2015
oct.
9

Archives et écriture info-documentaire : Exemples de productions autour de la Première Guerre mondiale

Atelier : Collectif

Marion CARBILLET, Marie-Astrid MEDEVIELLE.

Atelier animé par Gildas Dimier

Journaux de tranchées, fiches des Morts pour la France, registres matricules, photographies... Grâce à une numérisation et à une mise à disposition numérique massive, les commémorations du Centenaire de la Première Guerre mondiale créent une occasion sans précédent de (re)découvrir des archives. Ces documents offrent une matière riche à exploiter dans le cadre de séances en information-documentation, notamment dans le cadre de projets de publication. A travers ce type de projets le professeur documentaliste peut travailler en profondeur, au collège et au lycée, la notion de redocumentarisation. Ce travail translittératique est porteur de nombreuses compétences transférables, tant en information-documentation, dans le domaine numérique, les domaines éthique et comportemental, qu’en éducation aux médias.

Quelles sont les archives sur la Première Guerre et les plateformes à notre disposition sur le plan numérique ? Quels exemples de projets peuvent être mis en œuvre ? Comment définir et enseigner la redocumentarisation à nos élèves ? Autant de questions auxquelles nous nous sommes proposées d’apporter des éléments de réponse, lors de l’atelier que nous avons animé lors du congrès de la FADBEN.

1914-1918 : Typologie des archives

Les documents à disposition

Il est difficile d’envisager de travailler autour du Centenaire de la Première Guerre sans se poser la question des types de documents d’archives accessibles. Ils sont de natures diverses.

Les lettres et cartes postales envoyées par les Poilus à leurs familles constituent sans doute le fonds le plus connu. On en trouve facilement, sur la plateforme Européana [1] notamment, à la faveur de la « grande collecte » [2] qui a eu lieu en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne… Ces documents émouvants en raison du contact direct des soldats avec la réalité de la guerre n’en sont pas moins complexes à étudier, notamment en raison de la censure de guerre, mise en place très tôt dans le conflit.

Illustration 1 : Le Miroir, 15 Nov. 1914

Les carnets de Poilus, que l’on a retrouvés en nombre, sont plus proches de la réalité de la guerre, car non censurés. Cependant ils sont rarement numérisés et presque jamais dans leur totalité. Sur l’espace académique de l’Académie de Toulouse [3], on trouve des extraits de carnets de Poilus de la région, exploitables en classe avec les élèves. Ce type de document peut permettre de réaliser des enregistrements sonores et les tracés de déplacements d’un Poilu local, comme l’ont fait les élèves du lycée professionnel Anne Veaute de Castres avec le soldat Victorin Bès [4].

Les journaux de tranchées sont assez peu connus des non spécialistes mais très intéressants à étudier. Réalisés dans des conditions précaires, ils étaient très appréciés des Poilus et permettent aujourd’hui de découvrir un aspect plus matériel, plus concret, de la vie sur le front. Les soldats s’y amusent de leurs conditions de vie, y utilisent le vocabulaire spécifique argotique de la tranchée, à partir duquel un travail approfondi peut être réalisé en cours de français.

Les journaux d’organismes de presse restent toujours utiles pour découvrir la période, malgré la censure qu’il faut toujours garder en tête. Ce que l’on sait peut-être moins, c’est que certains journaux ont misé principalement sur l’impact de la photographie pour raconter la guerre aux Français loin du front et limiter les incompréhensions entre les Poilus permissionnaires et leurs proches. Ce fut l’objectif du Miroir [5], qui a publié entre 1914 et 1918 de pleines pages de photographies. Pour avoir cette matière chaque semaine, le Miroir rétribuait les soldats qui envoyaient des photos (la chose était rendue possible grâce à la portativité accrue des appareils photographiques de plus en plus petits). Le journal précise qu’il « paie n’importe quel prix les documents photographiques relatifs à la guerre, présentant un intérêt particulier ».

Illustration 2 : Vue stéréoscopique de R. Berthelé lisant une lettre sur les bords d’une rivière à Chardogne (Meuse). Nov.-déc. 1916.

Parmi les photographies que l’on trouve sur la période, certaines sont très étonnantes car elles sont doubles : à droite et à gauche on a la même photographie. Il s’agit d’images stéréoscopiques, très à la mode au début du siècle, qui permettaient avec des lunettes adaptées de voir l’image en trois dimensions. L’objectif était de pouvoir se représenter au plus près la guerre, tout en en restant loin.

