Les professeurs documentalistes et les heures d'enseignement

Avec la régularité des enquêtes, sur des sujets relativement différents, de 2013 à 2016, nous pouvons déjà indiquer que, pour ce type de consultations, les réponses sont plus nombreuses quand on questionne le statut, les obligations de service, que lorsque l'on s'intéresse aux apprentissages, mais surtout aux questions de gestion, de promotion de la lecture, d'ouverture culturelle. Ces tendances interrogent les priorités des collègues, certes, mais aussi la place et le rôle donnés à l'association professionnelle. Les deux dernières enquêtes voient un décalage important avec la réalité dans les proportions selon le type d'établissements, l'actualité de la réforme venant sans doute expliquer une sur-représentation pour le collège. Malgré les fluctuations, nous obtenons tout de même à chaque fois des panels suffisamment importants, de 700 à 1 600 réponses, pour développer des analyses significatives.

Les questions communes à chaque enquête permettent de cerner la significativité et l'objectivité de notre travail, mais également de commencer à comprendre des tendances, des évolutions. Ce sont déjà certains éléments de stabilité, autour des séances pédagogiques : 85 % des collègues en proposent 4 à 12 hebdomadaires en moyenne, 8 % en proposent moins de 4 en collège, ce qui monte à 15 % en lycée GT et 30 % en lycée professionnel. La question se pose de la difficulté de proposer des séances, et de la volonté de ne pas en faire, sans minorer l'une ou l'autre des explications dans la réflexion à avoir sur l'avenir de la profession et sur ce qu'on en attend.

En ce qui concerne les interventions, les collègues reconnaissent l'information-documentation pour domaine de référence (80 %), quand celui-ci représente 4,5 heures par semaine de séances, sur une moyenne globale de 7 heures. Pour autant, un tiers seulement propose une progression pédagogique, en collège ou lycée, et la moitié seulement parvient à voir chaque classe au moins une fois dans l'année.

On observe une volonté d'inscription des séances dans l'emploi du temps des élèves au collège, en particulier dans le public, avec l'apport non négligeable des heures disciplinaires, quand c'est cette dernière modalité qui l'emporte largement en lycée, alors que les heures dites libres sont davantage investies dans les établissements privés sous contrat. Les dispositifs développés par l'institution en termes d'interdisciplinarité sont toujours largement investis, mais avec une tendance à la baisse, qui pose question quand on sait que les programmes du cycle 4 nous réduisent à des dispositifs interdisciplinaires, les EPI.

Les savoirs info-documentaires : pour des modes d'acquisition variés

L'acquisition des savoirs de l'information-documentation ne peut à l'évidence pas se satisfaire de la seule démarche pluridisciplinaire, selon la pratique constatée, avec un besoin d'heures spécifiques en information-documentation qui paraît moindre quand on élargit le champ des interventions pédagogiques des professeurs documentalistes, avec les dispositifs de type Histoire des arts, itinéraires de découverte (IDD) ou travaux personnels encadrés (TPE) par exemple. D'autre part, ce ne sont pas les heures de vie de classe ou les heures libres qui garantissent les apprentissages proposés par les professeurs documentalistes, mais bien un savant dosage entre projets pluridisciplinaires et apprentissages spécifiques, qui peuvent d'ailleurs s'appuyer sur des contenus d'autres disciplines. Les nouveaux programmes publiés le 24 novembre 2015[1] vont à l'encontre de ce constat, réduisant toujours les apprentissages en groupes-classes à des séquences partagées avec un enseignant d'une autre discipline, sans possibilités d'horaires dédiés de manière légitime hors d'une négociation locale aléatoire.

Notons enfin, avant de revenir sur les obligations réglementaires de service et la reconnaissance des heures d'apprentissages en groupes-classes comme comptabilisées pour deux heures de service, que 60 % des collègues évaluent les élèves, quelle que soit la modalité, ce qui reste relativement faible. On peut apporter deux hypothèses explicatives, à savoir le manque de temps pour évaluer, mais aussi l'idée qu'il s'agit d'une évaluation informelle pour le professeur documentaliste, déléguée aux autres enseignants pour ce qui concerne des savoirs transférables, d'ordre transversaux. Sans doute convient-il alors de se détacher des préconisations officielles, choix porté par ailleurs par l' APSES[2] pour les sciences économiques et sociales, tant les programmes d'EMI ne sont pas à la hauteur de ce qu'on peut proposer en termes de savoirs, et donc en termes d'évaluation au sujet de l'acquisition des savoirs en information-documentation. La reconnaissance d'un corpus de savoirs didactisés, avec une progression, peut bien sûr faire évoluer ces pratiques, d'autant plus avec la reconnaissance statutaire d'un temps pour la préparation et pour l'évaluation des séquences et séances.

Les obligations réglementaires de service : perplexité, interrogation, réserve...

Sur les obligations réglementaires de service (ORS) proprement dites, ce sont semble-t-il la réserve et le recul qui l'emportent sur la recherche consensuelle d'une application des textes. Dès le début s'est posé le problème de l'interprétation, entre farouches convaincus et avocats du diable, entre concernés et non concernés, parmi les puristes du droit entre lecteurs stricts vis-à-vis des enseignements obligatoires et lecteurs plus flexibles qui considèrent que nous participons de ces enseignements obligatoires.

