qui, bien souvent, peut associer les élèves dans le cadre de projets pédagogiques, est un aspect essentiel du développement numérique pour l’école.

Il s’agit ensuite de ressources documentaires pour les enseignants, souvent du ressort de chaque discipline, voire de chaque enseignant dans les établissements. S’il ne faut pas contraindre les enseignants à passer systématiquement par un référent pour établir une commande, il peut être intéressant, pour ne pas dire indispensable, de favoriser l’enregistrement des ressources dans le catalogue du Centre de Documentation et d’Information afin que tous les personnels de l’établissement, et en particulier les nouveaux venus, retrouvent aisément les ressources acquises. Cela vaut d’autant plus pour les ressources numériques destinées aux élèves. On constate que leur acquisition n’est pas toujours du ressort des professeurs documentalistes, alors que cela reste la règle pour les ressources imprimées. Il s’agit là encore de favoriser la cohérence d’un projet documentaire qui permette l’accès de tous aux ressources numériques.

Qu’il s’agisse de l’accès aux outils, aux réseaux, aux ressources, ou encore de la gestion éventuelle de manuels numériques, il est indispensable que les personnels de direction et d’administration disposent d’une formation convenable, afin d’avoir un pilotage objectif, en connaissance de cause. Il s’agit de maîtriser simplement la gestion de certains pôles, et au premier chef la gestion d’un ENT et des manuels numériques, qui ne peuvent être délégués aux professeurs documentalistes ou aux référents pour les usages pédagogiques numériques, par exemple, de même que la gestion des manuels imprimés est bien du ressort des services administratifs de l’EPLE.

Qu’il s’agisse de ressources numériques documentaires ou de fiction, il convient de maintenir un accès et un financement suffisants pour les établissements scolaires. C’est le sens de l’engagement de la FADBEN au sein de l’IABD : promotion de l’open data, extension de l’exception pédagogique, développement de ressources libres. Mais l’enjeu tient également au maintien de budgets d’acquisition qui garantissent la stricte indépendance des établissements et des professeurs documentalistes dans le choix des ressources numériques proposées par les éditeurs.

Sous-jacente, c’est la liberté pédagogique même des professeurs documentalistes qui est ici en jeu dans le choix des matériaux et des supports didactiques qui, dans le contexte numérique, peuvent ressortir des savoirs de référence de la profession. On ne saurait, en ce qui les concerne, distinguer le web de ses ressources, en la matière objet et sujet d’enseignement.

3. La formation comme temps de régulation ?

Contribution publiée dans le thème 3 : "Le numérique et les compétences de demain"

L’une des caractéristiques du numérique réside dans l’extrême mobilité de ses objets dans le temps. Il en résulte une réelle difficulté à adapter ses transformations rapides au rythme plus lent de l’école, notamment lorsqu’il s’agit de faire acquérir des savoirs aux élèves. A cette fin, l’articulation des formations initiale et continue est susceptible d’apporter une cohérence à l’ensemble, sur laquelle les enseignants devraient pouvoir s’appuyer.

Si l’entrée disciplinaire est privilégiée, la question d’une matrice conceptuelle sur laquelle mettre en œuvre cette formation est posée pour les professeurs documentalistes, dont l’enseignement est en construction. Dans la continuité de la publication Vers un curriculum en information-documentation [9], l’entrée par les quatre champs extraits des travaux du GRCDI [10] est une nouvelle fois structurante :

  • Environnement informationnel et numérique,
  • Processus d’information et de documentation,
  • Recul critique sur les TIC, les médias et l’information-documentation,
  • Responsabilité légale et éthique face à l’information.

L’articulation du numérique avec ce modèle qui renvoie à des savoirs de référence issus des SIC s’appuie sur un ancrage épistémique stabilisé, à même de soutenir les transformations rapides des objets numériques. La formation initiale, dans les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPÉ) notamment, doit pouvoir s’emparer, ou du moins s’inspirer de ce modèle pour préparer les professeurs documentalistes à concevoir leur mission enseignante selon ces rythmes différenciés. La réflexion engagée sur les programmes, dans la continuité des travaux du Conseil Supérieur des Programmes (CSP), peut être un temps fort dans la définition de contenus qui participent de la construction d’un enseignement. Ce qui impliquerait de repenser les épreuves du CAPES de Documentation, en préalable à l’élaboration des matrices de formation dans les ESPÉ.