A l’occasion du Centenaire, les centres d’archives, les bibliothèques mettent en valeur leur fonds en le numérisant et en en facilitant l’accès. Aussi ne trouve-t-on pas les mêmes documents aujourd’hui qu’il y a deux ans. Non seulement les plateformes se sont enrichies, mais leur architecture a été la plupart du temps repensée, de même que leur design. Une réelle réflexion sur la mise à disposition des archives numériques et leurs modalités d’accès se lit dans cette évolution.

Les plateformes d’archives et de bibliothèques numériques : accès et limites pour des projets pédagogiques

Illustration 3 : Plateforme Européana 14-18

Depuis novembre 2013, le réseau des archives de France, la BnF et la Mission Centenaire ont organisé « la grande collecte », afin de numériser, de conserver et de mettre à disposition les nombreuses archives familiales de la Première Guerre conservées par les particuliers. Les milliers de documents numérisés ont ensuite été versés sur la plateforme Européana 14-18 [6]. Un certain nombre d’archives sont également disponibles sur le site propre de la grande collecte [7]. Ces deux sites proposent des accès par thématiques à leurs collections d’images numérisées. Européana différencie ainsi les accès par types de documents (photographies, lettres, cartes postales, journaux...), par sujets (les femmes, la propagande, les prisonniers...), et enfin par fronts.

Illustration 4 : Thème Première guerre mondiale sur Gallica

Comme Européana, de nombreuses institutions mettent en valeur leurs documents consacrés à la guerre de 14-18. Ainsi la BnF propose-t-elle un accès thématique particulier à ces archives, en les classant ensuite selon une typologie : discours d’hommes politiques, journaux de tranchées, la guerre en images. La médiation vers ces archives se traduit également par des dispositifs particuliers sur les réseaux sociaux numériques. Ainsi le compte Twitter officiel @GallicaBnF propose une liste de comptes Twitter consacrés au centenaire de la Première Guerre mondiale. Il faut d’ailleurs signaler le réel dynamisme et la très grande réactivité sur ce réseau de plusieurs comptes consacrés au Centenaire, véritable richesse pour faire des recherches et échanger sur cette période.

Ill. 5 : Liste de @GallicaBnF consacrée au Centenaire de 14-18

Nombreux sont les sites d’archives départementales qui profitent de cette numérisation massive pour évoluer dans leur mise à disposition des ressources : en effet, auparavant les sites proposaient principalement un accès à leurs outils de recherche, à leurs bases de données ; ils proposent désormais directement de nombreuses archives. On observe une évolution des architectures.Par exemple, les archives départementales de Loire-Atlantique ont longtemps été une simple sous-rubrique du site du Conseil Général. En février 2014, un site propre est conçu, et celui-ci propose un accès en différentes rubriques déterminées par les usages du public (venir, chercher, découvrir...). La création d’un réel « mémorial virtuel » des soldats de Loire-Inférieure ouvert à la participation des usagers entraîne l’ouverture d’une plateforme dédiée, indépendante du site des AD44 [8].

Illustration 6 : La Loire Atlantique se souvient

Les archives départementales de Seine-Maritime proposent quant à elles un accès par blocs (Etat civil, annotation collaborative, Journal de Rouen...) qui permet à l’internaute un accès direct au fonds désiré. Le Centenaire est également l’occasion de la constitution de véritables portails. Ainsi le 11 novembre 2014 est inauguré le « Grand Mémorial » [9], qui permet de retracer le parcours d’un Poilu « en une seule recherche », puisqu’il regroupe les registres matricules des Archives départementales et le fichier des Morts pour la France du ministère de la Défense, dans une base de données unique.

Illustration 7 : Le site Grand Mémorial

En tant qu’enseignants, nous avons également accès à de nombreuses ressources sur la Première Guerre mondiale via le portail Eduthèque [10] : accès aux films sur les jalons de l’Ina, à de nombreuses images via une thématique consacrée sur l’histoire par l’image... Quelques autres sites proposent des ressources pédagogiques très intéressantes pour nos travaux avec les élèves.

Nous signalerons ainsi la BDIC (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine) et sa bibliothèque numérique participative l’Argonnaute [11] (du nom d’un journal de tranchées), ainsi que le cartable numérique autour de la Première Guerre créé par cette même BDIC [12].