Sur le terrain ? La moitié des collègues en ont parlé avec leur chef d'établissement, 15 % avec leur IPR-EVS, très peu se sont rapprochés de leur rectorat ou de son équivalent pour le privé. Le tiers des chefs d'établissement interrogés est favorable à l'application du décompte, quand près de 20 % y sont opposés, 40 % indécis. Mais c'est d'une négociation au local dont-on parle là, beaucoup ne souhaitent pas s'y risquer, par crainte du conflit, mais encore par le fait d'une interprétation qui précède celle du chef d'établissement, de n'être pas concerné, de ne pas en avoir besoin. Ce sont là des considérations individuelles qu'il faut entendre, quand bien même elles rendent fragiles toute action collective et toute considération attendues et supposées d'un professionnel pour la défense de ses propres droits et le respect de ses conditions de travail.

Mais c'est à l'échelon national que sont entérinées les décisions, sans réponse aux questions de l'association professionnelle de quelque interlocuteur que ce soit, Cabinet de la Ministre, DGRH, IGEN-EVS ou DGESCO. On portera en revanche attention au propos de Michel Reverchon-Billot[3], IGEN-EVS, lors des rencontres SavoirsCDI, lorsqu'il précise que l'EMI est « un enseignement porté par la loi, mais qui n'est pas inscrit dans les grilles horaires ». Au niveau académique, les situations sont très variées, avec des positionnements favorables, mais fragiles, dans l'académie de Besançon, de Nantes, de Nice, de Versailles.

Face à des propositions restrictives : engager la réflexion sur l'évolution du métier et sa mission pédagogique

La conclusion n'est pas originale, elle nous ramène à l'introduction. Sans effort de redéfinition statutaire de la profession, en considération de son évolution depuis 30 ans, sans travail institutionnel et syndical au sujet du métier, l'écriture finale des textes peut n'avoir aucun sens. L'argument d'une sécurité de six heures inscrites pour les relations avec l'extérieur ne tient pas, quand on sait la nécessité d'une réflexion globale sur le service des professeurs documentalistes, qui n'a malheureusement pas eu lieu. Il n'y a aucune sécurité à ne pouvoir exercer correctement ni légitimement sa profession, une profession en crise aujourd'hui. La difficulté d'appliquer un décret, qui découle d'une méconnaissance à tous niveaux des axes de mission du professeur documentaliste, dévoile un engagement politique de l'institution en retrait depuis plus de dix ans, sans élan dans les formations des collègues ou chefs d'établissement pour faire connaître cette profession, sa richesse, sa légitimité pédagogique singulière, quelle que soit le mode de mise en œuvre.

Malgré l'introduction importante des professeurs documentalistes dans le texte relatif à tous les enseignants, le fait d'avoir opté pour une simple réécriture des textes antérieurs n'est pas satisfaisant, sans prescription pour amener les professeurs documentalistes à assurer des séances pédagogiques, ce qui protège sans doute les collègues en reconversion qui ne souhaitent plus travailler devant des groupes-classes, mais s'avère être un préjudice pour le développement des contenus info-documentaires auprès des élèves. Il faut enfin revenir sur la rumeur entendue parfois que les professeurs documentalistes, s'ils avaient la possibilité d'un décompte annualisé, serait une menace pour les autres enseignants, là encore au sein même de groupes syndicaux nationaux. Si nous étions une menace, pourquoi être à 30 heures dans l'établissement en intégrant des séances pédagogiques depuis plus de trente ans n'a-t-il pas déjà rompu le service des autres enseignants ? Si nous étions une menace, pourquoi réduit-on notre statut à une définition très locale du service ? qui suppose des pressions, du chantage, de l'autorité, une dégradation fréquente de nos conditions de travail et une remise en question de nos compétences pédagogiques. Nous sommes sur des dispositions dérogatoires depuis toujours, cela n'a jamais posé de problème et l'argument contraire est davantage soupçon de mauvaise foi qu'autre chose. Il est tout à fait possible, comme nous l'avions exprimé en 2014 à la suite de l'enquête sur le projet de décret[4], de trouver des solutions correctes pour la profession, au niveau statutaire, et de ne pas s'en tenir à des textes vagues, ouverts aux interprétations les plus variées du fait que les tournures choisies ne renvoient à des expressions d'autres textes réglementaires, créant un flou juridique qui n'est pas admissible quand on sait le temps qui aurait pu être pris pour ce dossier dans les services centraux du Ministère de l'Education nationale.

Cela nous amène finalement à poser quelques questions, plutôt qu'à reformuler des solutions déjà exprimées. Pourquoi, quand la légitimité de nos formations initiales et de nos compétences pédagogiques est actée par un CAPES, doit-on encore supporter la méconnaissance des collègues, de chefs d'établissement, des inspecteurs académiques ou généraux et d'autres services centraux ? Quelles sont les blocages ? et à quel niveau se situent-ils ? qui freinent l'évolution de la profession dans le sens d'une meilleure cohérence en regard des réalités d'une part, en regard d'une réponse légitime à nombre d'enjeux pédagogiques d'autre part, enjeux affirmés dans le référentiel de compétences professionnelles en 2013 ?