La formation continue peut être ici à penser comme une régulation apportée en réponse aux transformations engendrées par le numérique. Il suffit en partie, pour cela, de dépasser la stricte dimension outil, dont on sait la versatilité dans les usages et les conditions d’utilisation, pour faire acquérir aux élèves des savoirs. Une nouvelle fois, la matrice conceptuelle présentée ci-dessus a un effet structurant. Elle permet de concevoir des situations transférables aux conditions particulières de l’environnement numérique. On notera d’ailleurs que le numérique, s’il est explicitement nommé dans le premier axe de cette matrice, est aussi présent, implicitement, dans les trois autres axes.

Notre approche est systémique. Elle s’appuie sur la recherche et les pratiques professionnelles, en considérant les innovations techniques et pédagogiques, qui ne sauraient se soustraire à une lecture critique d’expérimentations et de modèles peu soumis à l’étude et pourtant approuvés, semble-t-il, sans réserve. Les 3C, en prenant l’innovation pour une fin et un moyen, génèrent un modèle instable, fondé sur la permanence de ses mutations, qui est incompatible avec le temps long nécessaire à l’acquisition de savoirs par les élèves. Nous lui préférons un modèle fondé sur une approche distanciée du numérique, dont les apports soient associés aux savoirs de l’information-documentation, afin de donner à l’ensemble une cohérence durable qui puisse donner lieu à des formations qui, par leur mise en œuvre, ont un effet d’entraînement.

Conclusion

La loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, inscrit la lutte contre l’illettrisme et l’innumérisme comme une priorité nationale (art. 9). Dans le cadre d’une mission pédagogique qui n’est pas restreinte au numérique, la même loi affirme l’implication claire des professeurs documentalistes au sujet des apprentissages liés au numérique. Dans ce domaine, la réflexion professionnelle est d’autant plus avancée que l’émergence du numérique a entraîné des transformations dans les pratiques de ces personnels. Penser une matrice conceptuelle, fondée sur des champs de situation qui se réfèrent à des notions structurées selon une progression, apporte un cadre pertinent pour concilier le rythme lent des apprentissages avec le rythme rapide dans l’évolution des objets numériques.

La formation des personnels, en vue d’assurer la pérennité de cette approche systémique, est à concevoir pour la stabilité qu’elle est susceptible d’apporter à cette construction qui articule savoirs de référence et numérique. Elle est un préalable pour garantir la réussite de tous les élèves à l’école et, au-delà, de chaque individu. Il convient, dans ce sens, de favoriser des formations pour tous, éducateurs, enseignants, personnels de direction et d’administration, en faveur de la maîtrise des outils et des ressources numériques ; mais il est tout aussi essentiel de comprendre la nécessité d’apporter une réponse aux enjeux pédagogiques associés à l’essor des technologies numériques. La FADBEN privilégie à cet effet une entrée didactique par l’information-documentation, en vue de développer la culture de l’information et des médias des élèves, contre une approche techniciste qui ne permet de traiter qu’à la périphérie les enjeux liés au numérique en termes d’apprentissages.

Notes

[1CSP. Projet de socle commun de connaissances de compétences et de culture. Février 2015. Page 3. Disponible sur http://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/05/7/Projet_de_socle_commun_de_connaissances,_de_competences_et_de_culture_12_fev_15_392057.pdf

[2FADBEN. Enseignement de l’information-documentation et ouverture à la culture informationnelle : manifeste 2012. Disponible sur http://www.apden.org/MANIFESTE-2012.html

[3DGESCO. Vers des centres de connaissances et de culture : le vade-mecum. Disponible sur http://eduscol.education.fr/cid60332/-vers-des-centres-de-connaissances-et-de-culture-le-vade-mecum.html

[4FADBEN. Référentiel de compétences pour l’élève. 1997. Disponible sur http://apden.org/Un-Referentiel-de-competences.html

[5FADBEN. Savoirs scolaires en information-documentation. 2007. Disponible sur http://apden.org/Les-savoirs-scolaires-en,182.html

[6FADBEN. Wikinotions Infodoc. 2014. Disponible sur http://apden.org/wikinotions

[7FADBEN. Vers un curriculum en information-documentation. 2014. Disponible sur : http://www.apden.org/Vers-un-curriculum-en-information-346.html

[8Orientations pour l’usage des logiciels libres dans l’administration. 19 septembre 2012. Disponible sur http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2012/09/cir_35837.pdf

[9FADBEN. Vers un curriculum en information-documentation. 2014. Disponible sur : http://www.apden.org/Vers-un-curriculum-en-information-346.html

[10GRCDI. Douze propositions pour l’élaboration d’un curriculum info-documentaire. 2010. Disponible sur http://culturedel.info/grcdi/?page_id=236

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