Ill. 8 : Thématique 1e Guerre sur les archives de Toulouse

Travailler sur la Première Guerre mondiale permet de faire découvrir à nos élèves des interfaces multiples présentant les archives (pour leur faire étudier des documents de natures diverses : extraits de journaux, cartes postales, photographies, publicités...). Il nous faut d’ailleurs signaler une première contrainte : nos projets ont été orientés en partie par ces plateformes et les ressources proposées.Cependant la multiplication et la diversification de celles-ci nous ont permis de faire évoluer nos parcours pédagogiques.

Ces projets ont surtout été l’occasion de faire publier nos élèves sur différents supports à partir de documents d’archives. Face à cette exigence commune de faire publier nos élèves, nous nous sommes confrontées à une nouvelle contrainte liée à l’usage de ces différentes plateformes.

Ill. 9 : Tabl. Flickr des archives de Toulouse sur la 1e Guerre

La mise à disposition des ressources n’entraîne pas effectivement le droit de les utiliser dans le cadre d’une publication ; les conditions générales d’utilisation varient selon les sites, et nombreux sont ceux qui demandent de remplir des formulaires d’autorisation de publication. Cela constitue bien évidemment un frein.

Cependant, le mouvement des communs [13] irrigue également certains services d’archives qui n’hésitent pas à permettre une libre réutilisation des ressources : c’est ainsi le cas des archives municipales de Toulouse.

Soulignons ici que nous avons, de plus, pu profiter d’un réel partenariat entre service d’archive et professeur documentaliste pour faire évoluer la plateforme de mise à disposition des archives.

Ill. 10 : Tab. Pinterest sur la 1e Guerre. Arch. départ. 76

Celles-ci étaient auparavant uniquement disponibles sous la forme d’une base de données difficilement abordable pour les collégiens. Un réel dialogue entre service et usagers a permis la création d’albums sur la plateforme Flickr, entrée beaucoup plus visuelle et accessible pour les collégiens.

Certaines institutions culturelles n’hésitent plus à déposer certaines de leurs ressources sur ces médias, notamment le réseau social d’images Pinterest. Cela permet de multiplier les moyens d’accéder au public, ainsi que les médiations numériques autour de ces fonds.

Projets pédagogiques autour de 1914-1918 : les plateformes d’écriture et leurs contraintes

Si le Centenaire constitue une occasion pédagogique commune pour travailler sur les archives avec nos élèves, les modalités de nos projets sont très différentes : l’une travaille en collège, l’autre en lycée, de plus nos deux villes ont un passé très différent. La ville de Rouen a servi de base arrière, notamment aux armées britanniques pendant la bataille de la Somme, et des traces de cette histoire se lisent dans le territoire, tandis que la ville de Castres très éloignée du front a été épargnée. Nos projets ont donc été construits en fonction de différents critères : les ressources disponibles, l’histoire des lieux, mais également bien sûr la progression des apprentissages informationnels mis en œuvre. En collège, les élèves ont par exemple alimenté un mur d’images sonores sur les moyens de communication pendant la Première Guerre mondiale , d’autres ont tenu un blog fictif d’une jeune fille pendant la période 14-18. Les lycéens ont contribué à l’encyclopédie Wikipédia à travers la rédaction de la partie de l’article de Rouen consacrée à la Première Guerre, tandis qu’un blog « le Centenaire aux Bruyères » et un compte Twitter @bruyeres1418 ont été créés afin d’héberger diverses contributions des élèves sur cette histoire.

En collège :

Construction d’un mur d’images sonores à partir d’images d’archives

En 2014 cinq classes de cinquième ont cours à l’année dans le cadre d’un module appelé « culture numérique » et ont participé à la création d’un mur d’images sonores à partir d’images d’archives en utilisant l’outil Narrable, autour de la question « Comment communiquait-on il y a cent ans ? ». Les élèves travaillent la question du rapport de l’homme aux outils de communication. Dans la progression, le premier temps portait sur les communications il y a cent ans, puis sur les communications actuelles (c’était au moment de la sortie des Google Glass), pour finir par un travail d’imagination sur les moyens de communication du futur. Un des exercices intermédiaires était de décrire à un interlocuteur imaginaire du début du siècle ce qu’était un réseau social. L’intention était d’inscrire les outils dans une histoire, de comprendre que les inventions sont interdépendantes les unes des autres (comment définir un réseau social sans définir internet et définir internet sans définir l’ordinateur ?), mettre des mots de vocabulaire précis sur des outils familiers, mais aussi à questionner le sens de nos usages : « ça sert à … ».

Le travail sur images d’archives visait à cerner les outils de communication du début du siècle, à comprendre l’impact de la guerre sur leur développement et donc la naissance des prémices des moyens de communication actuels. Ceci était vrai par le développement d’un premier type de document sur lequel ils allaient travailler : l’image, et en particulier la photographie.

Les élèves devaient pouvoir choisir une image sur laquelle travailler en y entrant par l’impact visuel. Pour cela, il fallait créer un mur sur Pinterest dans lequel ils puissent piocher en y mettant des images libres de réutilisation. Mettre ce mur en place a été difficile : la plupart des images d’archives étaient soumises à un copyright de centre d’archive ou de musée. Heureusement les archives de la ville de Toulouse ont communiqué sur le fait qu’avec l’aide de Jordi Navaro, archiviste membre de SavoirsCom1 [14], elles venaient de changer leurs conditions d’utilisation des documents mis à disposition en donnant le droit des les réutiliser en publication. A l’époque leurs images étaient d’un accès difficile par une base de données ardue mais très vite, et suite à quelques échanges avec Catherine Bernard, adjointe au directeur des Archives, nous avons pu avoir accès à des murs Facebook puis des albums Flickr d’images dans lesquels nous servir. Nous avons aussi utilisé Gallica, Wikipédia, et les albums Flickr de la BDIC. Le mur Pinterest [15] construit, les élèves ont choisi une image.

Dans un second temps, les élèves, à l’aide d’une fiche-guide, doivent présenter leur image :

  • dire sur quel site elle était mise à disposition et quels étaient les droits de réutilisation (domaine public ou creative commons)
  • la décrire
  • apporter des informations sur le moyen de communication utilisé sur l’image

Ce travail terminé, ils ont effectué un enregistrement sonore par la suite mis en ligne sur un mur Narrable.

Création du blog fictif d’une enfant pendant la guerre

Illustration 11 : Blog de Louise

En 2014, un deuxième projet s’est mis en place autour des commémorations, en collaboration professeure documentaliste – professeure d’histoire. Il a été proposé à des élèves, en club, de tenir le blog d’une enfant pendant la guerre. C’était une façon nouvelle de découvrir la vie quotidienne dans la ville, éloignée du front, mais cependant transformée par le conflit. Pendant quatre ans, en effet, la guerre a déterminé le rythme de la vie locale : départ des hommes, arrivée des réfugiés puis des prisonniers, explosion d’une cartoucherie, rationnements…

Des extraits de journaux ont été numérisés, ainsi que des cartes postales de collections privées, qui furent donc les documents de travail de départ. Les billets de blog du personnage fictif, Louise, sont suivis des documents originaux qui ont été utilisés pour les rédiger [16].

Ce projet visait aussi à jouer avec les codes d’écriture du blog-récit de vie et à faire comprendre aux élèves les spécificités de la publication sur ce type de plateforme (l’ordre d’affichage antéchronologique notamment).

En lycée :

Enrichissement de l’article Wikipédia sur l’Histoire de Rouen [17]

2013-2014 a marqué la naissance d’un projet interdisciplinaire Histoire-Information Documentation autour du Centenaire, intitulé « Mémoires de la guerre, une expérience combattante ». Inscrit dans l’accompagnement personnalisé, le projet est l’occasion d’étudier diverses ressources et divers documents sur cette période afin de créer une exposition sur cette thématique, ainsi que de contribuer à l’article de l’encyclopédie collaborative Wikipédia sur l’histoire de Rouen. Celui-ci était effectivement très lacunaire sur la période. Il était seulement indiqué que Rouen avait servi de base arrière à l’armée britannique pendant la guerre 1914-1918. Les archives numériques à disposition ont été dépouillées afin d’enrichir cet article, et notamment celles du Journal de Rouen, informations croisées avec des ouvrages sur l’histoire de Rouen. Afin de créer l’article, les élèves ont utilisé un logiciel d’écriture collaborative, et l’article n’a été publié qu’une fois celui-ci terminé. Ce travail autour de l’encyclopédie collaborative a été riche en termes d’apprentissages informationnels : citation précise des sources, croisement des informations avec d’autres travaux sur l’histoire de la ville, découverte des creative commons...

Le blog le Centenaire aux Bruyères [18] et le compte Twitter @bruyeres1418

Illustration 12 : Blog « le centenaire aux Bruyères »

A partir de la rentrée 2014, le projet a évolué. Il a été décidé de créer un blog qui accompagnerait les projets de recherche. L’année scolaire a commencé par la visite du cimetière St Sever, cimetière de la Première Guerre de Rouen dans lequel se trouvent les tombes des soldats français, britanniques et de leurs anciennes colonies. L’idée est d’essayer de retracer leurs parcours à travers les archives en ligne. Le site Mémoire des Hommes, qui met à disposition les fiches des soldats morts pour la France, est notamment utilisé. Il est désormais également possible d’avoir accès aux registres matricules sur le site des archives départementales de Seine-Maritime, et les élèves ont pu effectuer une séance d’annotation collaborative de ces archives, ce qui constitue un réel travail de redocumentarisation, puisque le site propose cette participation.

Cette année, le blog est toujours actif, mais il est doublé par un compte Twitter afin de bénéficier de l’aide du réseau du Centenaire, très actif sur ce média. Cela permet également d’aborder avec la classe la question des usages des réseaux sociaux numériques, de la présence numérique, ainsi que des questions d’identité numérique individuelle et collective. Ce travail consiste également à repérer l’utilité des mots-dièses, des listes afin, notamment, de donner de la visibilité au compte de la classe. Cette participation au réseau social a ainsi mené la classe à participer au défi #11j11p qui consistait entre le 7 et le 17 novembre 2015 à indexer sur le site Mémoire des Hommes des fiches de soldats. Le projet s’inscrit véritablement dans l’éducation aux médias et à l’information, avec une collaboration avec une journaliste spécialisée sur la Première Guerre mondiale, Stéphanie Trouillard.

Les plateformes d’écriture et leurs spécificités : contraintes techniques

Utiliser une plateforme d’écriture (Wiki, blog, mur d’images, Twitter) oblige nos élèves à se plier aux contraintes techniques de cette plateforme : présence ou non de liens hypertextes, longueur imposée ou non des phrases, possibilité de mettre des images, ordre de publication, hashtags sur le réseau Twitter…

Il faut aussi prendre en compte les spécificités du média : texte, image, son, ainsi que les usages sociaux liés encyclopédie familière, écriture de l’intime, storytelling…Toutes ces contraintes peuvent aussi se révéler fertiles dans l’activité de création : l’élève peut jouer avec, s’y plier, pour en faire autre chose, quelque chose qui lui appartient. Il peut tester son pouvoir d’action, sa liberté devant la contrainte et se poser la question : au final, qu’est-ce que je décide ?

L’enseignement de la redocumentarisation : redocumentariser des documents d’archives, un travail translittératique

La redocumentarisation en questions

Le traitement documentaire classique intervient dans la circulation de l’objet, et le travail de référencement, de condensation, et d’indexation du professionnel de l’information constitue une documentarisation de l’objet traité. Pour Jean-Michel Salaün, « l’objectif de la documentarisation est d’optimiser l’usage du document en permettant un meilleur accès à son contenu et une meilleure mise en contexte [19] ». Avec la numérisation, et encore plus avec le web 2.0, le document perd sa stabilité initiale, il s’agit bien d’une redocumentarisation (nouvelle et révolutionnaire) (Salaün 2007). Ce processus s’accompagne d’une individualisation avec le développement des wikis, des blogs et du web sémantique. De plus en plus d’institutions culturelles permettent au public de participer à l’enrichissement des fonds. Rosalipédie, l’encyclopédie collaborative de la bibliothèque numérique toulousaine Rosalis constitue ainsi un exemple intéressant de ce que Louise Merzeau appelle « l’intelligence de l’usager [20] », même s’il s’agit ici bien souvent d’un usager expert de son domaine. L’annotation collaborative, l’écriture documentaire à partir des archives participent de cette dynamique de redocumentarisation. L’ouverture à la participation des usagers, la réappropriation de documents dans le numérique permettent aux usagers d’être créatifs dans leurs enrichissements de documents. L’archive numérisée peut donc recevoir des métadonnées, des annotations, des indexations. Elle peut être prélevée de son corpus initial et insérée dans un nouveau corpus organisé en fonction des besoins propres de l’utilisateur concerné : par exemple les murs Narrable et Pinterest, les blogs... Les modifications qu’elle subit peuvent servir à la collectivité des autres utilisateurs, chacun apportant ses connaissances à la communauté. L’ensemble des annotations apposées peut d’ailleurs également constituer un nouveau document. La chercheuse en Sciences de l’information et de la Communication Julia Noordegraaf [21] interroge cette nouvelle archive numérisée, les pratiques collaboratives et le nouveau type de savoir qui en résulte. Elle propose de retenir le terme de dynarchive pour cette archive devenue dynamique et orientée par l’usage. Cette archive numérique et dynamique, support de recherche pour nos élèves, constitue également un nouvel objet d’apprentissage, à travers notamment la didactisation de la notion de redocumentarisation.

Comment enseignons-nous la redocumentarisation à nos élèves ?

Illustration 13

Etudier des documents en les redocumentarisant consiste soit :

  • à demander aux élèves de les scanner et de mettre cette version numérique en ligne
  • à leur demander de les republier sur de nouvelles plateformes, accompagnés de textes originaux.

C’est un travail qui demande une étude poussée du document d’origine : savoir le lire dans son contexte de publication, en prenant en compte la distance temporelle qui peut gêner l’interprétation ; savoir qu’un document doit s’étudier dans son contexte historique d’énonciation (la censure de guerre, par exemple). Dans un second temps, cela pose la question de ce que l’on souhaite en faire, de la raison pour laquelle on va le republier mais aussi de ce que l’on va en dire lors de cette publication.

Ainsi l’élève qui redocumentarise un document apprécie la distance entre le discours porté par le document et son discours personnel sur ce même document. A l’origine de ce travail, la question du choix : pourquoi choisir de donner une seconde vie à un document plutôt qu’un autre ? A l’issue de ce travail, la question du partage : à qui vais-je donner ce document ? Comment vais-je garantir sa visibilité, sa possible réutilisation sur d’autres plateformes ? Et, englobant l’ensemble de ce travail de redocumentarisation, se pose la question de l’action dans la société. En effet, en redonnant à voir certains documents plutôt que d’autres, on participe en conscience à la construction d’une mémoire commune.

Ainsi, les projets de redocumentarisation à partir d’images d’archives permettent de travailler des savoirs d’action très ancrés dans les savoirs spécifiques de l’information-documentation : compréhension de ce qu’est un document, travail d’archéologie documentaire même, selon les termes d’Olivier Le Deuff [22]. Pour autant ces projets sont ouverts nécessairement au domaine médiatique, par la compréhension des médias en lien avec leurs usages (place de l’image dans le conflit, mais aussi jeu sur l’écriture de soi fictionnelle sur un support de blog, participation à l’encyclopédie Wikipédia…). Ils ne peuvent pas non plus être déconnectés d’une connaissance technique liée au numérique : création d’hyperliens, compréhension du fonctionnement d’un wiki, distinction entre le document numérisé et le document numériquement né…

Pour conclure, quelques points sont à souligner. La participation à un projet de crowdsourcing, comme l’indexation collaborative des soldats morts pour la France, permet aux élèves à la fois de répondre à leur propre besoin d’information mais également de participer à un projet collectif de mémoire citoyenne. Ainsi, ces projets de publication à partir de documents d’archives sont nécessairement, par essence, translittératiques. Pour autant le professeur documentaliste y assoit chez les élèves des savoirs info-documentaires solides et transférables à d’autres situations d’apprentissages. Dans tous les domaines, mais plus précisément dans le domaine info-documentaire, les notions de document, information, redocumentarisation, éditorialisation et pertinence, mais également réseau social numérique, présence numérique peuvent faire l’objet d’approfondissements multiples, à partir d’activité variées, de la sixième à la terminale.

Archives et écriture info-documentaire : exemples de productions autour du centenaire de la Première guerre mondiale en collège et lycée de CarbilletM

Notes

[1] EUROPEANA. Européana 14-18. [Consulté le 22/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.europeana1914-1918.eu/fr

[2] Cf infra « Les plateformes d’archives et de bibliothèques numériques : accès et limites pour des projets pédagogiques »

[3] ACADEMIE DE TOULOUSE. Les hommes et les femmes dans la guerre. [consulté le 25/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.ac-toulouse.fr/cid75040/les-hommes-et-les-femmes-dans-la-guerre.html

[4] LYCEE ANNE VEAUTE. Padlet du lycée Anne Veaute [consulté le 25/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://fr.padlet.com/cdiveaute/victorinbes

[5] CHEVAL, François. Le Miroir, une revue photographique. [consulté le 25/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.uneguerrephotographique.eu/files/Le-Miroir-FR.pdf

[6] EUROPEANA. Européana 14-18. [Consulté le 08/02/16]. Disponible à l’adresse : http://www.europeana1914-1918.eu/fr

[7] SIAF. La grande collecte. [Consulté le 08/02/16]. Disponible à l’adresse : http://www.lagrandecollecte.fr/accueil_gc.html

[8] ARCHIVES DEPARTEMENTALES DE LOIRE-ATLANTIQUE. 14-18 La Loire-Atlantique se souvient. [Consulté le 08/02/16]. Disponible à l’adresse : http://14-18.loire-atlantique.fr/

[9] MINISTERE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION. Grand Mémorial. [Consulté le 25/11/15]. Disponible à l’adresse : http://www.culture.fr/Genealogie/Grand-Memorial

[10] MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE, DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE. Eduthèque. [Consulté le 22/11/15]. Disponible à l’adresse : http://www.edutheque.fr/accueil.html

[11] BDIC. Bibliothèque numérique l’Argonnaute. [Consulté le 25/11/15]. Disponible à l’adresse : http://argonnaute.u-paris10.fr/

[12] BDIC. Cartable virtuel de la BDIC. [Consulté le 25/11/15]. Disponible à l’adresse : http://cartablevirtuel.u-paris10.fr/

[13] Sur cette question des communs de la connaissance, voir notamment MULOT (2015). Communs, Biens Communs, littératie des Communs : de quoi parle-t-on ? In Docpourdocs [en ligne]. [Consulté le 08/02/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.docpourdocs.fr/spip.php?article570

[14] NAVARO, Jordi. Papiers et poussières. [Consulté le 25/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.papiers-poussieres.fr/

[15] https://fr.pinterest.com/cdijaures/14-18-les-communications/

[16] https://castrespremierguerremondiale.wordpress.com/

[17] WIKIPEDIA. Rouen. In : Wikipédia, l’encyclopédie libre [consulté le 08/02/16]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Rouen#.C3.89poque_contemporaine

[18] LYCEE LES BRUYERES. Le Centenaire aux Bruyères [consulté le 08/02/16]. Disponible à l’adresse : http://blog.ac-rouen.fr/lycee-les-bruyeres-centenaire-premiere-guerre-mondiale/

[19] SALAUN, Jean-Michel (2007). Eclairages sur la redocumentarisation. In : Economie du document : Bloc-notes de Jean-Michel Salaün [en ligne]. [Consulté le 8 février 2016] . Disponible à l’adresse : http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jms/index.php/post/2007/05/05/252-eclairages-sur-la-redocumentarisation

[20] MERZEAU, Louise (2010). L’intelligence de l’usager . In : CALDERAN, Lisette, HIDOINE, Bernard, MILLET, Jacques. L’Usager numérique. Séminaire INRIA, 27 septembre-1er octobre 2010. . Paris, ADBS , 2010, pp. 9-37.

[21] NOORDEGRAAF, Julia (2012). « Dynarchive » et mémoire : quel(s) savoir(s) pour les archives numériques ? In : FREY, Valentine, TRELEANI, Matteo (2012). E-dossier de l’audiovisuel : sciences humaines et sociales et patrimoine numérique [en ligne]. [Consulté le 8 février 2016]. Disponible à l’adresse :
http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-sciences-humaines-et-sociales-et-patrimoine-numerique/dynarchive-et-memoire-quel-s-savoir-s-pour-les-archives-numeriques.html

[22] LE DEUFF, Olivier, Vers de nouveaux maîtres de l’hyperdocumentation. In : Enseigner-apprendre l’information-documentation ! Xè congrès des enseignements documentalistes de l’Éducation nationale. Limoges, 9-11 octobre 2015

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